Confession d'Augsbourg : le salut par la foi seule




Nous célébrons aujourd'hui les 490 ans de la Confession d'Augsbourg. Souvent perçu comme le symbole du protestantisme, ce document est surtout une annexe du seul Symbole de l'Église chrétienne, à savoir le Symbole de Nicée-Constantinople (auquel la Confession se réfère d'ailleurs dès son premier article).
L'objet de cette Confession et Apologie est bien connu : il a été question, pour les fidèles du seizième siècle, de défendre la droite compréhension de l'article baptismal du Symbole, c'est-à-dire la doctrine de la Justification et du Salut.
Rappelons que, devant Dieu, est dit justifié celui qui est réputé juste devant son jugement, et qui est agréable pour sa justice (Calvin, Institution chrétienne, III, xi, 2). La question fut alors de savoir si l'homme était tenu pour juste par la justice du Christ ou par la sienne propre.

Je souhaite profiter de l'occasion de cet anniversaire pour rappeler le véritable sens de cet article (1), dire son importance (2), et souligner l'actualité du combat pour cette doctrine, que l'on attaque aujourd'hui encore, jusque dans les rangs "évangéliques" (3).



1. La doctrine orthodoxe de la justification


En se fondant sur l'autorité exclusive des Écritures saintes, l'Église, dans son Symbole de foi, affirme que : pour nous les hommes et pour notre Salut, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, a été fait homme: il a été conçu du Saint-Esprit et il est né de la Vierge Marie. Pour nous, il a aussi été crucifié sous Ponce-Pilate, il a souffert et a été enseveli, avant de ressusciter le troisième jour et de monter aux cieux. La doctrine chrétienne est donc que Jésus-Christ s'est substitué aux croyants pour accomplir, à leur place, la Justice divine. Il a porté leurs fautes : celles-ci ne leur sont donc plus comptées. Ce qui leur est imputé gratuitement est, au contraire, la justice du Christ, son innocence, pour leur Salut.
"Le Fils de Dieu m'a aimé et s'est livré lui-même pour moi"
(Galates 2. 20).

Que pouvons-nous donc ajouter à cela ?
Rien. Comme le notait Luther : Puisque, à présent, cela doit être cru et ne peut être obtenu ou saisi au moyen d'une œuvre, d'une loi ou d'un mérite quelconque, il est clair et certain que seule une telle foi nous justifie (Les articles de Smalkalde, II. 1).

De là, face à la papauté, la Confession d'Augsbourg (seule précision dogmatique reçue par l'ensemble du protestantisme) a affirmé la justification par la foi seule. Citant saint Ambroise de Milan, la Confession déclare : "Il est résolu de Dieu que celui qui croit en Jésus-Christ sera sauvé, non par les œuvres, mais par la foi seule, en recevant gratuitement la rémission de ses péchés" (article 6).

Cela ne veut pas dire que les chrétiens négligent ou méprisent les bonnes œuvres (ils sont au contraire destinés à les accomplir / Éphésiens 2. 10), ni qu'ils pourront vivre dans l'impénitence au prétexte de "croire". Un théologien évangélique du XVIIe siècle, Jean Gerhard, soulignait, dans ses "Méditations" que : Comme par la foi notre âme devient l'épouse de Christ et lui est étroitement unie, il s'ensuit que la foi est en nous la mère de toutes les vertus. Là où est la foi, là se trouve Christ. Là où est Christ, là se trouve aussi la sainteté de la vie, savoir la véritable humilité, la véritable douceur, le véritable amour.

Mais cela veut dire que seule la justice du Christ, que nous ne pouvons recevoir que par la foi, est notre justice devant Dieu. C'est là notre paix et notre salut :
"C'est ainsi que David exprime le bonheur de l'homme à qui Dieu impute la justice sans les œuvres : Heureux ceux dont les iniquités sont pardonnées, et les péchés couverts !" (Romains 4. 6-7).


2. Importance et preuve de cet article


Ces paroles contiennent toute la différence entres les religions des hommes (religions de la justification par les œuvres) et la Bonne Nouvelle de Dieu. Les talmudistes croient en effet qu'il leur est possible d'acquérir du mérite auprès d'Hashem par l'observance des misvots de la Torah. Les mahométanistes estiment pareillement qu'ils peuvent cumuler des hassanats (bons points pour le paradis) devant Allah, en observant les prescriptions de la charia. Semblablement, les papistes croient que leurs bonnes œuvres, accomplies sous la grâce, servent à parfaire leur justification (qui commence selon eux avec la foi) et à leur ouvrir ainsi finalement les portes du ciel.
En disant que nous sommes justifiés et sauvés par la seule imputation de la Justice du Christ, au moyen de la foi que Dieu nous donne gratuitement (par pure grâce, sans aucune sorte de mérite de notre part), nous écartons cette idée orgueilleuse et impie de mérite. L'importance de cet article est double : il s'agit bien sûr de glorifier le Christ, en ne cherchant notre Salut qu'en lui ; il s'agit aussi de goûter à l'assurance et à la paix que procure l'Évangile. Philippe Melanchton, l'a résumé ainsi :

"L'objet de cette discussion est une grande chose : il s'agit de l'honneur du Christ ; et il s'agit de savoir d'où les hommes de bon sens tirent un ferme et sûr réconfort, si c'est en Christ ou dans nos œuvres que nous devons mettre notre confiance. Si c'est dans nos œuvres, le Christ est dépouillé de son honneur de médiateur et de propitiateur. Au jour du Jugement de Dieu, nous reconnaîtrons que cette confiance est vaine, et que les consciences tombent de là dans le désespoir. Si c'est à cause de notre amour, et non à cause du Christ, gratuitement, que la rémission des péchés et la réconciliation nous échoient, personne ne les obtiendra à moins d'avoir observé toute la Loi, parce que la Loi ne justifie pas, tant qu'elle peut nous accuser. Puisque la justification est la réconciliation à cause du Christ, il est donc évident que c'est par la foi que nous sommes justifiés, car il est absolument certain que c'est par la foi seule que nous recevons la rémission des péchés" (Apologie de la Confession d'Augsbourg, article 4).
Les sectateurs romains ont dressé l'épître de Jacques contre cette doctrine. Dans le deuxième chapitre de sa lettre (verset 24), Jacques affirme en effet que l'homme est justifié par la foi et les œuvres, ce qui, lu sans discernement, contredit Paul, dans l'extrait cité plus haut (Romains 4. 6-7). Une telle lecture ne discréditerait donc pas seulement le protestantisme, mais le christianisme tout entier. Une lecture plus attentive indique cependant que Paul parle de la justification devant Dieu (Romains 3. 19-20), tandis que Jacques démasque la pseudo-foi des hypocrites (2. 15-17) et traite de la justice devant les hommes (vers. 18).
Or Jacques affirme lui-même clairement que l'homme est sauvé par la foi seule, lorsqu'il déclare que l'homme est renouvelé par la Parole de Dieu (1. 18). Car la Parole de Dieu ne peut être reçue autrement que par la foi.
Tel est aussi ce que précise l'Église, dans son Symbole de foi, ou Credo : Nous confessons un seul baptême, pour la rémission des péchés. Or, puisque le baptême consiste en la Parole de Dieu (l'Évangile) unie à un signe (l'eau), c'est donc cette Parole de Dieu qui, dans le baptême, sauve. Si donc l'Évangile baptismal est notre unique planche de Salut, c'est parce que la foi (qui reçoit la Parole de Dieu) est bien l'unique moyen de recevoir la Justice de Dieu.



3. Défense du dogme contre les altérations actuelles


Contre les affirmations des hérésies modernes (Federal Vision, Nouvelle Perspective sur Paul, etc.) il faut souligner que ce n'est pas seulement la justification, mais bien le salut qui repose (et qui reposera finalement) entièrement sur la foi seule.
C'est ce que souligne la Confession d'Augsbourg, dans l'article cité précédemment: "Il est résolu de Dieu que celui qui croit en Jésus-Christ sera sauvé, non par les œuvres, mais par la foi seule, en recevant gratuitement la rémission de ses péchés".
Il pourrait sembler superfétatoire de rappeler une chose si évidente. Ce serait ignorer que même un prédicateur aussi populaire que le réformé-baptiste (sic) John Piper a émis des propos qui ont pour triste conséquence d'obscurcir cette vérité divine, et de troubler les âmes. Selon Piper:
Dans le salut final au jugement dernier, la foi est confirmée par le fruit sanctifiant qu'elle a porté, et nous sommes sauvés par ce fruit et cette foi.
Cette assertion ayant naturellement entraîné une levée de boucliers, certains se sont cru obligés de défendre l'égaré. Outre des arguments d'autorité dignes du papisme (des pères l'ont pensé ainsi) [1], ils ont forgé de subtiles distinctions entre le droit au salut et la possession du salut (digne, ici encore, d'une distinction papiste comme celle entre la peine et la couple, ou comme si celui qui avait droit au salut n'avait pas pour autant le droit d'en jouir!) [2].

Toujours est-il que l'idée (ou tout ce qui insinue l'idée) d'un salut verbal par la foi seule, qui ne devient salut réel qu'à la condition supplémentaire des œuvres, est une contradiction flagrante du dogme de la justification et du salut par la foi seule. Nul besoin d'un doctorat en théologie, ni de publications dans des revues théologiques, pour en être convaincu ; car, contrairement aux hérésies qui peuvent souvent se prévaloir de guirlandes de versets savamment sélectionnés, cette certitude de foi repose sur la logique de la foi.
Contrairement aux erreurs qui peuvent être récoltées dans des masses d'ouvrages privés (même écrits par des personnes réputés compétentes), notre certitude est exprimée, aussi clairement que simplement, dans le Symbole inaltérable de l'Église : c'est que notre béatitude repose et reposera toujours sur la seule œuvre du Christ, qui nous est imputée par un seul moyen, la foi en l'Évangile.
Cela, la Confession d'Augsbourg, annexe au Credo, l'a explicitement déclaré (article 6).

Plus tard encore, les traditions évangéliques ont souligné l'importance d'écarter soigneusement toute mention des bonnes œuvres dans le discours du salut - et ce dans l'école luthérienne (cf. Livre de concorde, Solida Declaratio, article 3), aussi bien que dans l'école réformée (cf. Confession Helvétique postérieure, article 16. 8 ; Catéchisme de Heidelberg : 7e, 23e et 24e dimanches).



Conclusion


Les chrétiens doivent évidemment rechercher et pratiquer les bonnes œuvres. Lorsque la foi existe véritablement, les œuvres suivent nécessairement. Mais c'est une chose de dire que les œuvres existent nécessairement chez les sauvés, et autre chose de dire que les œuvres sont nécessaires pour être effectivement sauvé.
Il est indispensable de rappeler ces choses sans la moindre ambiguïté, principalement en notre temps. En effet, en 1999, Rome et ses marionnettes ont signé la tristement célèbre "Déclaration d'Augsbourg" (véritable anti-confession d'Augsbourg) , destinée à obscurcir cet article, afin de mieux l'ensevelir.
Ici, aucun compris n'est acceptable. La séduction et les risques de dérives doivent résonner à nos oreilles comme des menaces de mort. Pour terminer, je souhaite ainsi rappeler la salutaire exhortation qu'écrivait Luther, dans son commentaire du Psaume 117:

En particulier lorsque tu entends un saint, sans maturité ni assise, se vanter qu'il sait parfaitement bien que nous devons être sauvés sans nos œuvres par la grâce de Dieu et considérer que c'est pour lui une science toute simple, ne doute en aucune façon que cet homme ne sait pas ce qu'il dit ; peut-être même ne l'apprendra-t-il ni ne l'éprouvera-t-il jamais plus. Car ce n'est pas une science dont on puisse se rendre maître ou dont on puisse se vanter de la connaître.  C'est une science qui veut nous maintenir élèves  et rester notre maîtresse. Et tous ceux qui la connaissent et la comprennent bien ne se vantent pas de la bien savoir; mais ils perçoivent quelque chose comme un goût ou un parfum agréable vers lesquels ils se sentent attirés et se mettent en marche;  ils s'étonnent devant elle et ne peuvent pas la saisir ni la posséder comme ils l'aimeraient , ils sont assoiffés, affamés,  et la désirent toujours plus ardemment  et ils ne sont jamais las de l'écouter  et d'en parler, comme  saint Paul qui confesse lui-même qu'il ne l'a pas encore saisie (Philippiens 3. 12). Et Christ (dans Matthieu 5. 5-6) proclame heureux ceux  qui éprouvent cette faim et cette soif de justice. 
(…) C'est pourquoi, cher frère, ne sois pas orgueilleux ni trop sûr et certain que tu connais bien Christ. Tu entends maintenant, comme je te le confesse et te le reconnais, ce que le diable a pu contre Luther qui, cependant, est vraiment un docteur dans cette science, qui a tant et tant prêché, médité, écrit, parlé, chanté et lu sur ce point : il faut pourtant qu'il reste ici un élève et même parfois il n'est plus ni élève, ni maître. C'est pourquoi laisse-toi conseiller et ne crie pas "hourra". Tu te tiens debout ? Fais attention et ne tombe pas.  Tu connais tout cela ? Fais attention que cette science ne te fasse pas défaut. Crains, sois humble et prie, afin que tu puisses croître dans cette science et que tu soies protégé contre le diable  astucieux qui s'appelle ici Avisé et connaisseur, qui sait tout et qui enseigne tout d'une volée. 
Et maintenant, si tu veux ou si tu dois traiter de problèmes qui concernent la loi et les œuvres, ou les paroles et les exemples de pères, prends avant toute chose cet article capital devant toi et ne te laisse jamais surprendre sans cet article, afin que le bon soleil Christ brille dans ton cœur: alors tu pourras librement et sûrement juger et parler sur toutes les lois les exemples, les affirmations et les œuvres.  (…) Et si tu ne fais pas cela, tu peux être certain que les lois, les paroles, les exemples et les œuvres, avec leur belle apparence et l'aspect considérable des personnes, t'égareront en sorte que tu ne sauras pas où tu te trouves. 
(Luther, Œuvres, Labor et Fides, Tome VI, pp. 242-243).


Bucerian


___________

[1] L'auteur du Calvinist International, titulaire d'un doctorat en théologie, tente d'intimider par avance ses adversaires en déclarant qu'avant de pouvoir être pris au sérieux sur la question, ils auraient certainement besoin de passer du temps à suivre une formation en théologie, puis de publier dans des revues à comité de lecture, etc.
J'ignorais qu'il fallait avoir le curriculum vitae de Joseph Ratzinger pour pouvoir se prononcer sur l'Évangile. Mais puisqu'on nous attire sur ce terrain, je dois signaler que le même auteur, dans un article de la même série, a affirmé que lorsqu'il était (pourtant) doctorant en théologie, il n'avait jamais entendu parler de la doctrine de la Federal Vision. De là à s'interroger sur la solidité du cursus de certaines universités de théologie, il n'y aurait qu'un pas...
[2] Je ne vise pas ici, en tant que telle, la distinction entre le droit au salut et sa possession, mais l'idée selon laquelle la condition des œuvres viendrait se situer entre ces deux choses - condition qui revient évidemment à nier la doctrine du salut par la foi seule.


Commentaires

Anonyme a dit…
Luther (De la papauté de Rome/1520) et Melanchthon (Confession d'Augsbourg et apologie/1530-31) ont eu le génie de s'appuyer sur la Tradition catholique pour désembourber la Religion chrétienne de l'Institution romaine. Cependant, ils ont manqué de radicalité, en vertu de Mt.13/52, en ne ciblant pas les nœuds du Credo (381), comme la définition de Chalcédoine, à propos de son article christologique. Car, si ces théologiens s'étaient arc-boutés EXPLICITEMENT sur les articles, baptismal et ecclésial, du Symbole de Nicée-Constantinople, alors la Cour de Rome eut été contrainte, soit de céder, soit de voir son rôle idéologique de justification de la violence politique du pouvoir temporel balayé, donc être abolie. De sorte que, le libéralisme théologique n'aurait jamais pu voir le jour dans l'Église, grâce à la prépondérance du rôle interprétatif du Credo, en matière doctrinale.

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