Fable profane, noblesse ou dérision ?

 


Sans poser au Pococurante du Candide, d'aucuns accueilleront la remarque, selon laquelle la notion de dilemme représente le faîte de toute œuvre d'imagination profane, à proprement parler.

En effet, le dilemme découvre l'éminente dignité de l'homme: sa liberté. Car, cette capacité d'auto-détermination affirme la souveraineté du sujet, comme le récit génésiaque en fait foi, entre autres.

Or, c'est justement cet aspect, en dernière analyse, injustifiable du choix humain, qui a été mis en scène avec bonheur par un Sophocle, pour sa gratuité sociale, en Antigone. Ensuite, de façon plus concentrée, chez un Racine, la transe, le vertige du choix culmina, sous l'angle moral, par Phèdre, continuée pour le Roman, dans la Princesse de Clèves, de Mme de Lafayette.

A cet effet, on notera le processus littéraire de densification du sujet et du mode d’expression fictionnel. Car, de social qu’il était en Antigone, le drame devint moral chez Phèdre. Pourtant, parce que relevant du théâtre, ces deux intrigues restaient divisées entre le prosaïsme du public et le mirage de la fable. Par conséquent, la Princesse de Clèves demeure l’aboutissement de la démarche d’unification et de concision du récit, du multiple social dramatique à l’unité individuelle du roman, autant que du thème abordé, comme nous le notâmes plus haut.

De tout évidence, nous nous abstiendrons de mentionner Shakespeare dans cette liste, puisque si, en Hamlet, la notion du dilemme est illustrée par le fameux monologue, il n'en demeure pas moins que ce théâtre n'est jamais mû par ce ressort, puisque les personnages des drames élisabéthains, dont ce dernier ne fait pas exception, sont tous à moitié fous, inaptes à toute décision lucide, nerf du dilemme.

De sorte que, le fameux monologue ne joue aucun rôle dans la pièce, hormis celui d’étaler la pédanterie d’un auteur, qui n’a jamais su que contrefaire un médiocre Oreste, dont les tourments sont aussi brumeux que le cadre d’où ils émergent. Ce qui relègue la production shakespearienne à de simples numéros de cirque, pour érudits, certes, mais cirque quand même, dont les jeux de massacre n'arrivent pas -beaucoup s'en faut- à la cheville de la tragédie racinienne.

Néanmoins, la noblesse de toute narration de fiction, consacrée par ces auteurs, a été pulvérisée par le génie d'un Balzac, en sa nouvelle Gobseck, que le tourangeau démonte avec brio, en autopsiant le caractère essentiellement économique de toute attitude humaine. C'est cette démonstration qu'entérinera un Marx, à la suite de sa fine analyse de la dialectique sociale de Hegel.

C'est pourquoi, la liberté, tant chantée par un Descartes et un Sartre, dont le Roquentin avait promu l'expression, au sein de La Nausée, sombre-t-elle dans une insignifiance pire que n'aurait jamais pu le croire un Buridan, entraînant en sa chute tout discours de fiction, réduit qu'il est au banal rôle de rhétorique au service des puissants, de propagande des exploiteurs, afin de conforter leur pouvoir, au moyen de l'aliénation idéologique des masses…

 

Athanasius

Commentaires

Anonyme a dit…
En un mot comme en cent: tout le reste n'est que... littérature!
athanasius a dit…
Bibliographie:


• Balzac, Honoré de. Gobseck. Nathan

• Brunetière. Balzac. Nelson

• Camus, Albert. Discours de réception du prix Nobel. Pléiade

• Descartes, René. Méditations Métaphysiques. P.U.F.

• Germain, F. l’Art de commenter une tragédie. Foucher. Paris. 1962

• Hegel. Propédeutique. Minuit.

• Lanson. Histoire de la littérature française

• Mme de Lafayette. La Princesse de Clèves. GF

• Racine, Jean. Phèdre. Larousse

• Sartre, Jean-Paul. La Nausée. Folio

• Idem. La liberté cartésienne. Situations I. Gallimard. Paris. 1947

• Shakespeare. Théâtre complet. Rencontre

• Sophocle. Antigone. GF

• Idem. Electre. Belles Lettres

• Verneaux, Roger. Histoire de la philosophie moderne, Beauchesne

• Idem. Histoire de la philosophie contemporaine. Beauchesne

• Voltaire. Candide. Folio

athanasius a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
athanasius a dit…
On devra noter que le dilemme, dont il est question dans les œuvres citées, procède toujours du même ressort, très bien résumé par ce vers du monologue de Rodrigue: " L’un me rend malheureux, l’autre indigne du jour". Autrement dit, Antigone, Phèdre ou la Princesse de Clèves sont aux prises avec la tâche de l'impossible conciliation entre le principe de réalité et l'impératif catégorique: vivre indigne ou être indigne de vivre. Ce qui contraignit Kant à admettre que personne, d'ici-bas, n'avait jamais pu réaliser les conditions du devoir.

A ce titre, on comprendra la nécessité du cadre tragique comme exposition dramatique d'un tel débat, puisque seule la mort semble à même de dénouer cette impasse. C'est pourquoi, il nous a paru qu'aucune œuvre ni romanesque ni théâtrale, fors celles que nous avons présentées, n'était à même de styliser avec cette perfection cet étranglement moral... noué et dénoué, selon Balzac, par l'Argent!

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