Principe du discours dogmatique/ Première partie : La Parole Trinitaire
C'est avec joie que je partage aujourd'hui la suite de cette série, dont j'espère qu'elle aidera à affermir et édifier les âmes en Christ.
Bucerian
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LA PAROLE TRINITAIRE
Selon
la tradition occidentale, le sacrement du baptême est administré en
disant : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit. » Dans les Églises orientales, on préfère souligner
que le ministre n’est que le serviteur de la grâce. On dit alors :
« Le serviteur de Dieu est baptisé au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit » (cf. saint Jean Chrysostome, Huit
catéchèses baptismales,
2, 26).
Quelle
que soit la formule liturgique, l’élément essentiel du sacrement
réside dans la parole, ou l’invocation elle-même, prononcée
conformément à l’institution du Seigneur :
« Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matthieu 28,19).
Observation
: Si
le Christ a ordonné de baptiser « au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit » (Matthieu 28, 19), pourquoi les apôtres semblent-ils
avoir baptisé uniquement « au nom du Seigneur Jésus » (Actes 2,
38 ; 8, 16 ; 10, 48) ?
Ce
décalage apparent entre l’institution du Seigneur et la pratique
des premiers chrétiens a suscité plusieurs hypothèses.
A) L’hypothèse d’une falsification tardive du texte
Certains
adversaires de la doctrine trinitaire ont affirmé que la formule de
Matthieu 28, 19 serait une interpolation : un copiste, animé d’un
zèle doctrinal excessif, aurait modifié le texte initial, qui
aurait ensuite été recopié et largement diffusé.
Mais
une telle hypothèse est non seulement contraire à la foi
chrétienne, qui confesse l’inspiration et la préservation des
Écritures, elle est aussi contredite par l’ensemble des manuscrits
anciens qui portent tous la formule trinitaire. Une falsification
localisée n’aurait pu entraîner une telle unanimité.
B) L’hypothèse d’un usage non liturgique de Matthieu 28 : 19
D’autres
ont supposé que ce passage n’indiquait pas la formule à prononcer
lors du baptême, mais simplement la réalité théologique dans
laquelle le baptisé est introduit : « dans le nom de... »,
c’est-à-dire, en relation avec la Trinité. Ce serait donc une
orientation catéchétique plutôt que liturgique.
Cette
idée a le mérite de rappeler que le baptême engage à une foi
vivante et relationnelle. Mais elle reste insuffisante. Le rôle
pédagogique du passage n’exclut pas son usage rituel ; au
contraire, la tradition liturgique la plus ancienne y voit
précisément l’institution de la formule baptismale (cf. Didachè,
7 ; Tradition
apostolique d’Hippolyte,
20-21 ; Justin Martyr, Apologie,
I, 61 ; Irénée, Démonstration
de la prédication apostolique,
3).
C) L’hypothèse d’un usage temporairement christocentrique
Certains
ont proposé que, pour magnifier le Nom de Jésus — alors
particulièrement honni —, les apôtres auraient reçu une consigne
temporaire de baptiser en Son nom. Thomas d’Aquin évoque cette
possibilité (Somme
théologique,
IIIa pars, q. 66, a. 6).
Cette
explication n’est pas absurde, mais elle repose sur une conjecture
non explicitée dans le Nouveau Testament. De plus, le nom du Christ
continue d’être rejeté aujourd’hui : pourquoi une telle
consigne temporaire ne serait-elle pas encore valable ? En l’absence
de tout témoignage scripturaire ou patristique en ce sens, cette
hypothèse reste peu convaincante.
D) L’hypothèse d’une synecdoque liturgique et théologique
La
solution la plus cohérente consiste à voir, dans les expressions du
livre des Actes, non pas une formule liturgique exacte, mais un
résumé théologique. Dire qu’ils furent « baptisés au nom du
Seigneur Jésus » signifie qu’ils furent unis à lui par la foi et
l’obéissance, conformément à l’institution du Seigneur.
Luc
ne cherche pas ici à décrire précisément les paroles prononcées
lors du baptême. En Actes 2, 38, Pierre appelle à la foi en
Jésus-Christ, non à l’apprentissage exact des formules. Il
s’adresse à des pécheurs repentants, non à des liturgistes. Il
en va de même en Actes 8, 16 ou 10, 48 : le but est de souligner que
ces personnes ont été gagnées au Christ, non de détailler la
cérémonie.
Ce
type de langage est également attesté dans les premiers écrits
ecclésiaux : la Didachè (fin du Ier siècle) enseigne que le
baptême doit être administré « au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit » (chap. 7), mais, ailleurs dans ce même traité, il
est simplement question de « baptême au nom du Seigneur ». Cela
confirme que l’expression abrégée n’est pas un rejet de la
formule trinitaire, mais un raccourci théologique.
Un
parallèle s’observe aussi dans Actes 2, 42 : les premiers
chrétiens y sont dits « assidus à la fraction du pain ». Cela ne
signifie pas que la coupe était omise (cf. 1 Corinthiens 11), mais
que cette expression désigne l’ensemble de l’eucharistie. Il en
va de même du « baptême au nom de Jésus ».
La
souplesse du langage biblique sur la formule baptismale ouvre une
question connexe. Certains, hostiles au baptême
des enfants, insistent sur le fait que
«
le Livre des Actes ne contient aucun exemple explicite de baptême de
nourrisson ».Mais
ce même livre ne contient pas davantage d’exemple explicite
de baptême célébré avec la formule trinitaire — ce qui
n’empêche pas même les plus fermement opposés au pédobaptisme
de continuer à baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Or,
si l’institution
(Matthieu 28, 19)
leur semble suffisante
pour affirmer la légitimité d’une formule liturgique absente du
Livre des Actes, ne devrait-elle
pas aussi
suffire
pour affirmer la légitimité du baptême des enfants ? Car les «
nations » vers lesquelles le Seigneur envoie ses apôtres
comprennent nécessairement
les
plus jeunes d’entre elles (Matthieu 28, 19 revoyant
à Ésaïe
52, 14-15 pour
réaliser
Apocalypse
21, 24).
L’Église
baptise donc au nom des trois Personnes divines — bien que ce mode
semble contraire
aux récits des Actes — et elle baptise a
fortiori
les enfants, malgré le silence
relatif de
ces mêmes Actes (cf. Actes 16, 15)
— en vertu de la même autorité du Ressuscité, dont l’ordre
souverain les inclut.
8
Seul
le Nom de Dieu est invoqué sur Son peuple. Cela signifie que l’acte
baptismal doit être posé en vertu de cette suprême et irrévocable
autorité, et que le fidèle doit appartenir à Dieu seul pour
trouver en Lui seul tout son bonheur.
Or,
puisque Dieu doit posséder toute gloire, et que la consécration à
notre Dieu doit faire notre bonheur véritable, il faut que le Dieu
biblique soit éternel et immuable, infiniment sage et bon,
tout-puissant autant que miséricordieux. S’il ne possédait pas
toutes les perfections, non seulement Dieu ne serait pas digne de
toute gloire, mais encore notre salut et notre béatitude ne seraient
jamais possibles, puisqu’ils resteraient toujours menacés de ruine
; par conséquent, notre foi, autant que notre baptême, seraient
vains.
De
plus, contrairement aux créatures qui reçoivent de Lui leur mesure
d’être et de perfection, Dieu ne participe pas simplement à
l’être : il est l’Être même (cf. Exode 3,14). Ses
perfections ne sont pas diverses choses en Lui, mais sont la
substance divine, qu’il est Lui-même : sa Puissance est ainsi ce
qu’est sa Bonté, etc. et Lui-même est la Bonté dont Il est bon,
la Puissance dont Il est fort et pour tout dire : l’Amour dont
il aime. Cette parfaite et ineffable simplicité de l’être
divin est nécessaire pour que Dieu soit le principe de tout
ce qui est. De cette unité, toutes les créatures reçoivent leur
mesure, comme par des rayons de lumière jaillissant sans rien
retrancher à la perfection de Celui qui les produit.
Tout
cela s’oppose enfin à l’erreur des anthropomorphites qui, sous
prétexte de quelques versets bibliques (cf. Genèse 3,8; Exode 33,23
; Psaume 34,16), attribuaient un corps à Dieu.
Dieu
n’est pas un être corporel, non seulement parce qu’il est
«esprit » (Jean 4,24) et qu’un esprit n’est pas matériel (cf.
Luc 24,39), mais encore parce qu’un corps est, par définition, une
mesure (cf. 1Co 15, 40) et une composition de l’être
(cf. 1Co 12,12), tandis que l’Être divin est parfaitement simple
et infini.
Observation : Bien
qu'ils tinssent Zeus pour le dieu souverain (cf.
Sophocle,
Antigone,
II,
2,
2) les Grecs n'en étaient pas moins de parfaits polythéistes. Croire
en Dieu, ce n'est donc pas simplement le croire (seul) éternel,
créateur, tout-puissant, etc. mais c'est l'invoquer, se confier, le
servir et le célébrer Lui seul en raison de cette bonté, de cette
toute-puissance, etc. ainsi que
le Seigneur
le déclare au psalmiste: "Invoque-moi au jour de la détresse:
je te delivrerai, et tu me glorifieras" (Psaume 50, 15).
Ceux
qui disent n'adorer que Dieu seul parce qu'ils le reconnaissent
intellectuellement
comme le seul
Être suprême, mais qui adressent aussi
bien
leur dévotion
et leurs prières à des saints n'agissent donc pas conformément à
leur baptême, qui les engage à adorer (ad orare = invoquer) et à servir le seul
vrai Dieu (cf.
Actes 10, 26 ; Apocalypse 22, 8-9).
9
En
raison du rôle pivot que le baptême occupe entre, d’une part, le
Dieu
véritable et, d’autre part, la foi qui repose en Lui seul (cf.
Éphésiens 4, 5),
Calvin regardait la parole baptismale comme un
fondement
suffisant du dogme trinitaire
(Institution
de la Religion Chrétienne I,
xiii, 16). Il rejoignait en cela la conviction de toute la tradition
antérieure (cf. Athanase d’Alexandrie, Lettres
à Serapion
III, 6 ;
Augustin
Contre
Maximin,
XVI, 2 ; XXII, 3).
Car
il est certain, comme il a
été dit, que seul le Nom de
Dieu doit être invoqué sur son peuple
(cf. Nombres 6, 27). Or, si
la divinité était le propre du Père – à l’exclusion du Fils
et de l’Esprit – le baptême chrétien s’en trouverait conféré
sur l’autorité et pour la gloire de Dieu associé à
deux créatures. Il s’agirait
là d’une violation du tout premier commandement (Tu n’auras pas
d’autres dieux devant ma face / Exode 20, 3) et de tout le
monothéisme biblique qui en découle (cf. Deutéronome
6, 4 ; Ésaïe 42, 8-9,
etc.)
Il
est donc nécessaire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient
un seul et même être,
un
même quelque chose :
Dieu. On parle ici de consubstantialité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Est ainsi écartée
l’erreur des ariens, négateurs de la divinité du Fils.
De
même, s’ils sont Dieu, chacun des trois doit être un
quelqu’un,
c’est-à-dire
une personne -
étant entendu que Dieu
possède toutes les
perfections. Est ainsi
écartée
l’erreur des macédoniens, négateurs
de la personnalité de
l’Esprit saint.
De
plus,
ces personnes doivent être en aussi grand nombre et doivent
être aussi distinctes que le
sont les termes de « Père »,
de « Fils »
et de « Saint-Esprit »
- « Père »
désignant un principe dont « Fils » est le terme, l’un
ne peut pas être l’autre.
Est
ainsi écartée l’erreur des modalistes, ou sabelliens, pour qui
les trois noms se rapportaient à une seule et même personne dans
ses différents rapports avec les hommes.
Enfin,
soulignons que chacune de ces trois personnes n’est pas une
partie de la nature divine, ni même une substance divine
distincte des deux autres – comme la personne de Pierre, qui est
une autre substance humaine que celle de Jean. Car les trois
personnes ne sont pas seulement de la même substance, ou
nature, mais elles sont tout entièrement la même substance -
ainsi que l’atteste l’invocation baptismale : « au nom » (au
singulier) du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est pourquoi les Pères ont encore confessé que chacune des personnes demeure en l’autre, sans confusion ni séparation (périchorèse), selon la parole du Seigneur : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean 14, 10-11). Est
ainsi écartée l’erreur du trithéisme.
Observation :
Si
telle avait été son intention, Notre Seigneur aurait facilement pu
ordonner qu’on baptise « au nom de (son) Père ». Si,
comme le prétendent les « Témoins de Jéhovah »,
l’objet principal de la mission du Christ avait été de remettre à
l’honneur l’usage du nom de « Jéhovah », le moyen
le plus indiqué aurait été d’ordonner de baptiser « au nom
de Jéhovah ». Cette
observation est sans
appel car,
des
paroles baptismales, charpente de tout l’édifice dogmatique,
il
ne ressortira jamais autre chose que la Trinité.
Les
adversaires auront
beau tenter de
réinterpréter
les paroles baptismales par des
passages bibliques censés appuyer leurs vues, leur
démarche restera toujours celle d’une déconstruction et d’un
reniement plutôt que d’un approfondissement de
ces termes
initiaux
(cf. § 5).
Du
reste, Il
pourrait sembler contradictoire de
confesser trois Personnes divines sans
croire en
trois
dieux. La raison en est que dans notre expérience quotidienne, il
existe autant de personnes que de substances, ou
natures.
Supposons
par exemple que la nature humaine soit le mot « HUMAIN »,
et que la lecture de ce mot soit la personne d'un homme. Alors, la
lecture de cette première occurrence du mot « HUMAIN »
sera, disons, Pierre.
Pour
poser une deuxième personne (par exemple: Jean) il faudra réitérer
ce mot afin qu’il ait également sa lecture. On aura ainsi:
« HUMAIN ( = Pierre) ; HUMAIN ( = Jean) »,
et ainsi de suite, pour toute nouvelle personne. Chaque nouvelle occurrence du mot HUMAIN sera séparée des autres, à tel point que Pierre pourrait exister sans Jean, et que Jean pourrait continuer d'exister sans Pierre. Par exemple :
« HUMAIN
( = Pierre) ; HUMAIN ( = Jean) ».
A
moins de souscrire au trithéisme, rien de tel ne peut être pensé
au sujet de Dieu, car nous ne croyons pas seulement que les personnes
divines sont d’une même nature (au sens où, dans notre
exemple, Pierre et Jean sont tous deux une occurrence du même mot
« HUMAIN ») mais qu’ils sont la même nature.
Les
négateurs de la Trinité objectent que cela est incompréhensible
et, de là, impossible. Il
faut néanmoins noter que
incompréhensible
ne veut pas dire impossible.
Beaucoup d’œuvres de Dieu sont elles-mêmes
incompréhensibles
(cf. Romains 11, 33) parce
qu’elles sont impossibles
aux hommes – mais
elles sont et restent possibles
et compréhensibles à
Dieu (cf.
Luc 18 , 27). Il en va ainsi des miracles que
les moqueurs rejettent au nom de leur Raison dressée en idole. Dieu
étant infiniment plus grand que ses œuvres, rien
d’étonnant à ce
qu’il soit plus incompréhensible
qu’elles, sans que ce qu’il nous dit de Lui soit pourtant
impossible,
ou faux.
Dans
notre exemple, le mot HUMAIN convient pour figurer la
nature humaine, parce qu'il est imparfait comme elle. Pour symboliser
la nature divine, il nous faudra au contraire un mot possédant,
comme la nature divine, une certaine perfection. Nous prendrons donc,
par exemple, le mot AMA (en Latin: « Aime ! »). La
perfection du mot AMA consiste dans la symétrie de ses lettres.
Cette symétrie fait de AMA un palindrome, c'est-à-dire un mot qui
peut être lu non seulement de gauche à droite mais aussi, comme en
un miroir, de droite à gauche. Ainsi, AMA est un mot qui se contient
en quelques sortes plusieurs fois en lui-même.
Pour
reprendre notre analogie (mot = nature / lecture = personne), nous
voyons ici un cas où chaque lecture est parfaitement distincte de
l'autre (aussi distincte que la droite l'est de la gauche). Pourtant,
chacune de ces lectures est entièrement et identiquement le même
mot (la même nature), voire jusque dans sa seule et unique
occurrence.
Notre
but, par
cette analogie lexicale, n’est
pas
de
réduire à notre raison la
perfection du Dieu vivant (ce qui est impossible), mais plutôt de
montrer combien
les antitrinitaires ont tort d'imputer à ce Dieu les limites et les
faiblesses de la nature créée et
de sa raison.
10
L’essence divine est une et indivisible. Pourtant, comme nous l’avons affirmé, les personnes divines sont trois et réellement distinctes. Elles sont même invoquées dans notre baptême selon un certain ordre : le Père d’abord, puis le Fils, et enfin le Saint-Esprit. Car si chacune des trois personnes est pleinement ce même Être divin, chacune l’est selon un mode de subsistance — c’est-à-dire une manière personnelle de posséder la divinité — qui lui est propre :
le Père ne tient l’être de personne ;
le Fils tient l’être du Père, de qui il est engendré ;
l’Esprit saint tient l’être du Père, de qui il procède.
Il convient de noter que cet
ordre est logique, et non pas chronologique (la Trinité,
éternelle, n’étant pas soumise au temps), et que ces processions
n’entraînent pas de hiérarchie au sein de la Trinité (la
nature divine étant toujours identique à elle-même.)
Surtout, il faut rappeler que la génération du Fils, autant que la
procession de l’Esprit, ne sont pas synonymes de
création.
Observation :
C’est
ici qu’a surgi une controverse majeure entre l’Orient
et l’Occident.
Les
théologiens occidentaux soutiennent que
la
différence entre
la génération du
Fils et
la procession de
l’Esprit tient
à ce que la seconde personne vient uniquement
de
la première (le Père), tandis que la troisième personne vient des
deux premières,
c’est-à-dire du Père et
du Fils (Filioque)
– selon
des
textes tels
que
Galates 4, 6.
C’est
la doctrine de la procession ab
utroque,
qui ne
distingue pas seulement les
propriétés personnelles du
Fils et de
l’Esprit, mais
qui
entend aussi souligner la
parfaite identité entre
la Trinité ontologique
(telle qu’elle est en soi) et
la Trinité économique (telle qu’elle apparaît et agit dans
l’œuvre du Salut).
Selon
la théologie orientale en
revanche,
l’Esprit procède
seulement
du
Père (selon
Jean
15, 26), et
la
raison
qui empêche
de
considérer l’Esprit comme un « second Fils » reste
un
mystère que Dieu seul
connaît.
Pourtant,
dire
seulement que l'Esprit procède du
Père
n'équivaut pas à dire que l'Esprit procède du Père seulement.
Car le Père est évidemment
Père
vis-à-vis
du Fils
(cf.
2
Jean
1, 3). Si donc la génération du Fils par le Père ne présuppose
pas nécessairement la procession de l'Esprit, la procession de
l'Esprit par
le
Père
présuppose, comme un préalable logique (et non pas chronologique)
la génération du
Fils.
Et non seulement la génération, mais la relation au Fils, hors de
laquelle le Père n’est pas pensable comme tel et n’agit pas
comme tel. De là, la procession ab
utroque
semble être une conclusion difficile à éviter. D’ailleurs,
les
théologiens orientaux tempèrent
généralement
leur
assertion en
concédant
que
l’Esprit procède du Père « par le Fils » (cf. Jean Damascène,
De
la foi Orthodoxe,
Ι, 12 ).
Bien
que les formulations varient, l’Orient
et l’Occident
s'accordent en
tout cas à
dire que l’essence divine est une, et
que chaque personne divine est
réellement distincte de
par
ses propriétés.
Sans
doute est-ce la raison pour laquelle, pendant plusieurs siècles,
ces
deux écoles ont coexisté sans heurt.
11
La
Trinité des
personnes convient
à
Dieu, car elle en traduit
la
perfection. Richard
de Saint-Victor écrivait ainsi que :
« en
Dieu se trouve la bonté totale dans sa plénitude et sa perfection.
Mais où il y a plénitude de la bonté totale, il y a nécessairement
la vraie et suprême charité ; car rien n’est meilleur que la
charité, rien n’est plus grand et plus parfait que la charité. Or
jamais on ne dit de quelqu’un qu’il possède proprement la
charité à raison de l’amour exclusivement personnel qu’il a
pour soi-même ; pour qu’il y ait proprement charité, il faut
que l’amour tende vers un autre. Par conséquent, où manque une
pluralité de personnes, impossible qu’il y ait charité. »
(La
Trinité
III, ii).
Il
faut noter que si le
Dieu
éternel et immuable est
amour (1Jean 4, 16), cet amour ne peut pas se réduire à sa relation
avec les
personnes créées
- car
la
création n’est
ni éternelle ni nécessaire. En
revanche, ce surabondant amour s’étend librement aux créatures,
une fois l’existence de celles-ci décrétée. Enfin,
la loi qui est donnée à l’homme n’est rien d’autre que de
partager, dans la mesure qui lui convient, cette vie divine (cf. Marc
12, 30-31).
Observation :
Certains
objecteront que ce qui est vrai de la créature (la
charité
véritable
nécessite
une
pluralité
de personnes) n’est pas nécessairement vrai pour Dieu. Mais
alors,
en quoi notre charité pourrait-elle
avoir
pour
modèle celle de Dieu ? Et
même si la charité pouvait exister en Dieu sans cette pluralité
personnelle, devrait-elle nécessairement l’exclure ? Ainsi,
l’argument de
Richard reste
valable,
au moins comme raison de convenance.
Du
reste, il est paradoxal d’envisager une charité qui,
en
Dieu,
ne nécessiterait pas une
pluralité de personnes, alors qu'on refuse d’envisager une
pluralité de personnes qui, en
Dieu,
ne compromettrait pas l’unité
(cf. Supra § 9, Observation).
12
Luther notait : « Quand j'ignore les œuvres et la puissance de Dieu, j'ignore Dieu lui-même. Alors, je ne peux ni l'adorer, ni le louer, puisque j'ignore ce que je dois attribuer à Dieu et ce que je dois m’attribuer à moi-même » (cf. Traité du Serf arbitre, Préface). Or, le baptême trinitaire proclame que, de toute éternité, le Père a décrété le salut ; que dans l’Histoire, le Fils l’a accompli ; et qu’au quotidien, l’Esprit saint l’applique efficacement. Ainsi, le salut n’est pas une simple possibilité : de même que Dieu a créé le monde sans l’aide, la collaboration ni le consentement de celui-ci (et qu’Il maintient pareillement les choses à l’existence / Job 34, 12-15) de même le Salut, œuvre de nouvelle création, est réel, effectif, et entièrement l’œuvre de Dieu. En cela, le baptême fonde notre foi et notre espérance en Dieu seul, révélé comme seul auteur et garant de notre Salut (monergisme). Celui qui a cru doit donc en attribuer toute la gloire à Dieu, et attendre de lui seul sa persévérance finale et victorieuse dans la foi (Philippiens 1,6).
Érasme de Rotterdam s’était employé à défendre la force et la vertu du libre-arbitre en matière de salut, allant jusqu’à invoquer l’autorité de grands saints — dont certains thaumaturges. Luther lui répondit en lui demandant lequel de ces miracles avait été opéré au nom du libre-arbitre ou pour sa gloire. Il ne s’agissait pas là d’une simple boutade ; cet échange met en lumière une vérité essentielle, à savoir qu’aucun prédicateur chrétien n’est envoyé pour annoncer « l’évangile du libre-arbitre ». Ce n’est pas par l’affirmation du libre-arbitre et des ses ressources qu’il doit rassurer ou réconforter les âmes, et ce n’est pas cette liberté qu’il doit recommander à la foi des hommes, puisque ce n’est pas là que réside leur Salut (Jérémie 17,5).
Ainsi, ceux qui font de la volonté de l’homme un agent décisif du Salut professent une doctrine contraire à la foi biblique. Loin d’être de véritables trinitaires, ils forgent en réalité une religion « quadrinitaire », où le Père aurait conçu le salut, le Fils l’aurait acquis, l’Esprit le proposerait, mais la créature en serait l’artisan final et indispensable par sa souveraine réception.
Observation : Il est vrai que l’homme a une volonté propre, et que le rejet de l’Évangile est une faute qui doit lui être imputée. Cependant, c’est à tort que les égarés pensent pouvoir en tirer un argument a contrario, comme si la réception (ou l’appropriation) effective de cet Évangile était ultimement le fait de cette même volonté. Car il n’y a pas de symétrie possible entre la perdition (une œuvre de néant dont l’homme, tiré du néant, est toujours capable) et le Salut (un Bien dont seul Dieu, auteur de tout bien, est effectivement capable). Et ce n’est rien dire de la corruption de l’homme, qui le rend de surcroît irréductiblement ennemi de tout bien.
13
Conclusion de la première partie
Au
terme de cette première partie, il apparaît que le Dieu Trinité
est tout notre salut.
Le
Père, principe de tout être, est la surabondance même qui fait
notre béatitude.
Nous
le contemplons en Jésus-Christ, son Fils unique, qui peut nous
ramener à Lui puisqu’il est, de toute éternité, Dieu,
à la stature du Père (cf. Mt 11,27).
Ce
Fils, l’Esprit Saint nous le révèle intérieurement et nous y
incorpore par la foi qu’il suscite en nous. L’Esprit peut agir
ainsi — tout comme il fait de nous son temple — parce qu’il est
Lui-même Dieu, « le propre de la substance du Père et du Fils »
(cf. 1Co 2,10-11 ; Athanase, Lettre
à Sérapion
I,25).
Saint Irénée de Lyon résumait ce mystère au IIᵉ
siècle :
« Sans l’Esprit, il est impossible de voir le Fils,
et sans le Fils, nul ne peut arriver auprès du Père… C’est par
l’Esprit que cette connaissance a lieu, et c’est le Fils qui le
donne, selon ce que le Père veut, à ceux que le Père veut et comme
il le veut » (Démonstration
de la prédication apostolique).
A suivre...
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