De la créance des Pères sur le fait des images (4)




CHAPITRE II 

Que les Pères des quatre premiers siècles n'ont pas vénéré les images de Dieu, ni celles des Saints ; première raison, tirée de leurs disputes contres les païens.


Je dis donc que l’Église Chrétienne qui a fleuri durant les cinq premiers siècles après la naissance de Notre Sauveur n'a point rendu aux images de Jésus-Christ et des Saints la vénération religieuse que leur défèrent aujourd'hui ceux de la communion de Rome.
La première preuve que j'en alléguerai est tirée de la manière dont les Pères de ces temps disputaient de cette matière avec les païens. Car ils leur reprochent partout les honneurs qu'ils rendent aux effigies et simulacres de leurs dieux, et ils se moquent de cette erreur comme d'une extravagance sans pareille. De quel droit l'eussent-ils entrepris, s'ils eussent déféré eux-mêmes aux images de leurs Saints des dévotions et vénérations semblables à celles que les païens exerçaient à l'endroit de leurs dieux ?
Tertullien, dans le douzième chapitre de son Apologétique (1), après avoir montré que les prétendus dieux des païens n'étaient que des hommes, ajoute ces mots:
Pour ce qui est de leurs statues, je ne vois rien d'autre que des matières sœurs de la vaisselle et des meubles ordinaires ; ou bien encore une matière qui provient de cette même vaisselle et de ce même mobilier, et qui change de destinée par la consécration, grâce à la liberté de l'art qui lui donne une autre forme, quoique d'une manière outrageante et par un travail sacrilège.
Et un peu après (2) :
Si donc nous n'adorons pas les statues et les images glacées, tout à fait semblables aux morts qu'elles représentent, et qui ne trompent pas les milans, les souris et les araignées ; le fait de répudier une erreur après l'avoir reconnue ne méritait-il pas plutôt des éloges qu'un châtiment ?
Comment cet homme aurait-il eu à cœur de parler de la sorte, s'il avait partagé la croyance de Rome sur le sujet des images ? Comment n'aurait-il pas craint que les païens lui répondent que les statues et les effigies de son Christ et de ses Saints n'étaient pas d'une meilleure étoffe, qu'elles n'étaient pas d'une forme plus exquise, et qu'elles n'étaient pas d'une plus sensible nature que les leurs ? Comment n'aurait-il pas craint que les païens lui objectent que le bois et l'ivoire, l'or et l'argent, les toiles et les couleurs de son Église ne vivaient pas plus que les simulacres de leurs temples ? Comment n'aurait-il pas craint qu'ils fassent remarquer que ses effigies étaient sœurs des gobelets aussi bien que celles de leurs dieux, et que ni les rats, ni les milans, ni les araignées ne leur portaient plus de respect qu'aux autres ?
Où aurait été le sens de cet auteur, de ne point s'apercevoir que sa croyance justifiait l'erreur du païen ? Certes, François Zephyrus (3), considérant ces choses, confesse ingénument que du temps de Tertullien les Chrétiens n'avaient nulle image des Saints ni des Saintes en leurs temples. 
Or, les autres Pères font aussi les mêmes reproches aux païens. 

Octavius, dans le dialogue de Minucius Felix (écrit vers l'an 211), se moque de ce que les païens priaient et servaient publiquement les images de leurs dieux - l'artifice et la dextérité des ouvriers abusant leur esprit ; l'éclat de l'or, ainsi que la lueur et la polissure de l'argent les éblouissant ; la blancheur de l'ivoire les trompant. Il décrit ensuite toutes les étapes par lesquelles passaient leurs simulacres avant de recevoir les honneurs divins ; c'est qu'ils les faisaient scier, couper et polir avec le rabot, s'ils étaient en bois ; qu'ils les faisaient fondre et battre avec le marteau, s'ils étaient de métal ; qu'ils les taillaient et formaient avec le ciseau s'ils étaient en pierre. Qu'après tout cela, ils les élevaient et les posaient dans leurs niches, pour finalement les parer et les consacrer.
Si le Christianisme de Rome avait été en ce temps là ce qu'il est aujourd'hui, à quoi pensait ce Chrétien en objectant ce qui pouvait semblablement être reproché à ses Saints, dont les effigies se font et se préparent de la même manière, avant de recevoir dans les églises les honneurs qu'on leur rend ?
Ce qu'il ajoute leur convient pareillement : Les animaux muets, dit-il, comme les rats, les hirondelles et les milans : quel jugement font-ils naturellement de vos dieux ? Ils savent et connaissent bien qu'ils n'ont point de sentiment. Ils les foulent et s’assoient dessus ; et si vous ne les chassez, ils feront leur nid dans la bouche de votre dieu. Les araignées couvrent son visage de leurs tissures, et attachent leurs toiles à sa tête. Vous le nettoyez et le fourbissez, et après avoir ainsi fait et protégé, vous le craignez.

Lactance Firmian (4) blâme partout cette sorte de service que les païens rendaient à ceux qu'ils estimaient être des dieux en honorant leurs images. Que veulent dire leurs temples (dit-il), Ces temples, ces autels, et enfin ces simulacres de vos dieux, sont-ce autre chose que des représentations de personnes mortes ou absentes? (...) Mais ces badins, (ajoute-t-il)  ne considèrent pas que si leurs images pouvaient sentir et se mouvoir, elles se mettraient elles-mêmes à adorer les hommes, qui les ont faites et polies, etc. Ceux qui sont capables d'éprouver adorent ce qui est insensible ; ceux qui ont de l'entendement adorent ce qui n'a point de raison ; ceux qui vivent adorent ce qui n'a pas d'âme ; ceux qui sont venus du ciel, ce qui est terrien, etc. Car ces vains et fragiles ouvrages des doigts des mortels (...) sont-ils autre chose que cette terre dont ils sont nés ? (...) Vous craignez (dit-il) vos dieux, parce que vous croyez qu'ils sont au ciel. Pourquoi donc n'élevez-vous pas vos yeux au ciel ? Pourquoi regardez-vous principalement aux parois, aux bois, aux pierres, et non pas plutôt là où vous croyez qu'ils se trouvent ?
Il remarque qu'au commencement, les nations servaient les éléments sans image et sans temple ; que ce sont les démons qui ont appris aux hommes à faire des images et des simulacres, mais que c'est chose perverse et inconvenante, que l'effigie d'un homme soit adorée par l'effigie de Dieu ; que c'est un forfait inexpiable d'abandonner le vivant pour servir les monuments des morts, qui ne sauraient donner à personne ce qu'ils ne possèdent pas eux-mêmes - à savoir la vie et la lumière - et que les images sacrées que servent les hommes vains n'ont nul sentiment. Essayez de penser comme il aurait pu tenir un tel langage, s'il avait rendu aux images des Saints trépassés les mêmes services qu'on leur rend aujourd'hui à Rome ! 

Saint Athanase, qui vivait sous Constantin, en l'an du Seigneur 340, blâmait encore les païens de cette manière : 
 En adorant des pierres et du bois, ils ne considèrent pas (dit-il) qu'ils foulent aux pieds et brûlent au feu des choses semblables, dont ils nomment une partie "dieu" ; et ils sont si peu avisés qu'ils honorent et servent (une fois qu'ils les ont taillées) des choses conçues pour être employées à leur service.
 Dans ce même livre, il ajoute :
Comment n'auriez-vous point pitié d'eux, si ce n'était pour cette raison qu'ils estiment être raisonnable que ceux qui voient adorent ce qui ne voit point, et que ceux qui entendent sollicitent par leurs prières ce qui n'entend point ; et que des personnes naturellement douées d'âme et de raison saluent comme dieux ce qui ne se meut jamais, ce qui est inanimé et (chose infiniment étrange) qu'ils servent ceux qu'ils ont sous leur puissance, comme si c'étaient leurs maîtres ? (5)
St Jean Chrysostome écrit, dans ses commentaires sur Ésaïe : Quoi de plus bas que l'homme déchu de la route du salut, ayant Dieu pour ennemi, se prosternant devant des choses inanimées et adorant des pierres ? (6)
Et ailleurs, sur la Genèse : Voyez combien était lourde cette erreur que ceux qui sont doués de raisonnement servent des pierres et du bois. (7)

Théodoret, qui vécu avant lui au cinquième siècle, écrivait sur le Psaume 113 :

 Les simulacres adorés par les Gentils ne créent pas, mais ils sont faits et ils reçoivent l'honneur qu'ils ont de leur matière. Car on les fait d'or, d'argent et de couleurs, et l'art leur a donné la forme (...). Ils ont bien les domiciles des sens, mais ils n'en n'ont pas l'action, et sont par conséquent de moindre prix, non seulement que de ceux qui les ont faits et formés, mais même que les moindres animaux. Car les mouches, les moucherons, et les bestioles encore plus petites ont de la force dans les sièges des sens, puisqu'elles voient, entendent et marchent. (8)

Ici, je ne doute point que l'on ne nous allègue ce que dit le Cardinal du Perron, qu'il y a une grande différence entre l'opinion que les païens avaient de leurs idoles, et celle que les Chrétiens ont de leurs images. Car les païens, dit-il, croyaient que leurs idoles (c'est-à-dire leurs images et simulacres) étaient dieux, ou bien par la conversion de leur substance (selon l'opinion des plus simples) ou bien par infusion et incorporation de la déité en leurs idoles (selon l'opinion des plus doctes), là où les Chrétiens ne tiennent les images des Saints ni pour images de dieux, ni pour dieux ; au contraire, défendent de croire qu'il y ait aucune divinité ni vertu en elles pour laquelle elles doivent être adorées, ni de leur rien demander, ni d'y fonder sa confiance (9) ; au moyen de quoi on prétendra que les Chrétiens ont pu faire les reproches ci-dessus rapportés aux simulacres des païens, sans craindre que l'on en fit des semblables aux images du Christ et des Saints. Mais cette réponse est vaine. Car, premièrement, ce qu'elle présuppose -- tant de la croyance des païens que de celle des Chrétiens -- sur le fait des images n'est pas entièrement véritable ; et secondement, quand bien même ce serait le cas, cela ne résoudrait toujours pas notre objection. 

Pour le premier, donc, j'admets qu'il est possible qu'entre tant de peuples aveuglés par la superstition païenne, il se trouvaient quelques personnes extraordinairement brutales, qui tenaient ces effigies de bois, d'or, d'argent et de pierre, qu'ils voyaient de leurs yeux et touchaient de leurs mains, étaient véritablement des divinités, étant devenues telles par quelque espèce de conversion de leur première substance. Mais je soutiens qu'une telle rêverie bestiale était fort rare, et n'était nullement reconnue par les théologiens des païens pour un article de leur créance, mais qu'elle était désavouée et rejetée comme une extravagance de quelques particuliers. Origène cite le païen Celse, et dit : Où est l'homme qui, à moins d'être totalement sot et insensé, estime que ces choses soient des dieux ? (10) Arnobe, de même : Ceux qui défendent les images ont aussi accoutumé de dire que les anciens n'ignoraient pas que les simulacres n'ont rien de divin et sont entièrement destitués de tout sentiment, mais que ça a été sagement et salutairement qu'ils les ont formés, à cause de la rudesse et ignorance de la populace, qui est d'ordinaire la plus grande partie des villes et des états, afin que voyant comme une apparence et forme de Dieu devant eux, ils soient introduits par la crainte à quitter et à se dépouiller de leur rudesse et barbarie. (11)
C'est donc faire tort aux païens de leur imputer cette imagination, puisque nulle secte ni profession n'est responsable des folies de ses particuliers. Quant au reste, il est vrai que quelques-uns des doctes païens ont enseigné que les esprits, ou du moins les vertus de leurs dieux venaient se nicher dans leurs statues et effigies incontinent après leur consécration, comme en témoigne clairement ce que déclare Trismegiste en Saint Augustin, à savoir qu'ils accouplaient par un certain art les esprits invisibles aux choses visibles, constituées de matière corporelle, De sorte (dit-il) que les simulacres dédiés et assujettis sont comme des corps animés. (12) Et c'est tout ce que prouvent tant de passages de l'Écriture et des Pères dont le cardinal du Perron remplit inutilement six pages entières de son livre - selon la coutume de n'être jamais plus abondant que là où il en est le moins besoin. Mais il n'est pas vrai que les païens crussent que cette union (qu'ils établissaient entre ces divinités ou puissances spirituelles et leurs effigies) fussent personnelles et hypostatiques, en sorte que l'effigie et l'esprit qui y résidait ne fissent ensemble qu'une seule et même personne, comme le présuppose ce cardinal. Nul des passages des premiers écrivains, qu'ils fussent Chrétiens ou païens, ne dit rien de cela ; et ils peuvent tous s'expliquer en posant seulement une résidence soit de la substance, soit même de la vertu des esprits dans les effigies qui leur étaient dédicacées - ce qui n'induit aucune union personnelle entre ces deux sujets ; pas plus que la présence du pilote dans le vaisseau qu'il gouverne, ou que l'intelligence dans le ciel qu'elle mue (selon la doctrine d'Aristote) n'induit que le pilote et le navire, l'ange et le ciel qu'il meut, ne soient un seul et même suppôt à proprement parler et univoquement. Il n'est pas vrai non plus que tous les païens aient reçu cette opinion, que les images qu'ils servaient étaient véritablement habitées - et, s'il faut ainsi parler, animées par quelque forme ou vertu de la divinité à laquelle on les avait consacrées. Mais comme l'erreur est une chose fort diverse, et qui se divise ordinairement en plusieurs pensées différentes, les esprits de ceux qui la veulent établir, il arriva que, se sentant pressés par les objections des Chrétiens, qui leur reprochaient l'honneur qu'ils rendaient à ces basses et viles matières, ils eurent recours les uns à une hypothèse et les autres à une autre. Car les uns employèrent cette réponse, que les simulacres étaient comme les logis, les sièges et les niches de la divinité ; les autres, plus déliés, répondaient que c'étaient les images et les signes des dieux. Saint Augustin, après avoir rapporté l'excuse de ceux qui disaient : Je sers, non cette chose visible, mais la divinité qui y habite invisiblement, ajoute: Mais il y en a d'autres qui pensent avoir une religion bien plus épurée, qui disent: 'je ne sers ni le simulacre ni le démon, mais par cette effigie corporelle, je vois le signe de la chose que je dois servir'. (13) D'où vient la distinction que fait le même auteur entre les païens, au lieu cité par le cardinal du Perron, Ils vénèrent les simulacres ou comme dieux, ou comme signes et images de dieux (14) et celle d'Origène qui, parlant des sages païens et des prières qu'ils faisaient aux idoles : Ils n'ont point de honte de parler à des choses inanimées, ou comme à des dieux, ou comme à des images des dieux. (15) Certes, Celse, dans le passage que nous avons allégué d'Origène, déclare qu'il faut tenir leurs idoles, non pour des dieux, mais pour Choses consacrées aux dieux, et pour les portraits et simulacres des dieux. (16) Il paraît ainsi que les païens pensaient que le culte des effigies et des simulacres était relatif et non absolu, se rapportant aux dieux à qui ces effigies étaient consacrées, à cause de l'union qu'elles avaient avec eux, soit parce que leur esprit, ou du moins leur vertu y habitaient (comme le disent quelques-uns) soit simplement parce que c'étaient leurs portraits et images, ou des signes et symboles de leur personne ou de leur vertu. 

 Or, en conscience, n'est-ce pas là précisément la croyance qu'ont les partisans du deuxième concile de Nicée, tant du service qu'ils rendent aux images, que de leur union avec les Saints et les anges, sur laquelle ils le fondent ? Tout comme dans les peuples païens, il se trouvait des gens (mais en petit nombre) qui par une erreur trop grossière et désavouée des doctes de leur parti, prenaient pour vrais dieux ces simulacres sensibles et matériels devant lesquels ils se prosternaient dans leurs temples, n'y a-t-il pas dans la communion des Chrétiens qui vénèrent les images, des personnes si grossières qu'elles ne mettent point de différence entre l'image et le Saint ? Et comme entre les doctes païens il y en avait qui tenaient que la divinité résidait en son simulacre par la présence ou de sa personne ou de sa vertu, ne s'est-il pas trouvé des gens entre les Chrétiens, qui ont une semblable opinion de l'union des Saints avec leurs images ? Quant à la présence personnelle, à la vérité, je ne connais personne d'entre eux qui la pense ou la défense formellement, tous s'accordant (il me semble) en ce point, que les esprits des Saints, dont ils dédient et vénèrent les images, jouissent hors de cette terre ou de la gloire ou du repos de Dieu. Néanmoins, il se fait et dit beaucoup de choses parmi eux, qui semblent induire cette imagination, comme ce qu'ils racontent de diverses images qu'elles ont ou pleuré, ou sué, ou saigné. Et quant à la présence de la vertu, je confesse que le concile de Trente la désavoue ; mais on ne peut pas nier non plus que d'autres (que Rome reconnaît de sa communion) ne la pensent ; comme les pères de Nicée, qui disent que les images ont la force de sanctifier. Eux et le pape Adrien tiennent que la vue des images sauve les Chrétiens, tout comme la vue du serpent guérissait les Juifs (17). Le Cérémoniel Romain porte ainsi expressément que L'Agnus Dei est sanctifié par les cérémonies mystiques (18), et reçoit la vertu de l'Agneau qui était immolé en Égypte, et celle qui depuis a été en Jésus crucifié. Et en la consécration de l'image de la sainte Vierge, Dieu (disent-ils) sanctifie cette forme de la Bienheureuse Vierge afin qu'elle donne à tes fidèles l'aide d'un salutaire secours ; que les tonnerres et les foudres en soient promptement chassés. En la consécration de l'image de Saint Jean-Baptiste, ils prient Dieu Qu'elle soit un saint repoussement des diables, un attrait des anges, une protection des fidèles. En oraison qu'ils disent à l'image de Jésus-Christ, imprimée dans le saint-suaire et donné à la Véronique, après avoir salué Ce saint visage imprimé (ce sont leurs mots) dans un linceul aussi blanc que neige, et après l'avoir appelé L'honneur du siècle, le miroir des Saints, ils prient cette image de Les expurger de toute tache des vices, etc. Heureuse image (disent-ils) du visage de notre Seigneur merveilleusement décorée par le don éternel, épandez la lumière dans nos cœurs, par la force qui vous a été donnée. Et un peu après, Conduisez-nous, ô Bienheureuse figure, dans notre propre patrie, pour y voir le pur visage de Christ.
Le Cardinal du Perron ne donne-t-il pas pour une chose assurée que les anciens Chrétiens pensaient s'acquérir, par les images des Saints, Sauvegarde et protection, tutelle et indemnité ? Comment tout cela, si les images n'ont aucune vertu, ni force ? Certes, Thomas, le pilier de leur école, pose en général que Les choses inanimées acquièrent par la consécration une certaine vertu spirituelle, qui les rend propres au service de Dieu, afin que les hommes en reçoivent quelque dévotion (19). En effet, s'ils croient qu'il n'y a aucune vertu dans les images de Notre Dame (qu'ils appellent) de Lorette, ou des Ardillières, c'est une chose étrange et dont j'avoue ne pas comprendre le mystère, qu'ils fassent tous les jours de si longs voyages dans les lieux où elle sont consacrées. Enfin, comme les plus déliés d'entre les doctes païens, ceux dont la religion était à leur avis la plus épurée - comme disait st Augustin - tenaient seulement les simulacres dédiés en leurs temples pour signes et images des dieux; de même aussi les plus raffinés des Chrétiens qui vénèrent les images (c'est-à-dire ceux de Trente) déclarent formellement que ce sont simplement des effigies et des représentations des Saints, et qu'il ne faut les honorer qu'à cause des prototypes auxquels elles se rapportent. Si donc les anciens Chrétiens eussent eu de la vénération des images la même opinion que le (second) concile de Nicée et Rome en ont eu depuis, ils n'eussent pu faire aux païens les reproches qu'ils le firent en cet article, sans se rendre ridicules. Car, quant à ce que dit le Cardinal du Perron, que ceux de son parti ne tiennent les images des Saints ni pour images de Dieu ni pour Dieu, cela est vrai en partie, mais il est hors de ce propos. 

Premièrement parce que, outre les images des Saints, nos adversaires ont aussi celles de Jésus-Christ et des deux autres Personnes de la Trinité - sur lesquelles au moins tombent directement et sans exception les reproches que faisaient les premiers Chrétiens aux simulacres des dieux (si donc ils avaient été de l'avis de Rome sur ce sujet, ils auraient par conséquent du s'abstenir de tels reproches).

Deuxièmement, il n'est pas question ici des objets représentés par les images (s'ils sont dieux ou non) mais des images mêmes et du service que leur rendaient les païens. Car, en supposant que les anciens Chrétiens tenaient les opinions de la Rome actuelle sur ce sujet, je confesse qu'ils auraient été fondés à réfuter les dieux adorés par les Gentils, et de montrer que c'étaient ou des hommes ou des vanités, des fictions et non des dieux. Mais je dis qu'en revanche, ils n'auraient pas pu leur reprocher le fait de se prosterner devant les images de ceux qu'ils croyaient être des dieux (en tout cas, pas sans être injustes et ridicules) étant donné que cette objection aurait alors porté contre eux-mêmes (puisque, selon cette supposition, ils auraient pareillement servi les images de leurs Saints). Ils auraient été comme ceux de Rome aujourd'hui, qui peuvent bien disputer contre les divinités des païens sans se nuire, mais qui ne peuvent pas blâmer ces mêmes païens en raison du fait qu'ils se servent d'images et de portraits dans le service qu'ils rendent à ces idoles. 
Mais je dis que quand bien même toute cette différence que présupposent nos adversaires (entre l'opinion qu'ils ont de leurs images et celle que les païens avaient des leurs) était entièrement véritable (ce qui n'est point, comme nous venons de le montrer) toujours ne résoudrait-elle point notre argument. Les païens ont cru que les images qu'ils servaient étaient les images de dieux. Soit, bien qu'ils y missent eux-mêmes une grande différence, distinguant le Dieu souverain ainsi absolument nommé d'avec les autres inférieurs, qu'ils ne considéraient que comme des ministres et des officiers ; soit ils croyaient que les dieux habitaient réellement dans les portraits et effigies qui leur étaient consacrées. Nous avons assez montré qu'ils n'en n'avaient pas tous cette opinion; mais supposons qu'ils l'aient crue. 
Certes, en ce cas j'admets que le Chrétien aura raison de taxer leur bêtise, en ce qu'ils donnaient le titre et l'honneur de la divinité à des créatures ou à des chimères, appelant "dieux" ce qui ne méritait pas même le nom d'homme. J'avoue qu'il pourrait encore leur reprocher cette extravagante bizarrerie de lier et renfermer la divinité, chose libre, sainte et céleste, dans de l'or et de l'argent, du bois et de la pierre, matières si basses et si chétives. Mais s'il vénère lui-même des images, s'il se prosterne devant elles, s'il leur offre des luminaires et de l'encens, etc. quels que soient les objets qu'elle représente, il ne pourra sans se rendre ridicule reprocher aux païens le fait qu'ils défèrent ces mêmes services aux portraits et effigies de leurs dieux. Or les Pères reprochent ces trois choses aux païens: quant aux premiers et principaux objets de leurs dévotions, c'est-à-dire ces prétendus dieux, qu'ils logeaient en partie dans les cieux, en partie dans les autres lieux et éléments de l'univers, ils montrent au long par les propres histoires des Gentils qu'ils avaient été pour la plupart des tyrans, des personnes infâmes, et ils leur prouvent par raison qu'il n'y a qu'un seul Dieu, comme on peut le voir par les livres écrits par les Pères contre les païens. Ils ne leur faisaient pas non plus cette imagination si déraisonnable, qu'une divinité laisse comme attacher et incorporer soit la substance soit la vertu dans une matière terrienne insensible et inanimée, comme dans l'or et l'argent, et la pierre. Voilà, dit Arnobe, une belle et bonne raison pour pouvoir persuader non seulement les esprits grossiers, mais encore les plus avisés, que les dieux laissant leurs propres sièges, c'est-à-dire le ciel, ne refusent point d'entrer en des habitacles terrestres, ou plutôt qu'étant forcés d'y entrer par le droit de la consécration, ils s'incorporent et se lient dans les simulacres. Vos dieux habitent donc en du plâtre et en de la terre cuite ? Même les dieux sont les esprits, les âmes et les entendements d'une terre cuite et de plâtre? Et afin que des choses si chétives puissent devenir plus augustes, ils se laissent enfermer et souffrent de demeurer cachés et retenus dans un obscur habitacle (...) Si vous êtes pleinement persuadés que les dieux célestes vivent et habitent dans les entrailles de leurs statues et simulacres, pourquoi les gardez-vous sous de si fortes clés, et avec de si grands barreaux? (20)
Mais outre ces deux points, qu'ils taxent et reprennent la créance des Gentils, ils leur reprochent aussi les services et dévotions, qu'ils rendaient aux images et effigies de leurs dieux prétendus, comme nous l'avons vu et remarqué ci-devant. Ils se moquent de ce qu'ils se prosternaient devant elles, de ce qu'étant hommes ils se couvrent devant des choses inanimées, et vénèrent des pierres. Saint Augustin même touche ces deux abus dans le service des païens, l'un en ce qu'ils adressaient à des créatures ce qui ne revenait qu'au Créateur ; l'autre en ce qu'ils offraient à la divinité des services qui lui sont désagréables, en lui dédiant des simulacres. Si l'on sert (dit-il) quelque élément du monde, ou quelque esprit créé, quoique non impur ni mauvais, en l'honorant d'un temple, d'un prêtre, d'un sacrifice (ce qui n'est dû qu'au vrai Dieu) c'est mal fait.
Non que les choses en lesquelles ce service consiste sont mauvaises, mais parce qu'elles sont telles qu'il n'appartient qu'à Dieu d'en être servi, comme celui seul à qui est dû cet honneur. Que si quelqu'un prétend que c'est le vrai Dieu, créateur de tous les corps et de toutes les âmes, qu'il sert avec ces simulacres brutaux et monstrueux (...) celui-là pèche, non en ce qu'il adore une chose qu'il ne faut pas adorer, mais parce qu'il ne l'adore pas comme il la faut adorer. (21) Je confesse donc vraiment que les passages des Pères où ils réfutent la première, ou la seconde de ces trois erreurs, ne font rien à ce propos, et que ce serait mal argumenter d'en conclure que les Pères n'ont ni eu ni vénéré les images de Jésus-Christ et des Saints (seulement, je dis que des passages de la seconde sorte, on peut à mon avis inférer que les Pères ne croyaient pas à la transsubstantiation, qui sonde et présuppose évidemment la possibilité et congruité de ces inclusions d'une divinité céleste en des choses terrestres et matérielles). Mais quant aux passages de la troisième sorte, ils concluent nécessairement que les images ne servaient ni n'avaient les images de Jésus-Christ et des Saints, comme fit depuis le deuxième concile de Nicée et comme fait maintenant l’Église de Rome, étant évident que la différence des sujets représentés par les images des païens et celles des Chrétiens (que nous confessons être très grande) n'empêche nullement que les images des uns et des autres ne soient de même étoffe, ni que les services qu'ils rendent chacun aux siennes ne soient semblables. 

Si ce n'est pas mal fait d'ériger des images de bois, d'or, d'argent ou de pierres dans les lieux sacrés en l'honneur de ce que l'on sert religieusement, ni de se prosterner devant elles, ou de leur offrir des cierges et des parfums, ou de les porter en procession, il est clair que quelque lourde qu'ait été l'erreur des païens en l'opinion qu'ils avaient de leurs dieux, on ne peut néanmoins les blâmer sur ce point. En effet, peut-on les blâmer de ce qu'ils ont consacré à leurs dieux des images auxquelles ils ont rendu les vénérations susmentionnées ? Au fond, puisqu’ils les tenaient pour dieux, le culte qu'ils leur déféraient à cet égard, n'est pas plus difficile à soutenir que ce que les docteurs de Nicée et de Rome rendent aux images de leurs Saints. 
Même à considérer la chose exactement, il semble qu'il le soit moins. Car, dira le païen, si vous qui ne croyez ni que les Saints que vous invoquez soient des dieux, ni qu'ils soient réellement présents dans leurs images, ne laissez pas néanmoins d'en consacrer à leur honneur, de les saluer, de vous prosterner devant elles la tête nue, et les mains jointes, de les promener sur vos épaules vêtues et parées superbement, de faire de longs voyages pour avoir seulement le bien de baiser les balustres et les treillis des lieux où elles sont enfermées, combien plus ai-je de raison d'ériger et de consacrer des images à ceux que j'estime être vraiment dieux ?
Combien suis-je mieux fondé d'honorer et de servir leurs simulacres, puisque outre le rapport qu'ils ont avec eux, ils sont encore habités ou de leur divinité ou du moins de leur vertu présente ? En effet, ceux de Rome qui travaillent en Orient pour amener les Chinois et les autres idolâtres à leur communion n'ont pas coutume d'invectiver contre les images de ces nations. Ils seraient moqués par eux, s'ils en usaient de la sorte. Bien loin de blâmer les opinions qu'ils y trouvent de l'usage des images en la religion, ils en tirent de l'avantage pour leur dessein, changeant seulement les noms et les titres des choses et dédiant aux Saints et aux Saintes les effigies et les dévotions que ces barbares, durant leur première erreur, adressaient mal à propos à leurs fausses divinités. Puis donc que les anciens tiennent une procédure toute contraire, reprochant aux païens leur erreur non seulement sur la nature et l'inclusion de leurs dieux prétendus, mais aussi nommément et expressément les images qu'ils leur dédient, et les services qu'ils leur rendent, il faut conclure que quant à eux ils n'avaient ni ne vénéraient en leur religion aucune image des choses et des personnes qu'ils estimaient saintes et divines. J'ajouterais encore, pour la fin de cet article, que la même chose paraît aussi clairement de ce qu'ils louent quelques fois les premiers ancêtres des païens d'avoir servi la divinité sans aucun simulacre. Varron avait laissé par écrit que les anciens romains avaient servi leurs dieux sans aucune effigie ni simulacre pendant plus de 170 ans. Et si cet usage (disait-il) continuait encore aujourd'hui , les dieux en seraient servis plus chastement et plus purement - ajoutant que ceux qui avaient les premiers proposé les simulacres des dieux aux peuples, avaient ôté la crainte aux états et avaient accru l'erreur. Saint Augustin rapporte et loue ce passage, disant que Varron avait sagement estimé que les dieux pouvaient être aisément méprisés dans la brutalité ses simulacres. Et s'il eut assez d'autorité (dit-il) contre l'antiquité d'une si grande erreur, il eu assurément prononcé qu'il ne faut adorer qu'un seul Dieu - celui qu'il croyait gouverner le monde - et qu'il le faut adorer sans image.


A suivre...



(1) Tertullien, Apologétique, XII. § 2.
(2) Ibidem, § 7.
(3) Francesco Zefiro, Commentarius in "Apologeticum adversus gentes".
(4) Lactance Firmian, Institution divine, livre 2, chapitre 2.
(5) St Athanase, Contre les Gentils.
(6) St Jean Chrysostome, Homélies sur Ésaïe, chap. 2 § 7.
(7) Ibidem, Homélies n° 57, sur la Genèse.
(8) Théodoret, sur le Psaume 113.
(9) Du Perron, Réfutation du discours de Fontainebleau / Du concile de Trente, Session 25.
(10) Origène, Contre Celse, livre 7.
(11) Arbobe, livre 6.
(12) St Augustin, Cité de Dieu VIII. 23.
(13) St Augustin, Sur le Psaume 113.
(14) Ibid. Livre 3 de la doctrine chrétienne, chap. 7.
(15) Origène, contre Celse, livre 7.
(16) Ibidem.
(17) Adrien, Epitre à Charlemagne, chap. 26.
(18) Cérémoniel Romain, livre I, section 7, chap. 8.
(19) Thomas d'Aquin, Somme théologique, 3e part. Q. 85. art. 3.
(20) Arnobe, Contre les Gentils, livre 6.
(21) Cité de Dieu, livre VII, chap. 27.
(22) Ibid. , livre 4. chap. 31.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Parlez de Jésus-Christ, ou taisez-vous

Sacrement de confesse?

Eglise Protestante Unie de France : l'alternative