Qui peut baptiser ?

 

 
 
Nous avons souvent discuté de la question de savoir qui pouvait être baptisé. Une autre question se pose néanmoins (et sans doute plus fréquemment qu'on ne le pense!), à savoir: qui peut baptiser ? Plus précisément: un "simple" chrétien a-t-il la capacité d'administrer le baptême ? Si oui, en a-t-il aussi le droit ?
Les Anglicans et les Luthériens répondent "oui" à ces deux questions; les Réformés et les Presbytériens y répondent, pour leur part, de façon négative.
Selon eux, le ministère de la Parole et des Sacrements ne peut et ne doit être exercé que par les ministres ordonnés, si bien que les simples fidèles n'ont pas le droit d'agir en ces matières. Le feraient-ils, que leurs actes seraient entièrement nuls et non avenus (tout comme un acte de puissance publique qu'un particulier aurait la témérité d'exercer dans un État). Les défenseurs de cette théorie prétendent enfin qu'aucun exemple biblique ne permet de soutenir une autre opinion.

L'histoire de l’Église plaidant massivement pour la validité des baptêmes administrés par des "laïcs" (cf. Le Traité de la primauté du pape de Philippe Melanchthon, adopté comme appendice de la Confession d'Augsbourg, par l'assemblée de Smalkalde, en 1537), il incombe à l'école Réformée/Presbytérienne de prouver, hors de tout doute raisonnable, son opinion particulière.
Or, nous montrerons, dans cet article, que les Réformés (et les Presbytériens) échouent à administrer la preuve qu'on leur demande, et nous expliquerons pourquoi nous partageons les conclusions des premiers (Luthériens/Anglicans).


1. Le Sacerdoce universel

L’Église ne reconnaît essentiellement qu'un seul ordre : celui des baptisés (Symbole de Nicée-Constantinople). Toute l'entreprise de la Réforme repose d'ailleurs sur ce principe. En l'an 1520, dans son Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande, Luther expliquait déjà que les chrétiens sont un peuple royal (cf. 1Pierre 2: 9), une fratrie de princes, de prophètes et de prêtres qui choisissent l'un d'eux pour qu'il administre ordinairement leur société (ordination) sans être dépossédés de leur dignité et de leurs droits.
NB: certains essaient parfois de relativiser l'assertion de l'apôtre Pierre, dans le passage mentionné précédemment. Pour cela, ils font remarquer qu'un texte similaire existait dans l'Ancien Testament, au sujet du peuple d'Israël (Exode 19: 6) sans empêcher la distinction très nette entre peuple et prêtres, à l'intérieur de cette nation. Mais lire le Nouveau Testament à la lumière de l'Ancien est contraire à la démarche chrétienne. En l'espèce, cela constitue une négation de la Pentecôte (Actes 2: 17). Il convient donc de voir dans l’Église une réalisation des ombres et des figures vétérotestamentaires, plutôt que l'inverse.
S'il convient donc de respecter l'ordination et ses conséquences (cf. Confession d'Augsbourg, art. 14), cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas des circonstances particulières où l'intérêt supérieur des âmes justifie qu'un chrétien agisse en sa qualité nobiliaire et sacerdotale (pour annoncer l’Évangile à quelqu'un, ou pour le baptiser, par exemple). La preuve que l'ordination n'abolit pas cette qualité chez les fidèles, c'est que ceux-ci continuent de juger les ministres (1Corinthiens 14: 29).
 

2. La capacité de transmettre
 
Si les baptisés ne pouvaient pas nécessairement transmettre ce qu'ils ont reçu (=le baptême) il conviendrait d'envisager la même réserve pour l'ordination: tout ministre ordonné ne serait pas nécessairement en mesure d'ordonner autrui; il se pourrait que ce pouvoir fut effectivement réservé à certains. C'est d'ailleurs très exactement ce que soutiennent les Églises épiscopaliennes (où le pouvoir d'établir des ministres est réservé aux seuls évêques). Bibliquement, une telle découpe dans le ministère ne se soutient pas plus difficilement (cf. Tite 1: 5, etc.) que la division imaginée par les Réformés, entre les baptisés.
Dans ce cas terrible, il est évident qu'aucun ministre Réformé ne serait légitime. Si on conjuguait cette idée à celle, particulière aux Réformés, que seuls des ministres légitimes peuvent baptiser, alors, aucun Réformé ne serait baptisé depuis le XVIe siècle.
NB: les généalogies épiscopales romaines ne parviennent pas elles-mêmes à certifier leur succession apostolique au-delà du XVe siècle (Lignée Estouteville, 1440 AD). C'est donc à l'angoisse générale que mènerait l'application de telles idées, dont on fait bien de se garder (cf. Tite 3: 9)!


3. Le lien de la prédication et du sacrement

Les Réformés font valoir que le sacrement est un appendice de la prédication, qui a été confiée aux seuls apôtres - et, de là, à leurs seuls successeurs dans le ministère (cf. Matthieu 28: 19).
Mais si on allait au bout de cette idée, un "simple" chrétien ne serait pas seulement dans l'incapacité absolue de baptiser un nouveau croyant; il serait encore et surtout dans l'incapacité d'annoncer l’Évangile à un païen. Si le "simple" croyant s'avisait de le faire, sa prédication serait nulle et la foi du nouveau converti serait elle-même une présomption illusoire; son salut serait en réalité impossible - l’Évangile ne lui ayant pas été annoncé par un ministre régulièrement ordonné (cf. Romains 10).
De telles aberrations, insinuées et/ou soutenues par certains, ne méritent même pas de réponse et suffisent à prouver la fausseté de toute la théorie.
Notons pour l'heure ce principe, que celui qui peut le plus peut aussi le moins. Si un "simple" chrétien peut annoncer l’Évangile dont le baptême est un accessoire, alors ce "simple" chrétien peut aussi baptiser.
Notons surtout cet autre principe: que la Parole de Dieu étant efficace indépendamment de celui qui la prêche, le statut et la disposition du ministre (ordonné ou de fait) ne peuvent pas la diminuer ou l'annuler.
Il se pourrait donc que le baptême administré par un "simple" fidèle fut administré de façon irrégulière, mais il n'en serait pas moins valide.


4. Que l'envoi des uns n'empêche pas l'exercice des autres
 
Les miracles et les œuvres similaires, comme les exorcismes, ne sont pas seulement des expressions de la miséricorde de Dieu pour les hommes (lors de guérisons, par exemple); ils attestent aussi le message, voire le messager (cf. 2Corinthiens 12: 12). Ce n'est donc pas une chose sans importance, et l’Écriture insiste sur le fait que les miracles étaient ordinairement opérés par les mains des apôtres (cf. Actes 2: 43, etc.)
Dans l’Évangile, nous voyons ainsi que le Seigneur a d'abord envoyé ses disciples en leur donnant le pouvoir de prêcher, d'opérer des miracles
, de chasser les démons, etc. (Luc 9: 1-2), tout comme il les a ensuite envoyés pour prêcher et baptiser (Matthieu 28: 19).
Mais le Seigneur a aussi désavoué ses disciples lorsque ces derniers ont cru que leur dignité devait interdire à tout autre personne d'opérer les miracles qu'ils avaient été chargés d'accomplir (Luc 9: 49-50). L'intérêt supérieur de la Vérité et du Salut des âmes justifie donc l'action de ceux qui ne sont pas formellement ministres - tout comme cet intérêt des âmes et de la Vérité justifiait encore qu'on violât le saint sabbat (cf. Matthieu 12:10).


5. Hypothèse de la délégation

Par ailleurs, tout comme les apôtres ont délégué le service des tables à des diacres (Actes 6), il est vraisemblable qu'ils aient généralement délégué la charge de baptiser - afin d'éviter les sectes. A l'appui de cette idée, on trouve la déclaration de l'apôtre Paul: qu'il n'a pas tant été envoyé pour baptiser que pour prêcher, et qu'il n'a de fait pas baptisé beaucoup de personnes à Corinthe (1Corinthiens 1: 15-17).
On voit aussi que l'apôtre Pierre n'a manifestement pas baptisé lui-même Corneille et sa famille, mais qu'il a délégué cette tache aux frères qui étaient venus avec lui, et dont rien n'indique qu'ils étaient ordonnés (Actes 10: 23 et 48). Aujourd'hui encore, lorsqu'un fidèle (qui n'a pas été ordonné) baptise un nouveau converti, il le fait d'autant plus régulièrement que les pasteurs et évêques de son Église (Luthérienne ou Anglicane) ont fait savoir qu'en cas d'absence de leur part, ils chargeaient quiconque de baptiser. Le bon ordre et la paix de l’Église ne sont donc pas violés par cet usage.


6. Les faits bibliques

C'est à tort que les Réformés et les Presbytériens prétendent qu'un tel usage ne se justifie par aucun exemple biblique. Car, outre celui de Pierre avec la maison de Corneille, il y a encore celui de Paul baptisé par Ananias (Actes 9: 18), dont rien ne prouve qu'il fut ministre.
De même, Philippe, diacre, qui baptisa l'eunuque et les samaritains (Actes 8). Il ne sert à rien de souligner que Philippe fut appelé, plus tard, un évangéliste (Actes 21) car nul ne sait si ce titre fut un titre formel ou informel, s'il reçut pour son exercice une nouvelle ordination ou pas, etc. et le texte biblique ne nous permet pas d'établir autre chose, sinon qu'il était diacre lorsqu'il baptisa.
Enfin, puisqu'on compare (surtout chez les Réformés et les Presbytériens!) le baptême à la circoncision, il convient de noter que la circoncision opérée par Séphora sur son fils Gershom prouve notre position (cf. Exode 4) .
Les Réformés et les Presbytériens insistent sur le fait qu'on ne peut pas prendre comme modèle l'attitude revêche et désordonné de Séphora. Qu'on se rassure: il n'est pas non plus question, pour nous, de prendre ses défauts pour modèle! En revanche, il est certain que tous ces défauts constituent, en faveur de notre position, un argument a fortiori.  Cette affaire prouve en effet que le sacrement donné par un laïc (voire une laïque), et ce même avec un cœur mal disposé, reste valide.


7. Les cités terrestres, modèle de la cité céleste ?

Les Réformés et les Presbytériens  font remarquer que l'organisation des cités terrestres est toujours divisée entre gouvernants et gouvernés, et que les actes de puissance publique entrepris par ces derniers sont invalides. Mais ce dernier argument est doublement malheureux, parce que l’Écriture nous met en garde contre la tentation d'une trop grande imitation du modèle des cités terrestres (cf. Luc 22: 25-26); d'autre part, parce que même les États terrestres reconnaissent généralement que la nécessité fait loi, de sorte que les bonnes initiatives prises par les particuliers, dans des circonstances particulières ou exceptionnelles, méritent d'être ratifiées (neutralisation d'un criminel par un citoyen, etc.)

 
Conclusion

Certaines Églises préfèrent laisser des nouveaux convertis sans baptême pendant des années plutôt que de reconnaître la régularité, voire la validité d'un baptême administré par un "laïc". Il ressort pourtant largement des Écritures que tout baptisé peut devenir ministre de fait pour le bien de son prochain, et que tout baptisé ayant agi ainsi est présumé avoir poursuivi ce but légitime.
 

Bucerian

Commentaires

Manu a dit…
Bonjour Bucerian,

En tant que « luthéro-réformé confessant » , je souscris grandement à votre analyse. Je pense qu’un laïc homme ou femme peut baptiser en cas de nécessité, bien qu’en temps normal , il est du devoir des ministres ordonnés de baptiser, qui eux, ont reçu l’autorité d’administrer les « mystères de Dieu » (1 Corinthiens 4:1).

Un autre argument a délivrer : beaucoup de ces réformés reconnaissent la validité du baptême administré par l’Eglise catholique romaine et les écclésioles baptistes, car la confession Gallicana interdit le « rebapteme des personnes issues du catholicisme ». Or , est-ce qu’ils reconnaissent les ministres de ces Eglises comme d’authentique prédicateurs ? Si c’est pas le cas , la reconnaissance du baptême me paraît contradictoire.


Bonjour Manu,
Vous avez tout à fait raison, et on pourrait poser encore d'autres hypothèses: un pasteur de l'ERF qui, par les termes mêmes de son ordination, est délié de toute croyance aux articles du Credo, est-il validement ordonné?
Faut-il considérer qu'une femme pasteur a pour elle l'apparence de l'ordination, ou qu'elle est trop évidemment irrecevable au ministère pour qu'on ait cru, de bonne foi, à sa légitimité?
On voit qu'on ouvre la boîte de Pandore des casuistiques insolubles.

Du reste, il y a eu des théologiens et des Églises (James Henley Thornwell et des Églises presbytériennes du Sud des États-Unis) qui ont affirmé l'invalidité des baptêmes catholiques romains (au moins depuis la réception du concile de Trente, depuis laquelle la déchéance des ministres romains n'est plus à démontrer). Mais leur cas est très isolé - à tel point que je ne sais pas s'il existe encore des Églises soutenant cette politique.

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