Principe du discours dogmatique/ Première partie : La Parole Trinitaire

 


 

 

 C'est avec joie que je partage aujourd'hui la suite de cette série, dont j'espère qu'elle aidera à affermir et édifier les âmes en Christ.

Bucerian 

 

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LA PAROLE TRINITAIRE


 Selon la tradition occidentale, le sacrement du baptême est administré en disant : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Dans les Églises orientales, on préfère souligner que le ministre n’est que le serviteur de la grâce. On dit alors : « Le serviteur de Dieu est baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (cf. saint Jean Chrysostome, Huit catéchèses baptismales, 2, 26).
Quelle que soit la formule liturgique, l’élément essentiel du sacrement réside dans la parole, ou l’invocation elle-même, prononcée conformément à l’institution du Seigneur :

« Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matthieu 28,19).


Observation : Si le Christ a ordonné de baptiser « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matthieu 28, 19), pourquoi les apôtres semblent-ils avoir baptisé uniquement « au nom du Seigneur Jésus » (Actes 2, 38 ; 8, 16 ; 10, 48) ?
Ce décalage apparent entre l’institution du Seigneur et la pratique des premiers chrétiens a suscité plusieurs hypothèses.

A) L’hypothèse d’une falsification tardive du texte

Certains adversaires de la doctrine trinitaire ont affirmé que la formule de Matthieu 28, 19 serait une interpolation : un copiste, animé d’un zèle doctrinal excessif, aurait modifié le texte initial, qui aurait ensuite été recopié et largement diffusé.
Mais une telle hypothèse est non seulement contraire à la foi chrétienne, qui confesse l’inspiration et la préservation des Écritures, elle est aussi contredite par l’ensemble des manuscrits anciens qui portent tous la formule trinitaire. Une falsification localisée n’aurait pu entraîner une telle unanimité.

B) L’hypothèse d’un usage non liturgique de Matthieu 28 : 19

D’autres ont supposé que ce passage n’indiquait pas la formule à prononcer lors du baptême, mais simplement la réalité théologique dans laquelle le baptisé est introduit : « dans le nom de... », c’est-à-dire, en relation avec la Trinité. Ce serait donc une orientation catéchétique plutôt que liturgique.
Cette idée a le mérite de rappeler que le baptême engage à une foi vivante et relationnelle. Mais elle reste insuffisante. Le rôle pédagogique du passage n’exclut pas son usage rituel ; au contraire, la tradition liturgique la plus ancienne y voit précisément l’institution de la formule baptismale (cf. Didachè, 7 ; Tradition apostolique d’Hippolyte, 20-21 ; Justin Martyr, Apologie, I, 61 ; Irénée, Démonstration de la prédication apostolique, 3).

C) L’hypothèse d’un usage temporairement christocentrique

Certains ont proposé que, pour magnifier le Nom de Jésus — alors particulièrement honni —, les apôtres auraient reçu une consigne temporaire de baptiser en Son nom. Thomas d’Aquin évoque cette possibilité (Somme théologique, IIIa pars, q. 66, a. 6).
Cette explication n’est pas absurde, mais elle repose sur une conjecture non explicitée dans le Nouveau Testament. De plus, le nom du Christ continue d’être rejeté aujourd’hui : pourquoi une telle consigne temporaire ne serait-elle pas encore valable ? En l’absence de tout témoignage scripturaire ou patristique en ce sens, cette hypothèse reste peu convaincante.

D) L’hypothèse d’une synecdoque liturgique et théologique

La solution la plus cohérente consiste à voir, dans les expressions du livre des Actes, non pas une formule liturgique exacte, mais un résumé théologique. Dire qu’ils furent « baptisés au nom du Seigneur Jésus » signifie qu’ils furent unis à lui par la foi et l’obéissance, conformément à l’institution du Seigneur.
Luc ne cherche pas ici à décrire précisément les paroles prononcées lors du baptême. En Actes 2, 38, Pierre appelle à la foi en Jésus-Christ, non à l’apprentissage exact des formules. Il s’adresse à des pécheurs repentants, non à des liturgistes. Il en va de même en Actes 8, 16 ou 10, 48 : le but est de souligner que ces personnes ont été gagnées au Christ, non de détailler la cérémonie.
Ce type de langage est également attesté dans les premiers écrits ecclésiaux : la Didachè (fin du Ier siècle) enseigne que le baptême doit être administré « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (chap. 7), mais, ailleurs dans ce même traité, il est simplement question de « baptême au nom du Seigneur ». Cela confirme que l’expression abrégée n’est pas un rejet de la formule trinitaire, mais un raccourci théologique.
Un parallèle s’observe aussi dans Actes 2, 42 : les premiers chrétiens y sont dits « assidus à la fraction du pain ». Cela ne signifie pas que la coupe était omise (cf. 1 Corinthiens 11), mais que cette expression désigne l’ensemble de l’eucharistie. Il en va de même du « baptême au nom de Jésus ».

La souplesse du langage biblique sur la formule baptismale ouvre une question connexe. Certains, hostiles au baptême des enfants, insistent sur le fait que 
« le Livre des Actes ne contient aucun exemple explicite de baptême de nourrisson ».Mais ce même livre ne contient pas davantage d’exemple explicite de baptême célébré avec la formule trinitaire — ce qui n’empêche pas même les plus fermement opposés au pédobaptisme de continuer à baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Or, si
l’institution (Matthieu 28, 19) leur semble suffisante pour affirmer la légitimité d’une formule liturgique absente du Livre des Actes, ne devrait-elle pas aussi suffire pour affirmer la légitimité du baptême des enfants ? Car les « nations » vers lesquelles le Seigneur envoie ses apôtres comprennent nécessairement les plus jeunes d’entre elles (Matthieu 28, 19 revoyant à Ésaïe 52, 14-15 pour réaliser Apocalypse 21, 24).
L’Église baptise donc au nom des trois Personnes divines — bien que ce mode semble
contraire aux récits des Actes — et elle baptise a fortiori les enfants, malgré le silence relatif de ces mêmes Actes (cf. Actes 16, 15) — en vertu de la même autorité du Ressuscité, dont l’ordre souverain les inclut.


 

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Seul le Nom de Dieu est invoqué sur Son peuple. Cela signifie que l’acte baptismal doit être posé en vertu de cette suprême et irrévocable autorité, et que le fidèle doit appartenir à Dieu seul pour trouver en Lui seul tout son bonheur.
Or, puisque Dieu doit posséder toute gloire, et que la consécration à notre Dieu doit faire notre bonheur véritable, il faut que le Dieu biblique soit éternel et immuable, infiniment sage et bon, tout-puissant autant que miséricordieux. S’il ne possédait pas toutes les perfections, non seulement Dieu ne serait pas digne de toute gloire, mais encore notre salut et notre béatitude ne seraient jamais possibles, puisqu’ils resteraient toujours menacés de ruine ; par conséquent, notre foi, autant que notre baptême, seraient vains.
De plus, contrairement aux créatures qui reçoivent de Lui leur mesure d’être et de perfection, Dieu ne participe pas simplement à l’être : il est l’Être même (cf. Exode 3,14). Ses perfections ne sont pas diverses choses en Lui, mais sont la substance divine, qu’il est Lui-même : sa Puissance est ainsi ce qu’est sa Bonté, etc. et Lui-même est la Bonté dont Il est bon, la Puissance dont Il est fort et pour tout dire : l’Amour dont il aime. Cette parfaite et ineffable simplicité de l’être divin est nécessaire pour que Dieu soit le principe de tout ce qui est. De cette unité, toutes les créatures reçoivent leur mesure, comme par des rayons de lumière jaillissant sans rien retrancher à la perfection de Celui qui les produit.
Tout cela s’oppose enfin à l’erreur des anthropomorphites qui, sous prétexte de quelques versets bibliques (cf. Genèse 3,8; Exode 33,23 ; Psaume 34,16), attribuaient un corps à Dieu. 
Dieu n’est pas un être corporel, non seulement parce qu’il est «esprit » (Jean 4,24) et qu’un esprit n’est pas matériel (cf. Luc 24,39), mais encore parce qu’un corps est, par définition, une mesure (cf. 1Co 15, 40) et une composition de l’être (cf. 1Co 12,12), tandis que l’Être divin est parfaitement simple et infini.


Observation : Bien qu'ils tinssent Zeus pour le dieu souverain (cf. Sophocle, Antigone, II, 2, 2) les Grecs n'en étaient pas moins de parfaits polythéistes. Croire en Dieu, ce n'est donc pas simplement le croire (seul) éternel, créateur, tout-puissant, etc. mais c'est l'invoquer, se confier, le servir et le célébrer Lui seul en raison de cette bonté, de cette toute-puissance, etc. ainsi que le Seigneur le déclare au psalmiste: "Invoque-moi au jour de la détresse: je te delivrerai, et tu me glorifieras" (Psaume 50, 15).
Ceux qui disent n'adorer que Dieu seul parce qu'ils le reconnaissent
intellectuellement comme le seul Être suprême, mais qui adressent aussi bien leur dévotion et leurs prières à des saints n'agissent donc pas conformément à leur baptême, qui les engage à adorer (ad orare = invoquer) et à servir le seul vrai Dieu (cf. Actes 10, 26 ; Apocalypse 22, 8-9).



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En raison du rôle pivot que le baptême occupe entre, d’une part, le Dieu véritable et, d’autre part, la foi qui repose en Lui seul (cf. Éphésiens 4, 5), Calvin regardait la parole baptismale comme un fondement suffisant du dogme trinitaire (Institution de la Religion Chrétienne I, xiii, 16). Il rejoignait en cela la conviction de toute la tradition antérieure (cf. Athanase d’Alexandrie, Lettres à Serapion III, 6 ; Augustin Contre Maximin,
 XVI, 2 ; XXII, 3).
Car il est certain, comme il a été dit, que seul le Nom de Dieu doit être invoqué sur son peuple (cf. Nombres 6, 27). Or, si la divinité était le propre du Père – à l’exclusion du Fils et de l’Esprit – le baptême chrétien s’en trouverait conféré sur l’autorité et pour la gloire de Dieu associé à deux créatures. Il s’agirait là d’une violation du tout premier commandement (Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face / Exode 20, 3) et de tout le monothéisme biblique qui en découle (cf. Deutéronome 6, 4 ; Ésaïe 42, 8-9, etc.)
Il est donc nécessaire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient un seul et même
être, un même quelque chose : Dieu. On parle ici de consubstantialité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Est ainsi écartée l’erreur des ariens, négateurs de la divinité du Fils.
De même, s’ils sont Dieu, chacun des trois doit être
un quelqu’un, c’est-à-dire une personne - étant entendu que Dieu possède toutes les perfections. Est ainsi écartée l’erreur des macédoniens, négateurs de la personnalité de l’Esprit saint.
De plus
, ces personnes doivent être en aussi grand nombre et doivent être aussi distinctes que le sont les termes de « Père », de « Fils » et de « Saint-Esprit » - « Père » désignant un principe dont « Fils » est le terme, l’un ne peut pas être l’autre.
Est ainsi écartée l’erreur des modalistes, ou sabelliens, pour qui les trois noms se rapportaient à une seule et même personne dans ses différents rapports avec les hommes.
Enfin, soulignons que chacune de ces trois personnes n’est pas une partie de la nature divine, ni même une substance divine distincte des deux autres – comme la personne de Pierre, qui est une autre substance humaine que celle de Jean. Car les trois personnes ne sont pas seulement de la même substance, ou nature, mais elles sont tout entièrement la même substance - ainsi que l’atteste l’invocation baptismale : « au nom » (au singulier) du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est pourquoi les Pères ont encore confessé que chacune des personnes demeure en l’autre, sans confusion ni séparation (périchorèse), selon la parole du Seigneur : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean 14, 10-11). Est ainsi écartée l’erreur du trithéisme. 


Observation : Si telle avait été son intention, Notre Seigneur aurait facilement pu ordonner qu’on baptise « au nom de (son) Père ». Si, comme le prétendent les « Témoins de Jéhovah », l’objet principal de la mission du Christ avait été de remettre à l’honneur l’usage du nom de « Jéhovah », le moyen le plus indiqué aurait été d’ordonner de baptiser « au nom de Jéhovah ». Cette observation est sans appel car, des paroles baptismales, charpente de tout l’édifice dogmatique, il ne ressortira jamais autre chose que la Trinité. Les adversaires auront beau tenter de réinterpréter les paroles baptismales par des passages bibliques censés appuyer leurs vues, leur démarche restera toujours celle d’une déconstruction et d’un reniement plutôt que d’un approfondissement de ces termes initiaux (cf. § 5).
Du reste, Il pourrait sembler contradictoire de confesser trois Personnes divines sans croire en trois dieux. La raison en est que dans notre expérience quotidienne, il existe autant de personnes que de substances, ou natures.
Supposons par exemple que la nature humaine soit le mot « HUMAIN », et que la lecture de ce mot soit la personne d'un homme. Alors, la lecture de cette première occurrence du mot « HUMAIN » sera, disons, Pierre.
Pour poser une deuxième personne (par exemple: Jean) il faudra réitérer ce mot afin qu’il ait également sa lecture. On aura ainsi:

« HUMAIN ( = Pierre) ; HUMAIN ( = Jean) »,

et ainsi de suite, pour toute nouvelle personne. Chaque nouvelle occurrence du mot HUMAIN sera séparée des autres, à tel point que Pierre pourrait exister sans Jean, et que Jean pourrait continuer d'exister sans Pierre. Par exemple :

« HUMAIN ( = Pierre) ; HUMAIN ( = Jean) ».

A moins de souscrire au trithéisme, rien de tel ne peut être pensé au sujet de Dieu, car nous ne croyons pas seulement que les personnes divines sont d’une même nature (au sens où, dans notre exemple, Pierre et Jean sont tous deux une occurrence du même mot « HUMAIN ») mais qu’ils sont la même nature.
Les négateurs de la Trinité objectent que cela est incompréhensible et, de là, impossible. Il faut néanmoins noter que incompréhensible ne veut pas dire impossible. Beaucoup d’œuvres de Dieu sont elles-mêmes incompréhensibles (cf. Romains 11, 33) parce qu’elles sont impossibles aux hommes – mais elles sont et restent possibles et compréhensibles à Dieu (cf. Luc 18 , 27). Il en va ainsi des miracles que les moqueurs rejettent au nom de leur Raison dressée en idole. Dieu étant infiniment plus grand que ses œuvres, rien d’étonnant à ce qu’il soit plus incompréhensible qu’elles, sans que ce qu’il nous dit de Lui soit pourtant impossible, ou faux.
Dans
notre exemple, le mot HUMAIN convient pour figurer la nature humaine, parce qu'il est imparfait comme elle. Pour symboliser la nature divine, il nous faudra au contraire un mot possédant, comme la nature divine, une certaine perfection. Nous prendrons donc, par exemple, le mot AMA (en Latin: « Aime ! »). La perfection du mot AMA consiste dans la symétrie de ses lettres. Cette symétrie fait de AMA un palindrome, c'est-à-dire un mot qui peut être lu non seulement de gauche à droite mais aussi, comme en un miroir, de droite à gauche. Ainsi, AMA est un mot qui se contient en quelques sortes plusieurs fois en lui-même.
Pour reprendre notre analogie (mot = nature / lecture = personne), nous voyons ici un cas où chaque lecture est parfaitement distincte de l'autre (aussi distincte que la droite l'est de la gauche). Pourtant, chacune de ces lectures est entièrement et identiquement le même mot (la même nature), voire jusque dans sa seule et unique occurrence.
Notre but, par cette analogie lexicale, n’est pas de réduire à notre raison la perfection du Dieu vivant (ce qui est impossible), mais plutôt de montrer combien les antitrinitaires ont tort d'imputer à ce Dieu les limites et les faiblesses de la nature créée et de sa raison.



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L’essence divine est une et indivisible. Pourtant, comme nous l’avons affirmé, les personnes divines sont trois et réellement distinctes. Elles sont même invoquées dans notre baptême selon un certain ordre : le Père d’abord, puis le Fils, et enfin le Saint-Esprit. Car si chacune des trois personnes est pleinement ce même Être divin, chacune l’est selon un mode de subsistance — c’est-à-dire une manière personnelle de posséder la divinité — qui lui est propre :

le Père ne tient l’être de personne ;

le Fils tient l’être du Père, de qui il est engendré ;

l’Esprit saint tient l’être du Père, de qui il procède.

Il convient de noter que cet ordre est logique, et non pas chronologique (la Trinité, éternelle, n’étant pas soumise au temps), et que ces processions n’entraînent pas de hiérarchie au sein de la Trinité (la nature divine étant toujours identique à elle-même.)
Surtout, il faut rappeler que la génération du Fils, autant que la procession de l’Esprit, ne sont pas synonymes de création.


Observation : C’est ici qu’a surgi une controverse majeure entre l’Orient et l’Occident.
Les théologiens occidentaux soutiennent
que la différence entre la génération du Fils et la procession de l’Esprit tient à ce que la seconde personne vient uniquement de la première (le Père), tandis que la troisième personne vient des deux premières, c’est-à-dire du Père et du Fils (Filioque) – selon des textes tels que Galates 4, 6. C’est la doctrine de la procession ab utroque, qui ne distingue pas seulement les propriétés personnelles du Fils et de l’Esprit, mais qui entend aussi souligner la parfaite identité entre la Trinité ontologique (telle qu’elle est en soi) et la Trinité économique (telle qu’elle apparaît et agit dans l’œuvre du Salut).
Selon la théologie orientale
en revanche, l’Esprit procède seulement du Père (selon Jean 15, 26), et la raison qui empêche de considérer l’Esprit comme un « second Fils » reste un mystère que Dieu seul connaît.
Pourtant, dire seulement que l'Esprit procède du Père n'équivaut pas à dire que l'Esprit procède du Père seulement. Car le Père est évidemment Père vis-à-vis du Fils (cf. 2 Jean 1, 3). Si donc la génération du Fils par le Père ne présuppose pas nécessairement la procession de l'Esprit, la procession de l'Esprit par le Père présuppose, comme un préalable logique (et non pas chronologique) la génération du Fils. Et non seulement la génération, mais la relation au Fils, hors de laquelle le Père n’est pas pensable comme tel et n’agit pas comme tel. De là, la procession ab utroque semble être une conclusion difficile à éviter. D’ailleurs, les théologiens orientaux tempèrent généralement leur assertion en concédant que l’Esprit procède du Père « par le Fils » (cf. Jean Damascène, De la foi Orthodoxe, Ι, 12 ).
B
ien que les formulations varient, l’Orient et l’Occident s'accordent en tout cas à dire que l’essence divine est une, et que chaque personne divine est réellement distincte de par ses propriétés. Sans doute est-ce la raison pour laquelle, pendant plusieurs siècles, ces deux écoles ont coexisté sans heurt.



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La Trinité des personnes convient à Dieu, car elle en traduit la perfection. Richard de Saint-Victor écrivait ainsi que : « en Dieu se trouve la bonté totale dans sa plénitude et sa perfection. Mais où il y a plénitude de la bonté totale, il y a nécessairement la vraie et suprême charité ; car rien n’est meilleur que la charité, rien n’est plus grand et plus parfait que la charité. Or jamais on ne dit de quelqu’un qu’il possède proprement la charité à raison de l’amour exclusivement personnel qu’il a pour soi-même ; pour qu’il y ait proprement charité, il faut que l’amour tende vers un autre. Par conséquent, où manque une pluralité de personnes, impossible qu’il y ait charité. » (La Trinité III, ii).
Il faut noter que si le Dieu éternel et immuable est amour (1Jean 4, 16), cet amour ne peut pas se réduire à sa relation avec les personnes créées - car la création n’est ni éternelle ni nécessaire. En revanche, ce surabondant amour s’étend librement aux créatures, une fois l’existence de celles-ci décrétée. Enfin, la loi qui est donnée à l’homme n’est rien d’autre que de partager, dans la mesure qui lui convient, cette vie divine (cf. Marc 12, 30-31).

Observation : Certains objecteront que ce qui est vrai de la créature (la charité véritable nécessite une pluralité de personnes) n’est pas nécessairement vrai pour Dieu. Mais alors, en quoi notre charité pourrait-elle avoir pour modèle celle de Dieu ? Et même si la charité pouvait exister en Dieu sans cette pluralité personnelle, devrait-elle nécessairement l’exclure ? Ainsi, l’argument de Richard reste valable, au moins comme raison de convenance.
 
Du reste, il est paradoxal d’envisager une charité qui, en Dieu, ne nécessiterait pas une pluralité de personnes, alors qu'on refuse d’envisager une pluralité de personnes qui, en Dieu, ne compromettrait pas l’unité (cf. Supra § 9, Observation).

 


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Luther notait : « Quand j'ignore les œuvres et la puissance de Dieu, j'ignore Dieu lui-même. Alors, je ne peux ni l'adorer, ni le louer, puisque j'ignore ce que je dois attribuer à Dieu et ce que je dois m’attribuer à moi-même » (cf. Traité du Serf arbitre, Préface). Or, le baptême trinitaire proclame que, de toute éternité, le Père a décrété le salut ; que dans l’Histoire, le Fils l’a accompli ; et qu’au quotidien, l’Esprit saint l’applique efficacement. Ainsi, le salut n’est pas une simple possibilité : de même que Dieu a créé le monde sans l’aide, la collaboration ni le consentement de celui-ci (et qu’Il maintient pareillement les choses à l’existence / Job 34, 12-15) de même le Salut, œuvre de nouvelle création, est réel, effectif, et entièrement l’œuvre de Dieu. En cela, le baptême fonde notre foi et notre espérance en Dieu seul, révélé comme seul auteur et garant de notre Salut (monergisme). Celui qui a cru doit donc en attribuer toute la gloire à Dieu, et attendre de lui seul sa persévérance finale et victorieuse dans la foi (Philippiens 1,6). 

Érasme de Rotterdam s’était employé à défendre la force et la vertu du libre-arbitre en matière de salut, allant jusqu’à invoquer l’autorité de grands saints — dont certains thaumaturges. Luther lui répondit en lui demandant lequel de ces miracles avait été opéré au nom du libre-arbitre ou pour sa gloire. Il ne s’agissait pas là d’une simple boutade ; cet échange met en lumière une vérité essentielle, à savoir qu’aucun prédicateur chrétien n’est envoyé pour annoncer « l’évangile du libre-arbitre ». Ce n’est pas par l’affirmation du libre-arbitre et des ses ressources qu’il doit rassurer ou réconforter les âmes, et ce n’est pas cette liberté qu’il doit recommander à la foi des hommes, puisque ce n’est pas là que réside leur Salut (Jérémie 17,5).

Ainsi, ceux qui font de la volonté de l’homme un agent décisif du Salut professent une doctrine contraire à la foi biblique. Loin d’être de véritables trinitaires, ils forgent en réalité une religion « quadrinitaire », où le Père aurait conçu le salut, le Fils l’aurait acquis, l’Esprit le proposerait, mais la créature en serait l’artisan final et indispensable par sa souveraine réception.


Observation : Il est vrai que l’homme a une volonté propre, et que le rejet de l’Évangile est une faute qui doit lui être imputée. Cependant, c’est à tort que les égarés pensent pouvoir en tirer un argument a contrario, comme si la réception (ou l’appropriation) effective de cet Évangile était ultimement le fait de cette même volonté. Car il n’y a pas de symétrie possible entre la perdition (une œuvre de néant dont l’homme, tiré du néant, est toujours capable) et le Salut (un Bien dont seul Dieu, auteur de tout bien, est effectivement capable). Et ce n’est rien dire de la corruption de l’homme, qui le rend de surcroît irréductiblement ennemi de tout bien.



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Conclusion de la première partie


Au terme de cette première partie, il apparaît que le Dieu Trinité est tout notre salut.
Le Père, principe de tout être, est la surabondance même qui fait notre béatitude.
Nous le contemplons en Jésus-Christ, son Fils unique, qui peut nous ramener à Lui puisqu’il est, de toute éternité, Dieu, à la stature du Père (cf. Mt 11,27).
Ce Fils, l’Esprit Saint nous le révèle intérieurement et nous y incorpore par la foi qu’il suscite en nous. L’Esprit peut agir ainsi — tout comme il fait de nous son temple — parce qu’il est Lui-même Dieu, « le propre de la substance du Père et du Fils » (cf. 1Co 2,10-11 ; Athanase, Lettre à Sérapion I,25).
Saint Irénée de Lyon résumait ce mystère au IIᵉ siècle :
« Sans l’Esprit, il est impossible de voir le Fils, et sans le Fils, nul ne peut arriver auprès du Père… C’est par l’Esprit que cette connaissance a lieu, et c’est le Fils qui le donne, selon ce que le Père veut, à ceux que le Père veut et comme il le veut » (Démonstration de la prédication apostolique). 

 

A suivre... 


Commentaires

Alain Rioux a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Alain Rioux a dit…
L'auteur fait bien de souligner le lien entre unité numérique et périchorèse. En effet, c'est parce que le Dieu trinitaire est relation substantielle que la circuminsession est la raison nécessaire de la Trinité dont chaque personne en est la raison suffisante. Ce qui serait impossible dans le cadre humain de l'unité spécifique, sans automatiquement faire tomber l'arbre de Porphyre lui-même sous la cognée de l'absurde ou de l'infini.

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