Principe du discours dogmatique: introduction


 
INTRODUCTION

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Le dogme est la formulation commune et solennelle d’une conviction de foi, concernant la personne et l’œuvre de Jésus-Christ. À ce titre, il constitue une croyance dotée d’une force normative au sein de la communauté qu’est l’Église.

Cette autorité du dogme repose sur sa conformité aux Saintes Écritures, qui demeurent la norme ultime de la foi.

Il est donc nécessaire de clarifier le principe garantissant la parfaite concordance entre les Écritures, l’Église et le fidèle. 

Observation : Parce que l’Église est chrétienne — et non biblienne — la foi de ses membres ne saurait se limiter à la conviction que les soixante-six livres de la Bible sont inspirés de Dieu. Elle porte essentiellement sur le contenu de ces Écritures, en ce qu’elles rendent témoignage à Jésus-Christ et à son œuvre rédemptrice. Car le pardon des péchés n’est pas promis à quiconque affirme l’inerrance de la Bible, mais à celui qui retient fidèlement l’Évangile.

Ainsi, par exemple, un pentecôtiste unitarien, bien qu’adhérant à une haute vue de l’inspiration biblique, ne saurait être considéré comme membre de l’Église, car il nie une vérité centrale de la foi chrétienne : la Trinité. 


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Même « Bible en main » un protestant ne saurait agir comme un pape. En effet, la légitimité du protestantisme repose sur la notion de « sacerdoce universel des baptisés » (cf. 1Pierre 2, 9-10 / cf. Luther : Appel à la Noblesse chrétienne), selon laquelle tous les fidèles peuvent lire et comprendre les Ecritures saintes. A l'inverse, la papauté consiste dans l'idée qu'un seul détient ce privilège.

Que chacun soit donc son propre pape, et bientôt plus aucun protestant ne restera en communion avec ses frères.


Observation : Boileau écrivait : « Tout protestant fut pape, une Bible à la main. » Cette formule satirique résume la tentation à laquelle ont succombé nombre de protestants : celle de s'ériger en interprète souverain des Écritures.

Ce travers, ainsi résumé par Boileau, n’est pas sans précédent. Le pape de Rome s’est d’abord élevé au-dessus de ses frères, prétendant être seul interprète autorisé de la Révélation (addition du filioque dans le Credo, causant le schisme de 1054).

Plus tard, à l’époque moderne, la littérature devint — selon la formule de Tocqueville — « un arsenal ouvert à tous », et le savoir, comme l’autorité, se démocratisa. Le pape n’étant finalement qu’un homme, d’autres hommes se crurent fondés à en faire autant que lui.

Ce que l’un prétendait imposer d’en haut, les autres voulurent désormais l’imposer chacun de leur côté. La même cause provoqua les mêmes effets : la multiplication des interprétations souveraines entraîna la fragmentation du corps ecclésial.


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On croit généralement résoudre la tension du sacerdoce universel en soulignant son universalité : si le fidèle n’est pas moindre que ses frères, il n’est pas non plus supérieur à eux. Par cette réciprocité, les conclusions de la communauté — en particulier celles des générations passées — devraient être reçues avec attention, à titre consultatif. Ainsi la « Sola Scriptura », norme ultime, ne devrait jamais devenir un « solo scripturisme », c’est-à-dire un tête-à-tête exclusif entre l’individu et son interprétation.

Mais cette solution, si séduisante en théorie, ne résout rien. Car à moins d’ériger la majorité en oracle — selon l’adage douteux vox populi, vox Dei — cette concertation demeure sans force contraignante. En effet, même le plus absolu des monarques ne refuse pas les conseils : le problème surgit lorsque les convictions de l’un entrent en conflit avec celles des autres. Chacun, dès lors, s’abrite derrière l'exemple d’Athanase — solus contra mundum — pour justifier sa propre dissension.


Observation : L’angle mort des individualistes modernes réside en ceci : ils se félicitent d’être seuls contre leurs frères, là où Athanase fut seul contre le monde.

Dès lors, deux issues seulement s’offrent à eux : ou bien exclure les autres du salut (les assimiler au monde), ou bien confesser, implicitement, une Église incapable d’unité réelle (pluralisme).



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L’Église est un peuple dont les membres ne sont pas unis par des critères ethniques, sociaux ou culturels mais par une foi commune - ou plutôt par l'objet de cette foi : Notre Seigneur Jésus-Christ, tel que révélé dans les Ecritures.

Or les membres de l’Église sont marqués, pour être séparés du monde, par le baptême.

Par conséquent, le baptême rend l’Église visible pour autant qu'il rend visible, en la récapitulant, la foi de cette Église. Apparaît ainsi en lui ce qui a été cru toujours, partout et par tous.


Observation : La nature de l’Église, qui est d'être un peuple (une assemblée), est également manifestée dans le baptême, puisque la célébration de ce sacrement initiatique implique un baptisant et un baptisé. On doit donc se garder de l'approche individualiste, ou contractualiste, dans laquelle les chrétiens précèderaient l’Église et auraient pour objectif d'atteindre une union. Tout au contraire, les chrétiens existent dans l’Église dont l'unité, celle de la foi, est un fait préalable.


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Le fidèle n'ayant pas d'autorité particulière, il ne peut pas choisir, de façon discrétionnaire, un passage des Ecritures qui présidera à l'interprétation de l'ensemble des Ecritures.

Son habilitation consistant dans le baptême qu'il a reçu en commun avec tous ses frères, c'est donc bien ce baptême qui servira de point d'ancrage et de sommaire au discours de tout fidèle. Ceci est d'autant plus certain que c'est l’Écriture elle-même qui, de sa propre autorité, a destiné cette partie d'elle-même (cf. Matthieu 28: 19) à devenir un tout en dehors d'elle-même (dans l'acte liturgique).

De même nature que les Ecritures dont il est tiré, l'acte baptismal possède donc (en tant que compendium) les caractères de la perspicuité, de la suffisance et de l'autorité des Ecritures saintes.


Observation : L’acte herméneutique ne saurait être laissé à l’arbitraire individuel. Lorsqu’un fidèle aborde l’Écriture en sélectionnant un passage qu’il érige unilatéralement en clé d’interprétation globale — comme un point d’appui archimédien —, il sort du cadre ecclésial de lecture pour entrer dans une logique privative, voire idéologique. S'introduire ainsi dans le domaine sacré des Ecritures nous fait l'effet d'une entrée par effraction, par une lucarne dérobée.

Cette tentation est fréquente : le dispensationnaliste organise sa lecture autour d’Éphésiens 3, 2; le partisan de la théologie de la prospérité commence par 3 Jean 2; le charismatique partisan de la trichotomie par 1Thessaloniciens 5, 23; l'adventiste appuie toute sa religion sur Matthieu 5, 17, tandis que l’antitrinitaire s’appuie volontiers sur Jean 14, 28. Même Luther, dans un geste interprétatif audacieux, a proposé de hiérarchiser les livres du canon selon leur proximité au thème de la justification. Dans sa Préface à l’Épître aux Romains, il estime que cette lettre est le cœur de tout le Nouveau Testament et que toute lecture biblique doit s’y rapporter. Si les conclusions du théologien de Wittenberg ont pu nourrir la foi commune, sa méthode — dont la tradition luthérienne elle-même s’est d’ailleurs écartée — demeure discutable.

Nous soutenons, à rebours de ces approches fragmentaires, que c’est par la médiation du baptême, rite d’entrée dans la communauté croyante et résumé symbolique de sa foi, que l’accès aux Écritures doit s’opérer. Démarrer à partir de ce point d'appui, c'est entrer dans la lumière biblique par la porte royale. Le baptême constitue ainsi une norme herméneutique fondamentale, enracinée à la fois dans le texte biblique (Mt 28, 19), la pratique liturgique communautaire, et l'expérience qu'en reçoit chaque fidèle.


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ANNONCE DU PLAN

Le baptême ne confère pas à chacun une licence pour abolir les dogmes ou proférer à leur place des opinions individuelles. Il constitue au contraire un mandat impératif, que chaque fidèle est tenu de respecter.

Tel qu’institué en Matthieu 28:19, le baptême est pleinement inspiré en chacune de ses parties - à savoir :


— la Parole, de nature trinitaire (I) ;

— le geste, ancré dans l’économie du salut (II) ;

— l’élément, porteur d’une signification eschatologique (III).


Observation : Ce qui a été dit du baptême comme résumé de la vie chrétienne s’applique également à l’eucharistie, mais en tant que persévérance dans cette même foi - elle suppose le baptême, dont elle approfondit certains aspects. Les deux sacrements forment en effet un diptyque (cf. 1 Corinthiens 10, 1–4), au point que l’Église d’Afrique les désignait respectivement comme le sacrement du salut (baptême) et le sacrement de la vie (eucharistie).

Dans cette même logique, saint Irénée de Lyon vérifiait la justesse de son interprétation des Écritures à l’aune de leur accord avec la célébration eucharistique.

En raison de ce qui a été dit de la suffisance structurante du baptême, c’est celui-ci qui constituera l’armature de notre propos. La richesse théologique de l’eucharistie trouvera principalement sa place dans les parties consacrées à l’économie du salut et à sa portée eschatologique.

 

Bucerian 


A suivre...

Commentaires

Anonyme a dit…
Cet article propose un excellent exorde. Car, il ajoute une réplique à l'image, dont usait naguère Karl Barth, pour illustrer la théopneustie biblique. En effet, la révélation scripturaire, selon lui, devait, à l'instar du miracle de la piscine de Béthesda, être envisagée sous l'angle de la même évanescence. Or, c'était sans compter sur la permanence du miracle, dont le baptême chrétien conjure le caractère éphémère au moyen de la Foi trinitaire qui le constitue. A telle enseigne que, l'Église, sous l'action du Saint-Esprit, n'a eu de cesse de préciser cette parole de Dieu, conformément aux Écritures canoniques, de l'Évangile selon saint Matthieu au Symbole originel de Nicée-Constantinople, en passant par la Didachè et le proto-symbole apostolique, attesté par saint Irénée. De sorte que, cet appel au saint baptême, en tant que règle herméneutique, constitue une excellente riposte au gnosticisme qui menace l'orthodoxie depuis toujours, d'Éden aux dernières élucubrations de la théologie libérale.

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