Principe du discours dogmatique/Deuxième partie: Le geste, ou l'économie du Salut
Après l'introduction et la première partie, c'est avec joie que je poursuis la publication de cette petite série sur la foi chrétienne. Ma prière est que cette humble étude permette aux frères et sœurs en Christ de se garder (ou de se retirer) des filets d'erreurs et de confusions qui foisonnent en ce monde.
14
L’ÉCONOMIE DU SALUT
Le
geste baptismal est tout autant inspiré que l’invocation qui
l’accompagne. Car, l’invocation sans le geste ne serait pas un
baptême, de même que le geste sans cette invocation ne serait pas
un baptême chrétien. Tout ceci est confirmé par la formule même
du baptême, dans laquelle le ministre ne se contente pas d’agir en
disant « Au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit »,
mais où il désigne l’acte qu’il pose, disant : « Je
te baptise (ou : Tu es baptisé) au nom, etc. »Le
mot « baptiser » (βάπτειν) signifie initialement «
im-merger » ou « plonger ». L’immersion proprement
dite est d’ailleurs le mode encore pratiqué dans les communautés
d’Orient, et elle fut longtemps la forme habituelle en Occident. On
aurait cependant tort de considérer l’immersion totale comme une
norme exclusive, car l’Écriture englobe sous le terme
de « baptême » les diverses ablutions rituelles (cf. Luc
11,38) et l’Église a pratiqué et reconnu cette forme dès le Ier
siècle (Didachè VII, 3). Dans ce cas, il y a en effet une sorte
d’immersion du baptisé, de par son passage sous, ou à travers
l’eau (cf. 1Corinthiens 10, 1-3).
Enfin,
nous l'avons vu, le mot « baptême » se trouve consacré
dans la formule liturgique, qui en élève le sens (sans le
supprimer) et lui donne une signification propre et nouvelle : il
n’est pas question de donner une description technique de l’action
posée mais d’en dire la signification spirituelle.
Or, nul ne
conteste le fait que le geste baptismal renvoie le baptisé à
l’ensevelissement du Christ après sa mort, ainsi qu’à sa
résurrection, le troisième jour (Romains 6,1-9; Colossiens 2,12;
1Pierre 3,21).
L’ensevelissement
du Seigneur ayant été le terme de son humiliation, et
sa résurrection ayant été le point de départ de
sa glorification (cf. Philippiens 2,5-10), le
baptême place donc les hommes pécheurs (I) au cœur du Mystère de
la Personne (II) et de l’œuvre (III) de leur Sauveur - cf. Romains
1, 3-4; Galates 3, 27.
Observation : Le baptême de Notre Seigneur apparaît comme une cheville ouvrière entre le dogme de la Trinité et celui de l’Incarnation, qui a rendu possible l’économie du Salut. En effet, le Seigneur Jésus n’a pu recevoir le baptême d’eau que pour autant qu’il était devenu homme ; et il n’est venu rejoindre les pécheurs que pour porter leur peine et les délivrer. Pourtant, dans cet acte même, la Trinité apparaît : le Père déclare du Ciel que Jésus, sur la terre, est son Fils bien aimé, tandis que l’Esprit saint descend distinctement du Ciel vers la terre, sous forme d’une colombe (Matthieu 3,16-17) – colombe qui n’est pas sans rappeler celle qui revint annoncer la paix et la réconciliation à Noé, après le baptême diluvien. Admirable Sagesse par laquelle Dieu ne révèle pleinement son Amour pour nous qu’en dévoilant l’Amour qui préexiste éternellement en Lui-même.
15
I. L’Humanité et sa Chute
Le
fait que tous les hommes naturellement engendrés
aient besoin de renaître d’eau et d’Esprit pour leur Salut
témoigne d’un état de perdition préalable et universel (Jean
3,3-6). On aurait donc tort d’imaginer que les hommes naissent dans
un état d’innocence, et que chacun se corrompt ensuite
par imitation (hérésie pélagienne).
Cet
état, étant commun à tous les hommes, remonte par
conséquent à leur ancêtre commun. Cependant, contre
les manichéens et les cathares, on doit souligner que la Bonté du
Créateur, autant que la vocation de l’homme au Salut, interdisent
de confondre la corruption de la nature humaine avec
la nature elle-même. C’est donc le premier homme, en tant que
représentant de l’humanité, qui, une fois créé, a causé sa
propre ruine et celle de toute sa postérité – sa faute étant
imputée à tous, et sa corruption étant propagée en chacun.
Observation :
Des
hommes peuvent être sauvés même sans avoir reçu le baptême
(Luc
23,43). La dénomination romaine elle-même le reconnaît, en
invoquant les notions de « baptême de désir » et celle
de « baptême de sang ». Pour notre part, nous parlons de
nécessité baptismale en un triple sens :
a)
En ce que le sacrement récapitule et symbolise (comme le souligne la
présente étude) la prédication de l’Évangile dont les hommes
ont normalement besoin, dans leur vie, pour leur Salut (Romains
10,14).
b)
En ce qu’il délimite visiblement l’Église, hors du giron de
laquelle il n’y a, ordinairement, pas de Salut (Actes 2,47).
c)
Enfin, en ce que le sacrement traduit une démarche de repentance et
de foi sans laquelle il est absolument impossible, à quiconque,
d’être sauvé (cf. Luc 7, 29-30).
Ainsi,
puisqu’on doit baptiser aussi largement que s’étend le Salut
(Actes 10,47), les nourrissons mêmes ne peuvent pas être écartés
du sacrement (Actes 2, 17-18 ; 39) : Dieu peut créer en leur
cœur un mouvement de foi, et il convient que cette foi ait pour
fondement son Évangile tel que normalement annoncé et célébré
dans son Église.
16
La
corruption de la nature humaine n’est certainement pas
superficielle. Elle est une mort spirituelle, qui affecte toutes les
parties de la nature humaine. Ce n’est donc pas seulement ce qu’il
y a de plus bas en l’homme – comme ses passions – qui est
opposé à Dieu et à sa Loi, mais c’est aussi ce qu’il y a de
plus noble en lui, comme l’intelligence et la volonté.
C’est
là le « cœur méchant » avec lequel naissent tous les
hommes, et dont procèdent ensuite toutes leurs actions,
immanquablement méchantes.
De
cette corruption totale, le geste baptismal est encore le
témoin. Car, au fait que tous les membres de l’homme sont des
instruments d’iniquité, répond le fait de l’immersion, synonyme
de mortification, de tout l’homme. Et la même logique préside à
la forme atténuée qu’est l’ablution : l’accessoire
suivant le principal, le fait que la tête, partie principale,
reçoive le signe de la mortification (en passant sous l’eau)
implique la mortification de l’homme également en ses parties
secondaires. De façon similaire, le Seigneur avait annoncé la
défaite totale du serpent en prophétisant
simplement que sa tête serait écrasée (Genèse 3,15).
Observation :
Ce
dogme de la corruption
totale de
l’homme souligne ce que nous disions de son incapacité à se
sauver, ou à trouver en lui-même une ressource propre à accueillir
effectivement le Salut (§12). L’Évangile est le moyen de Grâce –
ce par quoi nous est annoncé le Salut en Jésus-Christ – que Dieu
adresse à tous les hommes ; cependant, l’accueil intérieur
et durable de cette Bonne Nouvelle est encore un effet de cette
Grâce, que Dieu applique souverainement.
Pourquoi
Dieu ne décide-t-il donc pas de venir à bout de cette résistance
innée chez Caïphe, alors qu’il a surmonté cette même rébellion
en Saül, devenu saint Paul ? Voilà une question que l’Écriture
ne permet pas de poser autrement que pour s’humilier devant le Dieu
vivant (Romains 9). Toujours est-il que cela doit mettre chacun en
garde contre soi-même : Dieu n’étant jamais tenu de
surmonter l’opiniâtreté du rebelle, celui-ci ne se livre à la
moquerie qu’à ses risques et périls. Si elle doit nuire, cette
méchanceté ne nuira en définitive qu’à celui qui s’y livre.
17
II. La Personne du Sauveur
Nous
l’avons établi : seul quelqu’un qui est Dieu peut sauver
les hommes (§ 12). Le Christ est notre Sauveur. Le Christ est donc
une personne divine - la deuxième de la Trinité bénie (§ 9). De
toute éternité, il est cet être infini, immuable et incorporel
dont nous avons parlé (§ 8).
C’est
aussi en vertu de cette divinité que la glorification de cette
personne (son Ascension, suivie de sa Session à la droite du Père
et son Règne éternel) est convenable.
Cependant, le baptême
nous dépeint la mort et l’ensevelissement de ce Seigneur
de gloire. Or, souffrir et mourir ne convient qu’à un être
passible et corporel. Par conséquent, il faut que la seconde
personne divine soit devenue homme.
Reste à clarifier, autant
que nécessaire, la relation humano-divine en Christ, le Nouvel
Adam.
Observation :
Pour
sauver les hommes, le Sauveur ne devait pas seulement être un homme,
mais être le nouveau chef de l’humanité : le nouvel
Adam (Romains 5,17-19/1Corinthiens 15,22).
C’est
ainsi qu’il a été miraculeusement conçu du Saint-Esprit et qu’il
est né de la Vierge Marie - afin d’être à
la fois l’un
des membres de la race humaine, et son nouveau
point de départ, immaculé.
Saint Irénée (Contre
les hérésies, III) nous
dresse ici un éclairant parallèle avec la création d’Adam :
« Or,
d'où provenait la substance du premier homme ? De la volonté et de
la sagesse de Dieu et d'une terre vierge. C'est donc tandis qu'elle
était encore vierge que Dieu prit du limon de la terre et en modela
l'homme pour qu'il fût le point de départ de l'humanité. Comme
c'était cet homme même qu'il récapitulait en lui, le Seigneur
reçut donc une chair formée selon la même économie que celle
d'Adam, en naissant d'une Vierge, par la volonté et la sagesse de
Dieu, afin de montrer lui aussi une chair formée d'une manière
semblable à celle d'Adam et de se faire cet homme même dont il est
écrit qu'il était, à l'origine, à l'image et à la ressemblance
de Dieu. »
18
Au
cours de l’histoire, certains ont enseigné que la personne divine
du Fils de Dieu était unie à la personne de l’homme de Nazareth :
Jésus, le fils de Marie. Que cette union morale,
ou accidentelle de deux personnes, avait
commencé ou bien à la conception de Jésus (erreur de Nestorius) ou
bien lors de son baptême (erreur des ébionites). Cependant, s’il
y avait deux personnes, deux « quelqu’un », il n’y
aurait plus « un seul sauveur ». Il faut au contraire que
la personne qui a mérité notre Salut par ses souffrances soit
celle-là même qui possède la nature divine, laquelle seule confère
une valeur infinie à son mérite.
Enfin, s’il y avait une
personne de l’homme de Nazareth qui était co-agent de notre Salut,
il nous faudrait bien entendu adorer cette personne ; cela nous
renverrait à l’hérésie païenne que nous avons écarté en
parlant du rôle exclusif de Dieu dans le Salut (§
12).
Par
conséquent, nous confessons que le Christ est une seule personne, un
seul quelqu’un : Celui qui est engendré du Père
avant tous les siècles, est le même qui a été conçu dans les
derniers temps par le Saint-Esprit et qui est né de la Vierge Marie,
qui est dite pour cette raison « théotokos » (celle qui
a enfanté Dieu). C’est encore ce même « quelqu’un »
qui a souffert sous Ponce Pilate, etc.
A
l’inverse, certains ont enseigné que cette unité de la personne
divine impliquait la négation de l’humanité du Christ.
Cette
famille d’erreurs est si ancienne (l’apôtre Jean semble l’avoir
connue et lui avoir adressé ses condamnations les plus sévères) et
si protéiforme qu’il serait vain de prétendre en faire une liste
exhaustive. Nous signalerons simplement :
Les docètes, qui
croyaient que le Fils de Dieu avait eu l’apparence d’un humain
sans en être devenu réellement un. N’ayant pas de corps, un autre
avait finalement pris sa place sur la croix. D’autres esprits plus
subtils, comme Apollinaire d’Alexandrie, qui ont admis que le Fils
de Dieu avait endossé un corps humain, mais pas l’âme humaine –
l’enveloppe corporelle sans son logiciel. D’autres (Dioscore
d’Alexandrie, Eutychès de Constantinople…) qui ont enseigné que
le Fils de Dieu, en descendant sur la nature humaine, avait dissous
et absorbé cette dernière dans sa divinité. Parmi les premiers
mennonites, beaucoup croyaient semblablement que le Fils de Dieu
n’avait pas pris son humanité de la Vierge Marie mais qu’il
avait amené son corps du Ciel (selon une lecture malheureuse de Jean
6, 62).
Cependant,
l’homme, qui a péché dans son corps et dans son âme (Genèse
3,6) doit être racheté tout entier. Si la personne
divine du Fils n’avait pas véritablement uni à lui toute notre
nature humaine, il ne serait pas notre parfait Sauveur (Hébreux
2,14).
Enfin,
on doit pareillement honnir la fausse doctrine plus récente, dite
« kénotiste », soutenue notamment par le bibliste
Frédéric Godet, selon qui le Fils aurait cessé d’être Dieu en
se faisant homme – et aurait cessé d’être réellement homme une
fois glorifié, ou redevenu Dieu. Une telle
doctrine, attentatoire à l’ordre et à l’immuabilité du Dieu
Trinitaire, n’est en dernière analyse que le mélange de toutes
les erreurs, depuis celle de l’arianisme jusqu’à celle des
premiers mennonites.
La
doctrine orthodoxe est que la Personne adorable du Fils de Dieu a
assumé la nature qu’il est venu sauver, c’est-à-dire qu’il a
uni dans sa Personne (un seul quelqu’un) la nature humaine à
la nature divine (deux quelque chose), étant « vrai
Dieu et vrai homme », en tout semblable à nous sauf le péché ;
bref : ou Emmanuel, c’est-à-dire : Dieu avec
nous (Matthieu 1,23).
Observations
: On
fera grand profit, pour la compréhension de cette vérité, de la
lecture du Tome à Flavien, écrit par Léon, évêque de Rome au Ve
siècle, et dont voici quelques lignes :
« De
la Mère du Seigneur est assumée la nature, non la faute ; et ce
corps, né d'une vierge, n'en est pas moins de la même nature que le
nôtre. Vrai Dieu, c'est un homme véritable; il n'existe aucun
mensonge dans cette alliance, l'humilité de l'homme et la puissance
de Dieu sont réunies. Sa divinité n'est point altérée par son
œuvre de miséricorde, et elle laisse son humanité intacte. Chaque
nature agit avec la participation de l'autre; mais le Verbe opère
comme le Verbe, et la chair comme la chair. L'une brille par des
miracles, l'autre succombe sous les injures. Le Verbe partage
toujours la gloire de Dieu son Père, et la chair les faiblesses de
notre nature. Jésus, comme on doit le répéter, est seul et à la
fois le vrai Fils de Dieu, le vrai Fils de l'homme. Dieu, car dans le
principe il était le Verbe et le Verbe était en Dieu et Dieu était
le Verbe; homme, car le Verbe se fit chair et habita parmi nous.
Dieu, car il a tout créé et rien n'a été fait sans lui; homme,
car il est né d'une femme et soumis à la Loi. La naissance de sa
chair prouve sa nature humaine, et sa conception dans le sein d'une
vierge, sa nature divine. Son humble berceau montre qu'il n'était
qu'un petit enfant, et les chants des anges révèlent sa grandeur
toute puissante. Il est, comme les hommes, enveloppé dans des
langes, lui dont l'impie Hérode conspire la mort; mais il est le
souverain maître de tous les mortels, lui devant qui les mages
viennent se prosterner avec joie. Quand il vint recevoir le baptême
de Jean, son précurseur, on put s'assurer de la réalité de sa
nature divine, par ces mots que Dieu le Père fit retentir du haut
des cieux : Celui-ci est mon
Fils bien-aimé dans lequel j'ai mis toute mon affection.
Homme, il est tenté par le démon; Dieu, il est servi par les anges.
Enfin, il donne une preuve évidente de son humanité en étant
soumis à la faim, à la soif, à la fatigue et au sommeil, et une
non moins frappante de sa divinité, lorsqu'il rassasie cinq mille
hommes avec cinq pains, qu'il donne l'eau vive à la Samaritaine et
la désaltère de telle sorte qu'elle n'ait jamais soif, qu'il marche
sur la mer sans se mouiller les pieds et qu'il apaise les fureurs de
la tempête. Pour m'arrêter à ces derniers exemples, ce n'est pas
la même nature qui pleure sur la mort de son ami Lazare, le fait
sortir du sépulcre et le ressuscite quatre jours après; qui se
laisse attacher à la croix et change le jour en ténèbres et
bouleverse les éléments; qui, fixée par des clous, ouvre les
portes du ciel au bon larron. Ce n'est pas la même nature qui dit
: Moi et mon Père ne sommes
qu'un; et ensuite: Mon
Père est plus grand que moi. Quoiqu'il
n'y ait qu'une seule et même Personne en notre Seigneur
Jésus-Christ, cependant on ne doit point en conclure que ses
souffrances et sa gloire soient communes à ses deux natures; car il
est inférieur à son Père comme homme, et comme Dieu il est son
égal. »
19
III. L’œuvre du Sauveur et le profit qui nous en revient
La
personne du Fils de Dieu a donc assumé, ou s’est appropriée la
nature humaine : un corps matériel et une âme douée
de raison et de volonté humaines
(cf. § 16). Dans cette nature, le Christ a voulu ce que le premier
Adam n’avait pas voulu - à savoir, obéir à Dieu et
accomplir sa Loi : aimer son Père plus que tout, ainsi que les
hommes dont il partageait la nature (§11). Il a ainsi pu accomplir
le bien qu’Adam n’avait pas fait, et plus encore réparer la
faute dont Adam s’était rendu coupable ; et non seulement la
faute d’Adam, mais encore toutes les fautes commises dans le
sillage de sa Chute.
En la personne du Christ, la volonté de
l’homme rencontrait ainsi celle de Dieu, réalisant l’Alliance,
réalisée par l’accord des volontés entre les parties (Luc 22,
42).
Observation
:
Puisque la volonté humaine a été mise au diapason de la volonté
divine dans la personne du Christ uniquement,
il est certain que jamais une personne ne peut vouloir
véritablement le bien salutaire tant qu’elle n’est pas née de
nouveau en Jésus-Christ. Tout ce que l’homme veut avant d’être
irrésistiblement saisi par la Grâce, est par conséquent
irréductiblement contraire à Dieu et à sa Parole. La croyance
selon laquelle la nouvelle naissance dépendrait, même en partie,
d’une collaboration entre la volonté non encore régénérée et
celle de Dieu, est donc entièrement fausse et attentatoire à ce
principe : solus
Christus - le
Christ seul (cf. §§ 12 et 16).
Certains
s’efforcent de soutenir que, certes, l’homme ne peut fournir
aucune coopération active,
en posant des actes
positifs ;
mais qu’il lui est seulement demandé de ne
pas
s’opposer à l’œuvre de la Grâce. Qu’il lui est donc demandé
une abstention (ne rien faire) et que le Salut se décide ainsi
finalement entre ceux qui s’opposent et ceux qui ne s’opposent
pas à cette œuvre de Dieu. Mais, outre le fait que s’abstenir du
mal est déjà un acte de bonne volonté, rappelons que c’est cette
simple abstention (ne mange pas) qui était demandée à Adam, et
c’est elle qu’il a refusé d’observer ; de sorte que,
marqués du sceau de cette même rébellion, les hommes ont encore
besoin de la Grâce irrésistible
pour répondre favorablement à l’exhortation de la Parole :
n’endurcissez
pas vos cœurs (Hébreux
3,15). Oui, nous devons tout
à la Grâce: sola
Gratia.
Tout
cela est impliqué par la
formule baptismale:
« Je te baptise ( ou : Tu es baptisé) au nom de…
», qui est une parole performative, dont l’efficacité dépend de
Dieu.
20
Selon
cette volonté, le Christ, véritable Israël (cf.
Ésaïe 49), n’a pas seulement mené une vie parfaitement juste et
innocente pour son peuple, mais il a encore consenti à subir, sur la
croix, la peine et la malédiction que méritaient les membres de ce
peuple. C’est pour cela qu’il s’est fait homme et qu’il est
mort – ainsi qu’en témoigne l’immersion baptismale.
Or,
nous l’avons déduit de l’universalité du baptême (§ 15)
: une faute que nous n’avons pas personnellement commise nous est
cependant imputée, et la corruption de la nature d’Adam,
qui a fauté, a également été propagée en chacun
de nous.
Pour cela, une même logique s’applique à notre
rapport au nouvel Adam, notre nouveau chef, Jésus-Christ : sa
justice nous est premièrement imputée avant que sa
sainteté ne découle en nous et nous change à son image, de gloire
en gloire (Romains 5,18).
Observation :
Saint Augustin témoignait de
ce merveilleux échange, en écrivant que l'holocauste
du Seigneur est d'une
certaine manière offert pour chaque homme en particulier au moment
où il est marqué de son nom en recevant le baptême (Explication
commencée de l’épître aux Romains, 19).
Mais
cet auteur avait raison de préciser que le sacrifice est alors
offert « d’une
certaine manière »
seulement, car il est certain que, tout comme nous ne sommes baptisés
qu’une seule fois, Christ aussi n’est mort qu’une seule fois,
après quoi il est ressuscité pour ne plus jamais traverser une
telle épreuve – tout comme nous ressortons de l’eau après y
avoir été ensevelis (cf. Romains 6,9).
21
Il
est certain qu’une telle Grâce n’est pas commune à tous les
hommes, car tous ne sont pas chrétiens. Il est vrai
aussi que cette Grâce n’est pas vécue par tous ceux qui portent
simplement le nom de chrétien, ou qui ont été
seulement baptisés. C’est parce que le baptême exprime et célèbre
l’Évangile, la Bonne Nouvelle et la promesse du
Salut en Jésus-Christ (Marc 16,16). Or, puisqu’il est une Bonne
Nouvelle et une promesse, l’Évangile
baptismal ne peut être reçu que par un moyen : celui de la
foi, ou la confiance dans le Christ des Écritures que
l’Esprit fait naître dans les cœurs, – par le moyen de cet
Évangile – où et quand Il veut.
La
dénomination romaine, qui nie l’imputation salutaire
de la Justice du Christ autant que le moyen de cette
imputation – la foi seulement (sola fide), mérite donc d’être
condamnée.
Observation
: Les romanistes ont accusé
les protestants d’enseigner un salut par la foi seule, au sens
d’une foi qui consisterait en un simple acquiescement de
l’intelligence à la doctrine de l’Évangile, mais qui pourrait
ne jamais produire de bonnes œuvres. Contre de telles calomnies,
nous rappelons que la foi est une confiance du cœur autant qu’une
connaissance, et que cette réception surnaturelle de la Personne et
de l’œuvre du Sauveur est nécessairement accompagnée, ou suivie,
de bonnes œuvres. La différence réside dans le fait que pour nous
qui protestons fidèlement l’Évangile, les œuvres que nous
produisons sont la conséquence
nécessaire, et non
pas la
cause ou la
condition nécessaire,
du Salut (cf. Éphésiens 2,10).
On
pourrait donc
illustrer l’œuvre
du Salut comme
suit :
par la prédication de l’Évangile, la colombe de l’Esprit saint
descend dans les branches de notre cœur et y tisse un nid, la foi,
pour être l’habitation du Fils de Dieu (Éphésiens 3,17). Le fait
que seul ce
nid soit le réceptacle et le lien avec le Sauveur ne signifie pas
que le nid soit ou reste vide, ou que son occupant, le Christ, n’y
produira rien. Voir en ce sens : Jean Calvin, Institution
de la religion chrétienne,
III, iii ; 1.
22
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE
Nous
avons dit que le propos du baptême, plus tacite au sujet de
l’économie du Salut qu’au sujet de la foi Trinitaire, pouvait
être appuyé par l’eucharistie, sœur du baptême (cf. §
6).
C’est donc ici le lieu de résumer ce que nous avons dit,
sous le jour du sacrement eucharistique (Matthieu 26,26-29 ;
Marc 14,22-25 ; Luc 22, 14-20 ; 1Corinthiens 11, 23-26).
A)
Dans ce repas sacré, le Fils de Dieu y donne « son corps »
et « son sang » comme aliment et breuvage des âmes –
témoignant qu’il s’est approprié la nature humaine en son
entier. Le corps, aussi bien que l’âme, avec leurs facultés et
leurs peines, étaient ceux de cette personne divine, à tel point
qu’il est écrit qu’il « croissait en sagesse, en stature, et en
grâce » (Luc 2,52), que sa raison humaine ne pouvait pas
découvrir le jour de la Parousie (Marc 13,32) et qu’il
revendiquait comme « sienne » la volonté humaine qu’il
avait assumée (Luc 22,42).
B) Ce corps était
celui de la postérité promise à Abraham et à David. Car Jésus
reprit et assuma le destin d’Israël, assurant le Salut de tous les
fidèles, aussi bien ceux de l'Ancien que du Nouveau Testament, afin
de les unir et de les ramener au Père, par son Esprit, dans la
Patrie céleste promise par Dieu à ses saints. (Matthieu
8,11).
C)
Ce repas témoigne également que ce corps fut livré pour nous, et
que ce sang est celui « de l’Alliance », répandu pour
« la rémission des péchés ». Le Christ a donc bien agi
comme notre grand-prêtre, présentant pour nous un Sacrifice unique,
parfait et définitif.
Le
fait que nous soyons continuellement renvoyés à cet Évangile
(faites ceci en mémoire de moi) témoigne assurément du fait que
toute notre vie durant, nous n’avons pas d’autre assurance et de
fondement que celui-ci.
Le
fait que boire et manger n’ont en soi aucun effet salutaire (il
peut même en résulter la condamnation) suffit également à montrer
que la foi est ce qui reçoit, de façon profitable, ce qui nous est
présenté dans l’Évangile.Enfin,
la résurrection corporelle du Christ, qui est un fait tout aussi
historique et accompli que sa Passion, est attestée par ces
éléments : que son corps et son sang nous vivifient (ce qu’ils
ne feraient pas s’ils étaient eux-mêmes morts) et que Christ nous
promet de manger et boire à nouveau avec nous dans son Royaume.

Commentaires