De la créance des Pères sur le fait des images (1)
A Monsieur,
Monsieur Marbaut, Conseiller et Secrétaire du Roy, Maison et Couronne de France.
Monsieur,
Entre les abus qui se sont coulés dans la religion Chrétienne, et dont le Seigneur nous a délivrés par sa grâce, la vénération des images est sans doute l'un des plus étranges et des plus contraires tant à la droite raison des hommes, qu'aux saintes Écritures de Dieu.
Car la raison nous montre que la divinité est une nature invisible et incompréhensible, et dont l'entendement humain ne saurait concevoir la forme, bien loin de la pouvoir représenter par l'artifice du burin ou du pinceau; et elle nous apprend encore que l'homme étant une créature animée, et même capable de l'éternité, c'est une chose inutile et honteuse que de l'abattre devant des effigies muettes, mortes et insensibles. De là vient que des nations entières, conduites par la seule lumière de la raison, ont rejeté l'usage des images et des statues en la religion. Entre autres: les Perses, les anciens Allemands, les Libyens, et les premiers Romains - durant l'espace de plus de cent soixante années -, et que de ceux-là même qui avaient et honoraient des idoles, les mieux avisés ont reconnu que le service de la divinité eut été plus pur et plus chaste sans simulacre, et que ceux qui les avaient introduits avaient, par ce moyen, diminué le respect, et accru l'erreur (1).
Mais l'Écriture condamne cet abus encore beaucoup plus clairement, nous témoignant que le Seigneur défendit jadis à son Israël, parmi les foudres et les tonnerres de Sinaï, de faire aucune image et ressemblance des choses célestes et terriennes pour se prosterner devant elles et pour les servir, armant sa défense de cette épouvantable menace, qu'Il est Notre Dieu fort et jaloux, punissant l'iniquité des pères sur les enfants jusqu'en la troisième et quatrième génération de ceux qui le haïssent; puis, en répétant et éclaircissant cette ordonnance en divers lieux de sa Parole et la confirmant par une exemplaire punition de ceux qui avaient la présomption de la violer. Aussi est-il constant que son premier peuple conçut une telle horreur de ce péché, que nonobstant les fortes inclinations qu'il avait de sa nature, il n'y tomba jamais depuis la captivité de Babylone. D'où paraît combien est étrange, autant que déplorable, la faute des Chrétiens qui, après tant de lumières et d'exemples, n'ont pas laissé de souiller d'un si grossier abus le service véritable et spirituel qu'ils doivent désormais à Dieu, selon la discipline de leur Maître. Le pis est que, rejetant opiniâtrement les saints avertissements que le Seigneur leur en a donné en divers siècles, au lieu de se corriger de cette erreur, ils s'y sont pour la plupart affermis - la passion, qui est ingénieuse, ne manquant pas de leur fournir des couleurs pour farder leur faute et la rendre moins horrible. Mais, n'en pouvant trouver dans l'Écriture aucun fondement apparent, ils ont à leur ordinaire recours à la tradition, le prétendu trésor d'où ils tirent la plupart de leurs erreurs; disant que les Apôtres donnèrent de vive voix à leurs disciples l'ordre d'avoir et de vénérer des images, qui s'est conservé dans l’Église, ayant été laissé de main en main aux chrétiens par les premiers instituteurs de la religion.
C'est là, Monsieur, la matière de ce livre, où, pour désarmer l'erreur de ce vain prétexte, j'ai montré, ce me semble, par preuves fortes et claires, que les Chrétiens n'ont pas eu d'images dans leurs Églises pendant les trois premiers siècles, et une bonne partie du quatrième; qu'elles y entrèrent depuis peu à peu, mais seulement pour servir d'ornements aux lieux et de récréation ou d'instruction aux personnes; et qu'elles n'y ont obtenu la vénération qu'elles y ont maintenant que fort tard dans l'obscurité des derniers temps, et après plusieurs grands combats où notre nation a eu la gloire de se signaler particulièrement, ayant longtemps soutenu la vérité, et plié la dernière sous la violence et injustice de l'abus. J'ajoute que d'autres meilleures plumes ont déjà éclairci ce sujet. Mais quelques-uns de mes amis à qui j'ai eu tout loisir de communiquer ce mien travail, depuis sept ou huit ans que je le composais, ayant jugé qu'il ne serait peut-être pas entièrement inutile à l'édification des fidèles, m'ont requis d'en faire part au public. Et l'un d'eux en ayant entrepris le soin, je le laisse sortir en lumière, priant le Seigneur qu'il en bénisse la publication à sa gloire et à l'éclaircissement de la vérité.
Au reste, Monsieur, je vous l'adresse nommément, afin que si sa faiblesse l'empêche de me rendre envers le public le service que je désire, il me rende au moins celui-ci envers vous en particulier de vous témoigner au mieux qu'il m'est possible le respect que je vous porte, fondé sur une excellente piété accompagnée d'une douceur et honnêteté de mœurs très accomplies, et de l'extrême estime que je fais de la sainte et précieuse amitié dont vous m'honorez, et finalement ma reconnaissance pour les fruits que je cueille tous les jours, tant de votre agréable et très vertueuse conversation, que d'une infinité de bons offices qui m'obligent à prier Dieu ardemment (comme je fais de toutes mes affections) pour la prospérité de votre personne aussi bien que de toute votre famille et à demeurer à jamais.
Monsieur, Votre très humble et obéissant serviteur,
DAILLÉ.
De Paris, le 26 février 1641.
A suivre...
_____________________________
(1) Varron, en Saint Augustin: La Cité de Dieu 4: 31.
Commentaires