Tous frères...

Le pape de Rome, Jorge Bergoglio, alias François, a signé sa troisième encyclique, intitulée Fratelli Tutti. Bien que je n'envisage pas de commenter ce texte de façon exhaustive, voici quelques observations concernant les huit paragraphes qui introduisent ce document.

§ 1. Fratelli Tutti : François fait d'emblée remarquer qu'il est allé chercher cette expression (tous frères) sous la plume d'un autre François : François d'Assise, alias le stigmatisé.
Si le stigmatisé a employé cette expression dans ses Admonitions (6. 1) pour s'adresser aux gens de sa congrégation, dans la perspective de leur rappeler l'exemple du bon pasteur (ce qui suppose chez eux une foi commune), François semble vouloir élargir cette appellation à tous les hommes. Mais si tout homme est mon prochain, convient-il pour autant de l'appeler "frère" ? La question mérite d'être soulevée, dans la mesure où ce titre est normalement attribué aux saints et fidèles du Christ, et que son élargissement sans borne risque d'induire des confusions graves sur la question du Salut.
Je dirais qu'un certain usage du terme "frère" est sans doute acceptable, mais dans certaines circonstances seulement. Ainsi :

1)
Pour faire sentir à autrui combien il agit monstrueusement lorsqu'il fait du mal à son prochain.
2) Pour rappeler à soi-même la charité que nous devons avoir envers tout homme.

3) Enfin, pour rappeler à chaque pécheur son appartenance à la race humaine et, de là, l'inciter à regarder avec foi au seul Sauveur de tous les hommes : Jésus-Christ.

Toutefois, dans toutes ces circonstances, le terme de "frère" n'est employé que de façon impropre, pour rappeler tantôt les exigences de la Loi (cas n° 1 : rôle accusateur ; cas n° 2: rôle réformateur de la Loi dans la vie chrétienne), tantôt pour émouvoir les hommes devant la prédication de l'Évangile. On parle ainsi davantage d'une fraternité qui a existé et qui devrait exister, que d'une fraternité (réciproque) qui existerait actuellement. En effet, cette fraternité naturelle a été brisée par le péché (Tite 3. 3) ; c'est la raison pour laquelle il est impossible de rester sur des considérations supralapsaires (antérieures à l'irruption du péché) et d'en faire le fondement d'une cité dont le Christ serait le grand absent. C'est pourtant ce que propose François, dans les §§ 2, 5, 6, 7 et 8 de sa lettre. Le 8e et dernier paragraphe de son introduction est même très parlant : toute la misère des pécheurs (cf. Apocalypse 3. 17) y est flattée, désignée comme une richesse, dans des termes peu équivoques :

Rêvons en tant qu’une seule et même humanité, comme des voyageurs partageant la même chair humaine, comme des enfants de cette même terre qui nous abrite tous, chacun avec la richesse de sa foi ou de ses convictions, chacun avec sa propre voix, tous frères.

NB. Je ne reviendrai pas sur les § 2, 5, 6, 7 et 8. Ils portent le projet d'une cité terrestre que je considère avoir suffisamment réprouvé.

§ 3. Une certaine idée du dialogue : François s'inspire du stigmatisé pour aller à la rencontre de l'autre et dialoguer avec lui. François ne s'inspire pas de l'apôtre Paul qui s'est fait juif avec les juifs, grec avec les grecs, etc., mais du stigmatisé, qui est allé visiter un sultan. On dira peut-être que c'est en raison de l’écho particulier qu'un tel voyage peut avoir à notre époque de tensions avec le monde musulman. Je crois plutôt que si François préfère l'exemple du stigmatisé à celui de l'apôtre, c'est parce que ce dernier est allé prêcher un Évangile hautement corrosif (Actes 17. 6) là où l'exemple du stigmatisé semble plus favorable à l'entreprise de François.
Je note à ce propos que François mentionne la règle du stigmatisé en lui donnant des accents bien particuliers. Je cite : [il]
est allé à la rencontre du Sultan en adoptant la même attitude qu’il demandait à ses disciples, à savoir, sans nier leur identité, quand ils sont « parmi les sarrasins et autres infidèles … de ne faire ni disputes ni querelles, mais d’être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu ». (...) Nous sommes impressionnés, huit cents ans après, que François invite à éviter toute forme d’agression ou de conflit et également à vivre une ‘‘soumission’’ humble et fraternelle, y compris vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas sa foi.
A lire ce passage, on croirait que le stigmatisé demandait à ses disciples de renoncer à prêcher clairement l'Évangile, ses exigences et sa véracité exclusive (cf. Jean 14. 6). C'est pourtant un texte plus nuancé que nous découvrons dans la règle "Non bullata" (16. 3-7):

3 Tout frère donc qui, sous l’inspiration de Dieu, voudra partir chez les Sarrasins et autres infidèles, pourra y aller, avec l’autorisation de son ministre et serviteur.

4 Le ministre, lui, doit donner cette autorisation sans s’y opposer, s’il le reconnaît capable de cette mission ; il devra rendre compte au Seigneur si, en cette affaire ou en d’autres, il agit sans discernement.

5 Les frères qui s’en vont ainsi peuvent envisager leur rôle spirituel de deux manières ;

6 ou bien, ne faire ni procès ni disputes, être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu, et confesser simplement qu’ils sont chrétiens ;

7 ou bien, s’ils voient que telle est la volonté de Dieu, annoncer la Parole de Dieu (...)

Dans cette règle, donc, le stigmatisé  ne demande pas que l'on renonce au prosélytisme assimilé à une agression ou à une forme de conflit (le conflit entre la lumière et les ténèbres serait-il désormais caduc ?) mais permet simplement à ses frères de moduler leur approche selon les circonstances ("ou bien, ou bien").

 

§ 4. Une phobie de la prédication : Ce dernier paragraphe est simplement surréaliste. L'évangélisation (par la parole) est manifestement décrite comme une simple "guerre dialectique". L'orthodoxie ? Une volonté "d'imposer ses idées". Autrement dit : tout cela consisterait à essayer de retenir les autres à soi, et refléterait un "désir de suprématie sur les autres".
C'est pourtant le stigmatisé qui a écrit, dans la partie de sa règle que François a préféré ignorer (16. 7), que :

Ou bien, s’ils voient que telle est la volonté de Dieu, annoncer la Parole de Dieu afin que les païens croient au Dieu tout puissant, Père, Fils et Saint-Esprit, Créateur de toutes choses, et en son Fils Rédempteur et Sauveur, se fassent baptiser et deviennent chrétiens car si on ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit-Saint, on ne peut entrer au royaume de Dieu.

Ces dernières lignes consistent à faire tout ce que le pape appelle "guerre dialectique", "agression conflictuelle", "imposer ses idées", et que nous appelons plus volontiers :  renverser les raisonnements et toute hauteur qui s'élèvent contre la connaissance de Dieu, et amener toute pensée captive à l'obéissance de Christ (2Corinthiens 10. 5).
Mais bien sûr, cela risque de faire des étincelles, et retarder l'avènement d'un empire dont les sujets seraient unis dans leur commun mépris du Rédempteur.

Bucerian








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