La papauté romaine et les conciles de l'Eglise (6/7)

En adoptant le papalisme (Vatican I) les tridentins pensaient sanctuariser leur traditionalisme (la foi morte, selon le mot de Jaroslav Pelikan). Les malheureux n'ont pas réalisé qu'ils ne sanctuarisaient en fait que le despotisme (cf. 1 Samuel 8). Depuis, les papes de Rome ont souverainement décidé d'inaugurer une nouvelle religion, condamnant leurs disciples à une triste alternative : ou bien une sorte de dissonance cognitive (ne pas voir que Pie X condamne François), ou bien la paranoïa (théories du complot, sédévacantisme, survivantisme, etc.).
On ne pourra pas dire qu'ils n'étaient pas prévenus, pourtant ; car st Grégoire le Grand, qu'ils tiennent pour l'un de leurs papes, a très précisément mis en garde contre ce danger qui procédait (selon ses termes) de la prétention impie d'un seul à se nommer "évêque universel" : " Si quelqu'un est nommé évêque universel, toute l’Église trébuche si celui-là tombe " (Épîtres, Livre V, ep. II. 27).

De telles éventualités ne menacent pas l’Église véritable, pour qui seul le saint Évangile est sanctuarisé (Galates 1. 8-9). C'est ce qu'a illustré le sixième concile de l’Église catholique :

Constantinople III, en 681

 Ce concile est sans doute celui par lequel la divine Providence a porté le coup le plus dévastateur aux prétentions romaines. D'aucuns qualifieraient même ce coup de cruel, tant le lecteur ultramontain croit d'abord y trouver un dogme en sa faveur, avant de le voir définitivement emporté dans les abîmes, comme par un raz-de-marée. En effet, les partisans de Rome font valoir que le pape Agathon, dans sa longue lettre au concile, affirme qu'en vertu des promesses faites à Pierre, ni lui ni aucun de ses prédécesseurs n'ont jamais sombré dans l'erreur, mais qu'ils ont toujours affermi leurs frères (*). Or, le concile a acclamé Agathon et a dit recevoir sa lettre. Considéré d'une façon aussi légère, Constantinople III serait presque un concile Vatican I avant l'heure ! Rien qu'à l'imaginer, les romanistes se réjouissent de ce que l'autorité d'un concile universel vienne sceller les prétentions de leur pape - comme si la parole du premier était effectivement d'un plus grand poids que celle du second...

Mais lorsqu'on regarde l'affaire de plus près, le majestueux mirage ultramontain se dissipe et laisse place à un spectacle de désolation et de ruines. Car l'examen révèle que l'unique objet du concile était de formuler la doctrine orthodoxe des deux volontés en Christ, et que c'était là le seul dogme développé et argumenté par la lettre d'Aghaton. Cet examen révèle que pas une seule session, pas un seul débat du concile ne fut consacré à la doctrine d'un quelconque ministère pétrinien, et que c'est donc uniquement la christologie exposée par Agathon qui fut reçue et acclamée par le concile. Les actes du concile font foi de ce point, car les évêques du concile affirmèrent (dans la 8e session) qu'ils recevaient cette lettre d'Agathon, croyant que dans le Seigneur Jésus-Christ, notre vrai Dieu, il y a deux natures (...) et deux volontés naturelles (...) et deux opérations naturelles. De plus, non seulement le concile n'a cautionné que le contenu dogmatique (la christologie) de la lettre d'Agathon, mais encore, ses conclusions sont clairement incompatibles avec les prétentions esquissées, au sujet d'elle-même, par la papauté de l'époque. Car Agathon, réfutant les monothélites, avait conseillé de condamner leurs théoriciens et partisans, comme Serge de Constantinople, ou Macaire d'Antioche. Or le concile jugea bon d'ajouter à cette liste d'hérétiques le nom d'Honorius, qui avait été pape de Rome et qui avait épousé en tout point leur doctrine impie. Agathon estimait que tous ses prédécesseurs avaient toujours gardé la vraie foi ; le concile porta contre cette prétention un coup aussi imparable que fatal, en condamnant la mémoire d'un des prédécesseurs d'Agathon, coupable d'avoir publiquement ratifié l'hérésie, en tant que pape de Rome. Pour sauver leur idole, les défenseurs de l'ultramontanisme ont eu recours aux artifices les plus spécieux de la rhétorique: la faute d'Honorius aurait été celle de l'homme, non du pape (!). Il s'agirait d'un manque de fermeté envers les hérétiques, non d'une approbation de leur doctrine (contrairement à ce que dit pourtant ouvertement le concile). Ou encore: il existerait un magistère ordinaire (où le pape peut errer) et un magistère extraordinaire, lorsque le pape de Rome parle ex cathedra (c'est-à-dire avec l'intention manifeste de définir un dogme pour toute l’Église). Ces subterfuges sont si consternants qu'à l'époque de la promulgation de l'infaillibilité papale, des auteurs papistes (tels Héfélé, Gratry) en ont dénoncé la fausseté évidente, avant bien sûr de se rétracter, parfois tardivement (la crainte superstitieuse que la papauté instille dans les âmes captives ne peut manifestement être surpassée que par la grâce efficace de Dieu).

 Plutôt que de m'attarder sur ces arguties désespérées et leur opposer les observations d'auteurs protestants (auxquels les ultramontains sont décidés à rester sourds), je préfère leur opposer la simple et évidente réfutation qu'en a donné l'un des plus illustres auteurs tridentins, Jacques-Bénigne Bossuet:  (...) ce Pape (Honorius) était consulté canoniquement par trois patriarches, Sergius de Constantinople, Cyrus d'Alexandrie et Sophrone de Jérusalem; ajoutons un quatrième patriarche, qu'Honorius engagea dans le monothélisme, à savoir Macaire d'Antioche, qui ne parle jamais de ce Pape que comme d'un homme instruit de Dieu et qu'il se fait comme un devoir de suivre comme son conducteur et son chef. Et quand est-ce donc que le successeur de Pierre doit prononcer ex cathedra, sinon lorsque consulté par tout l'Orient, il est dans une étroite obligation d'affermir ses frères, et d'arrêter le cours d'une erreur dangereuse? Honorius se serait-il plu à être dans l'erreur? lui qui consulté avec tant d'appareil, néglige dans sa réponse les formalités qu'il sait propres à la rendre infaillible. Cette observation est sans réplique, à moins qu'on ne conjecture avec Bellarmin “que les lettres d'Honorius ont peut-être été fabriquées par un imposteur et insérées dans les actes du concile général, et qu'il n'y a point de témérité à le penser ainsi”. Cette imagination est si grossièrement fausse, que personne, je pense, n'osera l'adopter - Défense de la déclaration de l'assemblée du clergé de France (I. LIV).

 

A suivre...

 

Bucerian

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(*) Le patriarche de Constantinople, Georges, avait pareillement prié le concile d'épargner la mémoire de ses prédécesseurs. En vain. Malgré le respect que nous leur devons, il convient donc de ne jamais idéaliser les temps et les hommes du passé, et cela vaut pour les acteurs des grands conciles.

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