Annotations sur la Concorde de Wittenberg (9/9)








RÉCEPTION ET CONCLUSION

 
Selon l'historien Pierre Chaunu, la Concorde a scellé l'unité de 80% du protestantisme. (1)
Au-delà des strasbourgeois, la Concorde fut par exemple reçue par Oswald Myconius, antistès de la ville de Bâle - et avec lui par tout le corps pastoral de la cité (2 août 1536).

Contrairement à ce que certains ont laissé entendre, la Concorde n'a pas été désavouée lors de la grande assemblée de Smalkalde, en 1537. Au contraire "les articles de foi furent passés en revue par tous les théologiens protestants assemblés à Smalkalde, afin de s'assurer de l'absence de dissension. Les princes assurèrent alors qu'ils maintiendraient cette formule de concorde tandis que, concernant les sacrements, Bucer (et les autres théologiens de la Haute Allemagne) apportèrent entière satisfaction à tous les docteurs présents, y compris les plus rigides ". (2)

Jean Brenz écrivait ainsi, à cette occasion (3) :
J'ai lu, et lu et encore relu la Confession et Apologie présentée à Augsbourg par le très illustre Prince, l'Électeur de Saxe ainsi que par les autres princes et États de l'Empire Romain à Sa Majesté Impériale.  J'ai lu également la Formule de Concorde concernant le Sacrement, faite à Wittenberg avec le Dr. Bucer et les autres. J'ai également lu les articles écrits à l'Assemblée de Smalkalde en langue germanique par le Dr. Martin Luther, notre plus révéré précepteur, ainsi que le traité concernant la papauté et le pouvoir et la juridiction des évêques.
Et, à mon humble avis, je juge que tous ces textes sont en accord avec la sainte Écriture, ainsi qu'avec la foi de la véritable Église Catholique.
 Mais bien que je reconnaisse que je suis certainement le plus petit parmi toute la multitude d'hommes si instruits qui sont à présent réunis à Smalkalde, comme il m'est impossible d'attendre la fin de l'assemblée, je vous demande, à vous, Dr. Jean Bugenhagen, qui êtes l'homme le plus renommé et le père le plus révéré en Christ, que vous ajoutiez mon nom, si nécessaire, à tout e que j'ai mentionné ci-dessus.
 
Car je témoigne de ma propre signature que c'est cela que je soutiens, confesse et que je veux constamment enseigner, par Jésus-Christ, Notre Seigneur. 

JEAN BRENZ, Ministre de Hall.
Fait à Smalkalde,
le 23 février 1537.


Jean Calvin, ayant séjourné à Strasbourg, a également approuvé cette Concorde (4). Dans une lettre en date de l'année 1539, le Réformateur Français écrivait à Guillaume Farel :
" Je demande tout d'abord qu'ils ne croient pas que mon but ait été de perturber la Concorde établie entre les Églises allemandes ; car je suis aussi déterminé à protéger cette Concorde jusqu'à la fin que j'ai été heureux de l'adopter - comme je pense l'avoir suffisamment déclaré dans le travail en question. "
 "Primum id deprecabor, ne initam inter Germanicas ecclesias concordiam interpellare me voluisse credant, quam mihi decretum est non minus constanter ad extremum tueri, quam libenter amplexus sum : quod satis luculento testimonio declarasse in illo opere mihi videor." (5)

Ces rappels sont rendus nécessaires en raison du fait que le protestantisme peut parfois donner l'impression de se résumer à une multitude de fiefs théologiques, dans lesquels les théologiens seraient en quelque sorte les vassaux d'un grand docteur (ici, le luthéranisme; là, le calvinisme, etc.)
Quoi de plus ruineux que cette antique tentation (1 Corinthiens 1. 10-16) ? La Concorde de Wittenberg, qui a permis de constater la pleine communion de ses signataires (l'ensemble du protestantisme !) n'est au contraire réductible à aucun de ces particularismes. Elle est le bien commun de chacun. Elle est de ce fait le cadre délimitant l'orthodoxie et permettant le témoignage commun.  Cela, un fidèle comme Guy de Brès, auteur de la Confession de foi des Pays-Bas - il fut aussi martyr -, l'avait bien compris. Devant le Synode d'Anvers, en 1565, il plaidait encore pour la ratification de la Concorde. Pourquoi ? Parce que que cela fermerait la bouche aux détracteurs qui accusent les protestants d'être désunis, et que cela faciliterait par la même occasion le témoignage évangélique devant le monde (6).
Quelques décennies plus tôt, Luther avait déjà fait l'expérience de ces bénéfices; dans une lettre datée du 6 mai 1538, il se réjouissait ainsi de ce que:

Les Suisses, qui jusqu'à présent n'étaient pas d'accord avec nous sur la question du Saint-Sacrement, sont en bon chemin ; Dieu veuille ne pas nous abandonner ! Bâle, Strasbourg, Augsbourg, Berne et plusieurs autres villes se sont rangées de notre côté. Nous les recevons comme frères, et nous espérons que Dieu finira le scandale, non pas à cause de nous, car nous ne l'avons pas mérité, mais pour glorifier son nom et faire dépit à cet abominable pape. La nouvelle a beaucoup effrayé ceux de Rome. Ils sont dans la terreur et n'osent assembler un concile. " (7)


 
 CONCLUSION


Cette série a souvent été l'occasion de condamner l’œcuménisme par lequel certains tentent vainement de résorber les schismes. Le seul résultat est qu'ils se mettent en danger et augmentent la confusion.
J'ai aussi dû dénoncer le relativisme, auquel certains ne résistent que par le sectarisme. Ces dangereux phénomènes se nourrissent mutuellement. Face à eux, le protestantisme a besoin de se réaligner ; ses mots d'ordre doivent être : l'orthodoxie, et non le sectarisme ; l'irénisme, et non le relativisme. Mais pour cela, il faut un cadre commun, auquel seule la Concorde de Wittenberg correspond. (8)

Cette série d'articles a donc mis en exergue le patrimoine confessionnel de l'Église chrétienne. Ces textes de référence sont, je le pense, importants. Importants pour le bien-être de l'Église, le bon ordre et l'édification. Or je n'ignore pas que des piétistes profiteront de ces paroles pour chercher à m'accuser de réduire le christianisme à une souscription froide et sclérosée à une liste de textes.
Je veux donc rappeler ici que, pour un orthodoxe, ce patrimoine théologique n'a pas pour vocation à remplacer une conversion et une vie de foi réelles dans le Seigneur Jésus. Nous savons en effet que Dieu n'attend pas seulement d'être honoré par notre intelligence - en cherchant la cohérence de la foi et les textes symboliques propres à dire notre unité dans cette foi ; loin s'en faut qu'il se contente d'être honoré par nos lèvres ! C'est avant tout notre cœur que le Seigneur recherche, un cœur duquel doivent être bannis la méchanceté, les pensées vaines, l'orgueil, le mensonge, et l'impureté ; un cœur que le Seigneur veut remplir de son amour, de sa sainteté et de sa vie. Les sacrements célèbrent notre incorporation au Christ, d'autant que tous ces biens nous sont accordés en Lui. Et en Lui seul.

A Lui soient le règne et la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, pour les siècles des siècles.

Amen!


Bucerian


  ________________________

(1) Pierre Chaunu, Le temps des Réformes.
(2) Melanchthon, 1er mars 1537, Corpus Reformatorum III, page 202.
(3) J'ai trouvé le texte, en anglais, sur le site "Book of Concord", à la rubrique des souscriptions au Traité de la primauté du pape, approuvé par les théologiens assemblés à Smalkalde.
(4) Voir : François Wendel, Calvin, source et évolution de sa pensée religieuse, page 101; Emile G. Léonard, Histoire générale du Protestantisme, Tome 1 ; Timothy J. Wengert, "Philip Melanchthon's 1557 Lecture on Colossians 3: 1-2 : Christology as Context for the Controversy over the Lord's Supper", in Dingel, Kolb, Kuropka and Wengert, Philip Melanchthon, 210.
(5)  Herminjard, correspondance, tome VI, page 132, ss: Exemplar excusasionis quae praefationi inseretur.
Plus loin dans sa lettre, le Réformateur de Genève ajoute encore :
Si, comme c'est certainement le cas, le point principal de la Concorde est que le corps et le sang du Christ ne sont pas simplement symbolisés dans l'Eucharistie, mais vraiment exposés - et, pour ainsi dire, présentés devant nous par le ministère de l'Église -, j'ai non seulement souhaité que la Concorde soit préservée, mais, en ce qui me concerne, j'ai également cherché à la renforcer.
Si hoc praecipuum est Concordiae caput, ut certe est, non figurari modo in coena Christi corpus et sanguinem, sed per Ecclesiae ministerium vere exhiberi, et veluti coram repraesentari, - non tantum volui Concordiam salvam esse, sed, quantum in me erat, confirmare etiam studui.
(6)  Émile G. Léonard, Histoire Générale du Protestantisme, tome 2, page 76.
(7) Il s'agit d'un extrait de la lettre à Albert de Prusse, que l'on trouve dans : Mémoires de Martin Luther écrits par lui-même, traduits et mis en ordre par Jules Michelet ; Mercure de France, Paris, 1990, Livre III, chapitre III, note numéro 1.
(8) Aucun autre accord ne pourra valablement sceller l'unité protestante ; sa seule nouvelleté suffirait à le discréditer. Les tentatives faites depuis le XVIe siècle (notamment l'échec du colloque de Leipzig, en 1631) suffisent à le démontrer. Et d'ailleurs, pourquoi faudrait-il chercher un autre accord, alors que la providence n'a établi que celui-ci?

Commentaires

Anonyme a dit…
Amen: qu'il en soit ainsi!
Anonyme a dit…
"Sermon bourré de théologie.
Ce théologien s'exprime comme un vieux serviteur fidèle qui a connu Dieu tout
petit et l'aide tous les matins à s'habiller de dogmes.
Dieu se reconnaît-Il dans le miroir que son serviteur Lui tend ? Peut-être. Le
théologien L'examine et Le mesure de pied en cap.
(Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre.)
Mais toute mon adoration se réfugie dans l'espace éternel que l'examen de ce Docteur laisse en Vous, Dieu, d'Inconnaissable."
(Marie Noël, Notes intimes, Stock, Paris 1959. p.130)

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