Protestantisme et droit naturel

En réponse aux calomnies visant à dépeindre les protestants comme des robots nécessairement inféodés au pouvoir politique, voici un article de Philippe Jaunet, auteur du  blog libéral conservateur .


Bucerian

 

 La théorie protestante du droit naturel

 

Introduction

Dans un article récent[i], Benoît Dumoulin a défendu une thèse qui mérite d’être examinée d’un point de vue critique.

Cette thèse, quelle est-elle ? Tout simplement, qu’à chaque religion, correspond un idéal politique ; et que, dans le cas du protestantisme, cet idéal politique est ce qu’on a pu appeler la statôlatrie, autrement dit la soumission, aveugle, à la volonté des titulaires du pouvoir. « N’est-ce pas Luther qui prônait l’obéissance inconditionnelle aux seigneurs lors du soulèvement des paysans allemands de 1525 ? » demande M. Dumoulin, qui se plaît à opposer à l’attitude « timorée » du père de la Réforme l’attitude ô combien plus critique à l’égard du pouvoir politique de la Papauté. L’Église catholique, affirme notre auteur, « a toujours joué le rôle de contrepoids face aux excès du pouvoir temporel, en Europe, mais aussi aux Amériques (…). Elle le pouvait, justement parce qu’elle ne tenait pas son pouvoir de l’État. Dans les pays d’Europe du Nord, où la réforme protestante a triomphé, on a commencé par confisquer les biens ecclésiastiques appartenant à l’Église catholique pour les donner à des princes protestants faisant allégeance à l’État (…). Dès lors, plus rien ne s’oppose aux ambitions démesurées de l’État moderne, qui va devenir de plus en plus absolu car il ne trouvera plus face à lui une autorité indépendante sur les plans spirituels, hiérarchiques et patrimoniaux (…). La suite de cette histoire se lit sous nos yeux : les églises protestantes ont très largement accompagné les dérives de l’État moderne, dont elles sont la caution religieuse, quand l’Église catholique continue de résister[ii] ».

De tels propos sont de nature à susciter des réactions variées.

On pourrait, par exemple, revenir sur l’acrimonie avec laquelle M. Dumoulin évoque les protestants, dont il dresse un tableau assez sombre, et pour tout dire, dénué de nuance ; on pourrait également reprendre sa présentation pour le moins partiale des faits, en rouvrant une de ces innombrables querelles dont, en France, catholiques et protestants semblent avoir le secret. Comme il serait tentant de rappeler à M. Dumoulin les nombreux représentants de l’Église catholique dont les propos, résolument anti-libéraux, les feraient classer parmi les tenants de l’absolutisme étatique, ruinant du même coup sa thèse manichéenne !

Telle ne sera pas notre approche. Car ce qui nous désole le plus, dans l’article de M. Dumoulin, c’est l’affirmation sur laquelle repose tout son raisonnement, à savoir, l’idée selon laquelle les protestants seraient incapables d’émettre la moindre critique à l’encontre des décisions arbitraires du souverain, faute de disposer d’une théorie du droit naturel[iii].

 

Les protestants disposent-ils d’une théorie du droit naturel ?

À cette question, nous répondons « oui », avec force ; malheureusement, cette réponse n’est pas si évidente qu’il n’y paraît de prime abord.

Car le fait est que si la thèse de M. Dumoulin peut passer, auprès du public cultivé, comme conforme à la vérité, c’est parce que, par le passé, des intellectuels protestants – le plus souvent, dépourvus de toute culture juridique, ou philosophique – ont soutenu que le droit naturel était une doctrine païenne et hérétique, qui n’avait rien à voir avec le christianisme en général, et le protestantisme en particulier.

Qu’il est facile, après cela, pour les adversaires du protestantisme, de nier l’existence du jusnaturalisme protestant !

Mais la position de ces auteurs – au demeurant, pas très nombreux[iv] – ne doit pas être exagérée. En effet : quiconque s’intéresse un tant soit peu à ces questions sait bien que le mot « droit naturel » a fait l’objet d’acceptations tellement différentes par le passé, que de plus amples précisions terminologiques sont nécessaires, avant de savoir de quoi l’on parle.

Certes : chez tous les auteurs, le mot « droit naturel » désigne un droit, synonyme de justice, et qu’on ne doit pas confondre avec les lois positives, adoptées par l’État – ces lois pouvant entrer en conflit avec les prescriptions dudit droit naturel. Néanmoins, il convient également de garder à l’esprit qu’il existe deux grandes théories du droit naturel :

-        une théorie classique, dégagée sous l’Antiquité gréco-romaine, qu’on retrouve chez les penseurs chrétiens (du Moyen âge jusqu’à nos jours) ;

-        et une théorie plus récente, née aux Temps Modernes, que l’on retrouve derrière la plupart des idéologies contemporaines[v].

La différence entre les deux traditions est bien connue : si les jusnaturalistes classiques s’efforcent de « penser » la place de l’homme en société, sous l’angle de la justice, les jusnaturalistes modernes ne s’intéressent, eux, qu’aux droits de l’homme – certains d’entre eux allant jusqu’à nier que l’homme ait, à côté de ses droits, des devoirs.

Il n’est donc pas difficile de comprendre que les théologiens protestants qui ont combattu le droit naturel s’opposaient, en réalité, à certaines théories du droit naturel moderne, et pas au droit naturel classique, qui est en quelque sorte inhérent au christianisme.

Comment ignorer, en effet, que cette notion est au cœur du Nouveau Testament, qui évoque, sans équivoque possible, l’existence d’une loi commune à tous les hommes – une loi dont les prescriptions, « imprimées dans le cœur des hommes, leur sont révélées par la conscience[vi] » ?

Pour le chrétien, donc, le droit naturel n’est autre que le contenu de la loi conforme à la loi divine, écrite dans nos consciences – une position qui fut évidemment celle de Luther et de ses continuateurs.

 

Luther et le droit naturel

Dans l’article précité, M. Dumoulin n’explicite pas vraiment sa position ; pour lui, il n’est pas nécessaire d’établir que Luther ne croyait pas dans le droit naturel. Disons tout de suite qu’une telle attitude n’a rien d’étonnant : les autres théoriciens catholiques qui professent une doctrine similaire (comme Pierre Manent[vii]), ne sont pas beaucoup plus diserts sur la question. On la retrouve cependant exposée, avec force détails, sous la plume d’autres intellectuels catholiques, comme Louis Le Fur, en son temps professeur à la faculté de droit de l’Université de Paris.

Dans l’une de ses nombreuses études qu’il a consacrées à la question du droit naturel[viii], M. Le Fur a affirmé, comme MM. Dumoulin et Manent, que « la notion d’une morale et d’un droit naturels sont beaucoup moins en harmonie avec la doctrine rigide du protestantisme (…) qu’avec celle du catholicisme[ix] ».

Notons bien que, pour M. Le Fur, si Luther a prôné aux paysans rebelles la soumission à leurs seigneurs, ce n’est pas parce qu’il était « étatiste » – notion complètement anachronique, dans un temps où l’État moderne était encore en gestation – mais en raison de ses postulats théoriques. Mais laissons la parole à M. Le Fur, pour bien saisir son raisonnement : « Dans la doctrine catholique, le péché originel affaiblit l’homme, lui enlève sa vocation surnaturelle, mais laisse subsister ses forces morales naturelles, suffisantes à la rigueur pour le diriger dans sa vie terrestre (…). Il en est tout autrement pour [les luthériens[x]] ». « Dans le système protestant [tel que conceptualisé par Luther], l’hypothèse d’une morale et d’un droit divin naturels étaient, au fond, incompatibles avec la doctrine de la corruption radicale de l’humanité par le péché originel[xi] ». « Il est facile de comprendre en effet que, si la nature de l’homme est irrémédiablement viciée [par le péché originel], il n’y a plus pour lui de morale ou de droit naturel aptes à lui fournir une règle de vie en société[xii] ». C’est ainsi que, par crainte de l’anarchie dans laquelle les hommes sont appelés à être jetés, faute de repère – les prescriptions de la loi naturelle étant impossibles à retrouver pour les hommes, dépourvus de tout sens moral – Luther aurait privilégié le droit édicté par l’État, qui a au moins le mérite de ne souffrir aucune discussion, quant à son sens et à sa portée.

Est-ce à dire que le père de la Réforme a prôné « l’obéissance inconditionnelle » aux titulaires du pouvoir politique ?

Non, et c’est par un procès d’intention pour le moins critiquable que M. Le Fur a pu prêter son nom à cette idée[xiii].

La Confession d’Augsbourg – dont la lecture est essentielle, pour qui veut comprendre les implications sociétales de la démarche intellectuelle de Luther – est très claire sur ce point : le souverain doit être obéi, oui, mais à condition qu’il respecte les commandements divins : « Touchant la police et le gouvernement civil, on enseigne que toute autorité dans le monde et tout gouvernement régulier, avec ses lois et ses ordonnances, sont des œuvres et des institutions de Dieu (…). C’est pourquoi les chrétiens sont dans l’obligation d’être soumis à l’autorité et d’obéir à ses lois, en tout ce qui peut se faire sans péché. Car si l’on ne peut obéir au gouvernement sans péché, alors il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (art. 16).

On voit mal en quoi cette position, qui fut bel et bien celle de Luther[xiv], serait « étatiste » ou « anti-jusnaturaliste », alors qu’elle respire tout au contraire le refus de s’en remettre aveuglément aux décisions des titulaires du pouvoir, par attachement à un droit qui ne doit rien à la volonté de l’État !

Certes : on chercherait vainement chez Luther un exposé dogmatique du droit naturel ; mais cela ne veut pas dire qu’il n’en parlait pas. Eugène Ehrhardt, qui fut professeur à la faculté de théologie protestante de Paris, a d’ailleurs pu reconstituer la pensée de Luther, au prix d’une étude systématique de textes et de sermons, éparpillés dans divers recueils[xv].

Son étude démontre que, comme les jusnaturalistes du XVIe siècle, le père de la Réforme « cite aussi les auteurs anciens, ou s’appuie sur le ius gentium, c’est-à-dire sur les lois réputées communes à tous les peuples ; mais, le plus souvent, c’est à l’Écriture qu’il a recours, preuve évidente que la nature à laquelle il en appelle n’est pas la nature humaine « en général », mais la nature humaine façonnée par l’éducation chrétienne[xvi] ». Car si la loi naturelle comprend bel et bien un ensemble de règles, tirées, rationnellement, de la nature humaine – règles qui sont, de ce fait, indépendantes de la volonté du souverain, qui est donc tenu de les respecter, sous peine de prendre des lois allant à l’encontre des exigences de la nature humaine – il faut encore préciser que la nature humaine, à l’aune de laquelle le droit naturel est pensé, n’est pas la nature de l’homme ordinaire, laissant libre cours à ses passions malsaines, mais la nature de l’homme qui fait usage de raison, et impose donc une limite morale à ses désirs.

Cette précision – bien connue de tous ceux qui ont étudié le droit naturel classique – explique l’attitude mesurée de Luther qui, raisonnant en théologien, insiste plusieurs fois sur l’idée que l’homme dont le jusnaturalisme parle n’est pas l’homme, mû par ses bas instincts, mais l’homme, qui fait l’effort de s’imposer une loi, en l’occurrence le chrétien, qui se soumet à la loi divine.

La Confession est, là encore, très claire sur ce point : « Nous enseignons qu’après la chute d’Adam, tous les hommes nés selon le cours de la nature sont conçus et nés dans le péché ; c’est-à-dire que dès le sein de leur mère, il y a en eux des concupiscences et des penchants mauvais (…). Par conséquent, nous rejetons [ceux] qui, niant que le péché originel soit un péché et qui, pour anéantir la gloire de la passion et du mérite du Christ, soutiennent que l’homme peut être justifié devant Dieu par ses propres force » (art. 2). De même, la Confession condamne « ceux qui soutiennent qu’on peut recevoir le Saint-Esprit par ses propres efforts et par ses œuvres, sans la parole extérieure de l’Évangile » (art. 5). Mais tout ceci ne veut pas dire que la loi naturelle n’existe pas ; car l’homme, dès lors qu’il est guidé dans ses actions par la parole de l’Évangile, est tout à fait apte à trouver, dans la réflexion intellectuelle, les articles d’une loi lui permettant de vivre honnêtement sa vie terrestre[xvii].

 

Les successeurs de Luther et le droit naturel

Ces vues ne sont pas propres à Luther ; tous les luthériens les ont partagées, à commencer par son fidèle second, Philippe Schwarzerdt, dit Melanchthon.

Ce dernier fait une large part au droit naturel, dans son œuvre philosophique, où il développe longuement ce que Luther n’avait fait qu’esquisser.

Contrairement aux théoriciens qui distinguaient la loi divine de la loi naturelle, Melanchthon identifie les deux notions. « Nous sommes convaincus que les préceptes de la morale contenus dans les écrits des savants, et puisés par eux dans les lois du sens commun et l’observation de la nature, ne sont pas moins d’une origine divine que ceux consignés dans les tables de Moïse (…). Jamais Dieu n’a pu prétendre que nous dussions préférer des lois écrites sur le marbre à celles qu’il avait gravées de sa propre main dans nos cœurs[xviii] ».

Certes, Melanchthon distingue, avec les jusnaturalistes classiques, trois types de lois : « la loi divine, la loi de nature, et les lois humaines[xix] ». « La loi de Dieu est une doctrine donnée de Dieu, nous enseignant comment nous devons être, et ce qu’il nous convient de faire ou laisser », doctrine qui « requiert une parfaite obéissance envers Dieu, et déclare l’ire de Dieu et la punition de mort éternelle à l’encontre de ceux qui n’y obéiront point parfaitement[xx] ». Cette loi s’est manifestée dans les tables de la Loi reçues par Moïse sur le mont Sinaï. « Quand la République des Israélites fut établie, la loi de Dieu fut publiée. Car Dieu voulut par témoignage public et manifeste, renouveler cette connaissance, laquelle il avait mise en l’entendement de l’homme dès lors qu’il le créa[xxi] ». C’est donc que la loi naturelle (qui est, comme la loi divine, un don de Dieu), ne diffère aucunement, dans son essence, du Décalogue ; si elle s’en différencie, c’est uniquement parce qu’elle n’a pas été transposée par écrit, aux temps bibliques.

Pour le dire autrement : le Décalogue n’épuise pas la question du droit ; la vie des hommes appelle d’autres règles, qu’il appartient au chrétien de découvrir, dans le respect des enseignements du Christ.

Il y a donc bien une tradition protestante du droit naturel, le chrétien devant faire usage de son esprit critique, pour examiner si les lois en vigueur dans la société dans laquelle il vit sont conformes, et à la loi divine, et à la loi naturelle.

Cette attitude – qui fut celle de tous les jusnaturalistes de l’Antiquité – prend un caractère particulier pour le chrétien, puisqu’il doit appuyer sa réflexion sur les principes contenus dans l’Évangile. Comme l’a si bien dit Melanchthon : « Quand la raison humaine n’est point gouvernée par la parole de Dieu, elle se fourvoie aisément : car elle est ravie et transportée par méchantes affections, pour approuver les œuvres corrompues[xxii] ». « Parce que, par péché originel, nous avons en nous quelques ténèbres, et que le cœur a des affections contraires à la différence qui est entre les choses honnêtes et déshonnêtes ; à cette cause, les hommes ne s’accordent jamais si fermement à ces connaissances. Il faut donc obéir à Dieu[xxiii] ».

Voilà ce qu’enseignait Melanchthon, mais aussi tous les jusnaturalistes luthériens : Johannes Eisermann[xxiv], Johannes Oldendorp[xxv], Jost Menig[xxvi], Nicolas Hemming[xxvii], Matthias Stephani[xxviii], Balthasar Meissner[xxix]. Pour tous ces auteurs, il existait une loi naturelle, à laquelle le souverain devait se soumettre, faute de quoi le peuple était en droit de se retourner contre lui[xxx] – une thèse que les calvinistes défendront également[xxxi].

Prétendre, dans ces conditions, que le droit naturel n’a rien de commun avec le protestantisme, est aussi faux qu’injuste. Car si, aujourd’hui, tant de monde fait montre de servilité à l’égard du pouvoir politique, ce n’est pas parce que notre société a subi l’influence du protestantisme, mais parce que nous vivons dans un monde matérialiste qui a rejeté l’idée du droit naturel, comme il a tourné le dos aux autres enseignements du christianisme.

Philippe Jaunet



[iii] Naturellement, nous présentons la question sous un angle quelque différent de celui de l’auteur ; mais c’est bien ce qu’il soutient, lorsqu’il écrit que, dans la conception catholique – conception que, selon lui, les protestants ignoreraient – la liberté « n’est pas un droit octroyé par l’État, mais un droit naturel que l’État ne peut que reconnaître » (Id., ibid.).

[iv] Qu’il nous suffise de citer le nom de Karl Barth, dont la position sur le sujet faisait encore autorité, il y a quelques années. Notons cependant que, depuis lors, de nombreux théologiens ont appelé de leurs vœux un renouveau de la réflexion jusnaturaliste dans la pensée protestante, comme p. ex. Pierre Bühler, Éthique et droit dans la théologie protestante, in François Dermange & Laurence Flachon (dir.), Éthique et droit, Genève, Labor et Fides, 2002, pp. 143-159 ; Stephen J. Grabill, Rediscovering the Natural Law in Reformed Theological Ethics, Grand Rapids, Eerdman, 2006 ; Robert C. Baker & Roland Cap Ehlke (dir.), Natural Law: A Lutheran Reappraisal, St. Louis, Concordia Publishing House, 2011 ; J. Daryl Charles, Burying the Wrong Corpse: Evangelicals and Natural Law, in Christopher Wolfe & Steven Brust (dir.), Natural Law Today: The Present State of the Perennial Philosophy, Lanham, Lexington, 2018, pp. 87-110 ; etc.

[v] Simone Goyard-Fabre, Les deux jusnaturalismes ou l’inversion des enjeux politiques, in Des théories du droit naturel, Caen, Presses universitaires de Caen, 1987, pp. 7-42.

[vi] Saint Paul, Épître aux Romains, 2:14-15.

[vii] Pierre Manent, La Loi naturelle et les droits de l’homme, Paris, PUF, 2018 (qui cite Luther, parmi les théoriciens qu’il accuse d’avoir perverti la notion de droit naturel).

[viii] Louis Le Fur, La Théorie du droit naturel, Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1927, pp. 259-442.

[ix] Id., ibid., p. 306.

[x] Id., ibid., p. 306.

[xi] Id., ibid., p. 307.

[xii] Id., ibid., p. 308.

[xiii] Le Fur prétend en effet que c’est à cause de Luther que « l’Allemagne du XVIIe siècle » fut aiguillée « dans la voie du despotisme absolu ». Cette thèse est fréquente chez les auteurs français de l’entre-deux-guerres, qui furent nombreux à avoir cherché à expliquer le succès des théories étatistes en Allemagne par des considérations culturelles et religieuses, comme si les Allemands, majoritairement protestants, étaient en quelque sorte prédestinés à obéir, aveuglement, aux ordres des titulaires du pouvoir. Pour une réfutation, voir René Gillouin, Idées et figures d’aujourd’hui, Paris, Grasset, 1919, pp. 60-99.

[xiv] Les adversaires de Luther évoquent souvent sa position « tiède » au moment de la révolte des paysans, puisqu’alors Luther a refusé de consacrer un droit à la résistance armée au profit du peuple (Von welltlicher Uberkeytt, wie weyt man yhr gehorsam schuldig sey [Von weltlicher Obrigkeit, wie weit man ihr Gehorsam schuldig sei], Wittemberg, Schirlentz, 1523). C’est oublier un peu vite que dans cet écrit de circonstance, Luther a surtout cherché à calmer les esprits, afin d’éviter une guerre civile ; car par la suite, Luther – se prononçant de manière générale, sans se référer à un contexte en particulier – a reconnu l’existence de ce droit, quoi que toujours strictement encadré, afin d’éviter tout abus. Voyez le texte reproduit par Rudolf Hermann (Luthers Zirkulardisputation uber Matthaus 19, 21, in Gesammelte Studien zur Theologie Luthers und der Reformation, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1960, pp. 206-250).

[xv] Eugène Ehrhardt, La notion du droit naturel chez Luther, in Études d’histoire et de théologie publiées par MM. les professeurs de la Faculté de théologie protestante de Paris, Paris, Librairie Fischbacher, 1901, pp. 285-320.

[xvi] Id., ibid., pp. 302-303.

[xvii] Sur toutes ces questions, voir encore Marc Lienhard, Martin Luther. Un temps, une vie, un message, Genève, Labor & Fides, 1991, pp. 239-245 ; Karsten Lehmkühler, La Loi naturelle chez Luther et dans la théologie luthérienne, Revue d’éthique et de théologie morale, 2017, vol. 1, n° 293, pp. 91-102.

[xviii] Philipp Schwarzerdt, Praefationes in Hesiodi, Wittemberg, 1550 : « proinde sic statuemus, nihilo minus divina praecepta esse quae a sensu communi et naturae judicio mutuati doctri homines gentiles litteris mandarunt, quam quae exstant in ipsis saxeis Mosis tabulis (…). Neque ille ipse calestis Pater pluris a nobis fieri eas lege voluit, quam quas in ipsos animorum nostrorum sensus impresserat » (trad. pers.).

[xix] Philipp Schwarzerdt, Loci communes rerum theologicarum, Wittemberg, 1521 (trad. Somme de théologie, Genève, 1560, p. 134).

[xx] Id., ibid., p. 131.

[xxi] Id., ibid., p. 134.

[xxii] Id., ibid., p. 195.

[xxiii] Id., ibid., p. 280.

[xxiv] Johannes Eisermann, Commentar, ad tit. Pandectar. De regulis juris, Marburg 1537 ; Tractatus de respublica bene instituenda, Marburg, 1533.

[xxv] Johann Oldendorp, Isagoge iuris naturalis, gentium et civilis, Antwerp, 1539 ; Loci communes iuris civilis, Lowen, 1545.

[xxvi] Justus Menius, Von der Notwehr Unterricht. Nützlich zu lesen, Wittenberg, 1547.

[xxvii] Nicolas Hemming, De lege naturae methodus apodictica, Winterberg, 1564.

[xxviii] Matthias Stephani, Tractatio methodica de arte iuris, 1631.

[xxix] Balthasar Meissner, Dissertatio de summo bono, Winterberg, 1614 ; Dissertatio de legibus, Winterberg, 1616.

[xxx] John Witte, Jr., Law and Protestantism: The Legal Teachings of the Lutheran Reformation, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.

[xxxi] Il nous suffit de citer ici l’œuvre de François Hotman, Hugues Doneau et Théodore de Bèze, pour ne rien dire du père de l’école du droit de nature et des gens, Hugo de Groot, dit Grotius ; mais la question de l’existence du jusnaturalisme chez les calvinistes n’a, semble-t-il, jamais été sérieusement discutée par qui que ce soit.

Commentaires

Anonyme a dit…
Le protestantisme n’est pas une entité distincte de l’Eglise. Car, il n’est qu’une démarche radicale du catholicisme, qui sonde intégralement l’intelligibilité du Symbole de Nicée-Constantinople (381/A.D), selon la Bible, en vertu des approches théologiques, lérinienne et anselmienne. A ce titre, il n’est pas moins « jusnaturaliste » que les approches romaines ou orthodoxes de la Foi catholique, dont il partage le Credo, notamment le dogme de la Création. Or, ce dogme est la source même du droit naturel. De sorte que, quiconque tente d’isoler le protestantisme de la grande geste chrétienne n’est qu’un crétin fini.

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