Explication de l'oraison dominicale (3)
Il y a sept demandes dans l'Oraison dominicale : la première : Ton nom soit sanctifié. La seconde : Ton règne vienne. La troisième : Ta volonté soit faite en la terre comme au ciel. La quatrième : Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. La cinquième : Et remets-nous nos dettes, comme nous remettons aussi les dettes à nos débiteurs. La sixième : Et ne nous induis point en tentation. La septième : Mais délivre nous du mal. Amen. Ces sept demandes pourraient aussi être appelées des leçons ou des remontrances que Dieu nous adresse
par la bouche de son Fils. Elles embrassent tout un corps de doctrines,
et nous présentent, en peu de mots, le résumé de ce que l'Evangile nous
enseigne. Car, comme le dit le saint évêque et martyr Cyprien, nous
y trouvons sept déclarations de notre misère et indigence, destinées à
nous ouvrir les yeux sur nous-mêmes, et à nous montrer de combien de
dangers et de maux nous sommes environnés ici-bas. Car qu'est-ce
que notre vie terrestre,
sinon une série de blasphèmes du nom de Dieu et de désobéissance à sa volonté, des jours d'exil, une terre affamée,
un amas de péchés, une route périlleuse, un océan de maux ? Tel
est le tableau qu'en fait Jésus dans cette prière, et que nous allons exposer aux yeux de nos lecteurs.
PREMIERE DEMANDE
Ton nom soit sanctifié
Cette prière renferme peu de mots; mais telle est la richesse et la profondeur de son sens, que nulle expression ne saurait l'atteindre; heureux qui la profère de tout son cœur! Parmi les sept demandes, c'est à bon droit qu'elle tient le premier rang; et de toutes les requêtes qu'il est possible d'adresser à Dieu, il n'en est point de plus grande que celle-ci : Ton nom soit sanctifié.
Remarquez d'abord que le nom de Dieu, étant saint en lui-même, ne peut être sanctifié par nous; car bien plutôt est-il l'unique source de toute sanctification. Mais ce que nous demandons, c'est (comme le dit aussi saint Cyprien) qu'il soit sanctifié en nous, c'est-à-dire que Dieu devienne tout en nous, et que nous soyons anéantis en lui. Et c'est à cela que tendent les autres demandes, qui toutes n'ont pour objet que la sanctification du nom de Dieu. Aussi, ce premier point obtenu, tout le reste est gagné, comme je le ferai voir par la suite.
Mais pour bien comprendre en quoi consiste la sanctification du nom de Dieu, il faut qu'on sache d'abord ce que c'est que la profanation de ce saint nom.
De la profanation du nom de Dieu.
Remarquez d'abord que le nom de Dieu, étant saint en lui-même, ne peut être sanctifié par nous; car bien plutôt est-il l'unique source de toute sanctification. Mais ce que nous demandons, c'est (comme le dit aussi saint Cyprien) qu'il soit sanctifié en nous, c'est-à-dire que Dieu devienne tout en nous, et que nous soyons anéantis en lui. Et c'est à cela que tendent les autres demandes, qui toutes n'ont pour objet que la sanctification du nom de Dieu. Aussi, ce premier point obtenu, tout le reste est gagné, comme je le ferai voir par la suite.
Mais pour bien comprendre en quoi consiste la sanctification du nom de Dieu, il faut qu'on sache d'abord ce que c'est que la profanation de ce saint nom.
De la profanation du nom de Dieu.
Or, le nom de Dieu est
profané en nous de deux manières : 1° lorsque nous en abusons pour
pécher; 2° si j'ose parler ainsi, lorsque nous le volons et dérobons; de
même qu'un vase d'église peut être ou dérobé, ou employé à un usage
terrestre et criminel. Le nom de Dieu est donc déshonoré en nous, en premier lieu, lorsqu'au lieu de le faire servir au profit, à
l'amendement et à l'édification de notre âme, nous l'employons pour pécher et pour nous corrompre nous-mêmes, comme font les devins, les magiciens, les menteurs, les jureurs, les blasphémateurs, les trompeurs, auxquels tous s'applique le troisième commandement du Décalogue : Tu ne prendras point le nom de l'Eternel ton Dieu en vain.
Mais, en général, nous déshonorons le nom de Dieu, chaque fois que nous ne vivons pas comme des enfants de Dieu. L'enfant de parents pieux et honnêtes n'est véritablement leur enfant qu'à condition de les imiter et de leur ressembler en toutes choses. Alors seulement il devient de plein droit le possesseur et l'héritier de leurs biens, de tous leurs noms et titres. Nous de même, qui sommes chrétiens, étant nés de nouveau par le baptême par lequel Dieu nous a adoptés au nombre de ses enfants, nous devons imiter notre Père céleste, et nous efforcer de lui ressembler, si nous voulons que ses biens et ses titres deviennent les nôtres à perpétuité. Or, notre Père est et s'appelle miséricordieux et bon, selon que Jésus-Christ nous l'enseigne, lorsqu'il dit : Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux (Luc vI, 56); ou bien : Apprenez de moi, parce que je suis doux et humble de cœur (Matth. XI, 29). Il est aussi juste, pur, véritable, puissant, simple, sage, etc. Ce sont là autant de titres qui appartiennent à Dieu, et qui sont renfermés dans ces deux mots : « Ton nom; » car les noms de toutes les vertus sont des noms de Dieu. Puis donc que nous avons été baptisés, consacrés à l'Eternel, et sanctifiés sous l'invocation de ces noms, et qu'ils sont devenus les nôtres, il s'en suit clairement qu'en notre qualité d'enfants de Dieu nous devons pouvoir nous appeler et être réellement bons, miséricordieux, chastes, justes, véridiques, aimables, paisibles, pleins de simplicité, d'un cœur doux pour chaque homme et même pour nos ennemis. Car le nom de Dieu, qui a été invoqué sur nous dans le baptême, produit en nous toutes ces vertus, ou du moins devons-nous prier Dieu que son nom soit réellement en nous, y produise ses effets et nous sanctifie (o). ·
Mais que si quelqu'un est colère, querelleur, envieux, amer, dur, implacable, s'il ment, s'il jure, s'il médit, s'il trompe et maudit son prochain, cet homme-là déshonore et blasphème le nom en vertu duquel il a été béni, baptisé, compté au nombre des chrétiens, ajouté au peuple de Dieu; et sous la livrée de ce nom trois fois saint, il honore en réalité le diable, lequel est impur, médisant, rempli de
haine, menteur, l'auteur et le patron de tous les vices.
haine, menteur, l'auteur et le patron de tous les vices.
Sanctifier un objet, c'est
donc, comme vous voyez, le soustraire à toute espèce d'abus, pour n'en
faire d'autre usage que celui pour lequel Dieu l'a formé, comme on
consacre, par exemple, un calice pour ne plus s'en servir que dans les
cérémonies du culte.
C'est ainsi que nous devons être sanctifiés dans toute notre
conduite, de manière à ce qu'elle porte l'empreinte du nom de Dieu,
c'est-à-dire de sa bonté , de sa vérité, de sa justice, etc. D'où il
résulte qu'on sanctifie, ou qu'on déshonore le nom de Dieu , non
seulement par la bouche, mais encore par tout autre membre, par le corps et par l’âme. - En second lieu, le nom de Dieu est
déshonoré en , nous, lorsque nous le volons et dérobons. Ceci regarde
les orgueilleux, qui présument d'être pieux et saints par eux-mêmes,
sans se douter qu'ils blasphèment le nom de Dieu tout comme les autres;
car ils ravissent à Dieu, effrontément et sans pudeur, la gloire qui lui
appartient, en revêtant de leur propre nom la justice, la sainteté et
la véracité qu'ils se flattent de posséder. De tels gens, il en est
beaucoup aujourd'hui, surtout parmi ceux qui ont la réputation d'être
pieux et spirituels. Car ces personnes ont une haute opinion
d'elles-mêmes; elles prennent fait et cause pour leurs paroles, leurs
œuvres et leur sagesse, et prétendent à en recueillir louanges et
honneurs; et elles vomissent feu et flammes lorsqu'on fait mine de
mettre en doute leurs mérites. L'Ecriture les désigne sous le nom
d'hommes au cœur profond, que Dieu seul peut sonder et juger, et qui
exercent extrêmement sa patience. Car ils savent donner à tout ce
qu'ils font de si belles couleurs, qu'ils finissent par se considérer
le plus sérieusement du monde comme des saints achevés. Mais cette
complaisance avec laquelle ils se contemplent, cette gloire dont ils
s'encensent, ces caresses qu'ils prodiguent à leur amour-propre, forment
la plaie la plus grande et la plus dangereuse de leur cœur. Aussi en
voulons-nous parler plus au long, afin d'arracher à ces gens le masque
dont ils se couvrent, et de prémunir tout le monde contre le danger
qu'il y aurait à les imiter.
Quels sont, dans la chrétienté, les hommes les plus dangereux ?
Remarquez, premièrement,
qu'ils ont toujours sur leurs lèvres des paroles de propre louange. « Je
suis si sincèrement affectionné à tel ou tel. Il ne veut pas m'écouter,
et pourtant, s'il le fallait, je m'arracherais le cœur même pour le lui
donner. » - Gardez-vous, ah ! gardez-vous de ces loups qui viennent
ainsi en habits de brebis. Ce sont des épines parées de roses. Il n'y
croît pas de figues, mais des piquants. C'est pourquoi notre Seigneur
nous dit : Vous les connaîtrez à leurs fruits. Or,
leurs fruits quels sont-ils? Des dards, des aiguillons, des
égratignures, des déchirures, des blessures, point de paroles
édifiantes, point de bonnes œuvres.
Comment cela se fait-il?
Le voici. Une fois que ces gens ont décrété par devers eux qu'ils sont
saints et pieux, et qu'ils ont trouvé qu'ils prient et jeûnent plus que
tels ou tels autres, font plus d'aumônes et sont doués de plus
d'intelligence et de grâces spirituelles, ils s'élèvent promptement, à
leurs propres yeux, beaucoup au dessus du commun des hommes,
s'émerveillent de leur propre piété, et ne
peuvent plus songer sans émotion à l'excellence de leur cœur. De se
comparer avec des chrétiens plus avancés, ils n'ont garde. C'est plus
bas qu'ils choisissent leur point de mire. Ils ne regardent qu'à ceux de
leurs semblables auxquels ils se croient supérieurs, oubliant bientôt
que tous les avantages dont ils jouissent eux-mêmes ne sont qu'un don de
Dieu. De là leur promptitude à juger, à condamner, à médire, à
calomnier; de là cette haute idée d'eux-mêmes, dans laquelle ils
s'endurcissent, et qui les rend impénétrables aux atteintes de la
crainte de Dieu ; de là enfin l'habitude qu'ils prennent de ne plus
faire que se vautrer dans les péchés de leurs frères, d'y penser, d'en
parler sans relâche et d'y salir leurs cœurs et leurs bouches.
Voilà les fruits des
épines et des chardons. Voilà la gueule du loup sous les habits des
brebis. C'est ainsi qu'ils ravissent à Dieu le nom et la gloire qui lui
appartiennent pour se les attribuer à eux-mêmes. En effet, ils usurpent
les fonctions de juge que Dieu s'est réservées, disant : Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés (Matth. VII, 11). Ils ont la prétention d'être bons, tandis que Dieu seul est
bon, saint et parfait, et que, sans distinction, tous les hommes sont
pécheurs. Rien n'est à nous que nos souillures; les qualités et les
vertus qui nous élèvent au dessus de nos frères, viennent de Dieu, sont
et demeurent à Dieu. A lui en doit revenir le nom , l'honneur et la
louange. Quiconque s'en prévaut, non pour servir, mais pour mépriser ses
semblables, est un larron qui vole à Dieu sa gloire, et s'approprie
ce qui est à Celui-là seul de qui provient tout don excellent et
parfait. Le monde est plein aujourd'hui de ces esprits audacieux et
rebelles qui déshonorent le nom de Dieu par leur bonne conduite, plus
outrageusement que ne le font les autres par leurs dérèglements. Je
les appelle des saints insolents et des confesseurs du diable, qui ne
veulent pas être comme les autres gens, et dont le pharisien de
l'Evangile est le type. Comme si eux n'étaient pas pécheurs, ils font fi
des méchants et des injustes, et s'en détournent avec dégoût; car ils
ont peur qu'on dise : « Quoi! cet homme fréquente-t-il des gens de cette
trempe? Je le croyais trop pieux pour se mêler en pareille compagnie. »
Misérables enfants de l'orgueil et de l'ambition, ils ne reconnaissent
pas que si Dieu leur a départi plus de grâces qu'à d'autres, c'est pour
qu'ils les emploient au service de leurs frères, qu'ils les leur distribuent et les fassent valoir à leur profit, c'est-à-dire qu'ils prient pour eux, les aident, les
conseillent, qu'ils se conduisent à leur égard comme l'a fait au leur
l'Eternel, qui leur a conféré en pur don sa grâce, et ne les a ni jugés,
ni méprisés. Au lieu d'agir ainsi, ils confisquent à leur profit les
grâces divines, qui ne leur servent de rien, et ils les
emploient à poursuivre et maltraiter ceux qu'ils auraient dû secourir. A
bon droit, l'Ecriture les appelle des pervers (Ps. XVIII, 27). Que si
on leur rappelle qu'à Dieu seul appartient toute gloire et tout honneur,
vite ils serrent de plus près leurs habits de brebis, et par de
nouvelles déceptions en imposent à leur conscience. Ils prétendent, et
c'est là le second caractère auquel vous pouvez les reconnaître, que
dans tout ce qu'ils font ils ne cherchent que la gloire de Dieu. Ils
jureront, si vous l'exigez, que leur propre honneur ne leur tient pas à
cœur. Tant est radicale et profonde, subtile et spirituelle la
méchanceté de leur cœur. Mais faites attention à leurs fruits et à leurs
œuvres. Voyez comme ils s'étonnent, comme ils s'indignent, comme ils se
plaignent, quand ils ne réussissent pas dans leurs entreprises. Ils
accusent hautement quiconque s'est opposé à leurs desseins, d'en avoir
agi de la sorte par méchanceté, par haine contre le bien, par
indifférence pour la gloire de Dieu. Ils nourrissent contre ceux qui ont
eu le malheur de contrarier leurs vues, d'implacables ressentiments. Ils
les jugent, ils les calomnient sans pitié. Mais par là même ils se
trahissent. Leur colère prouve que ce qu'ils cherchent, ce n'est pas la
gloire de Dieu, mais la gloire de faire triompher leurs idées; comme si
leur jugement était infaillible , comme si la sagesse s'était incarnée
en eux, comme si, quand leur cerveau s'est mis en frais, Dieu n'avait
plus besoin que de son bras pour exécuter leurs arrêts! O les bizarres
personnages, qui ne peuvent concevoir qu'on résiste à leurs plans! O les
plaisants esprits, qui ne peuvent comprendre qu'on se défie de leurs
lumières, et qui ne savent s'expliquer les obstacles qu'ils rencontrent
qu'en les attribuant à la folie, ou à la méchanceté des autres ! Je le
demande, peut-on pousser plus loin et l'arrogance et le blasphème?
N'est-ce pas usurper la gloire et le nom de Dieu même, que de prétendre à
cette suprême sagesse et à cet infaillible jugement qui n'appartient qu'à Lui ? Enfin, en troisième lieu, si l'on avance que toute gloire
appartient à Dieu, et qu'à lui sont toutes choses, oh! ils savent tout
cela mieux que tous les pasteurs, mieux que le Saint Esprit lui-même. «
Venez, venez à nous, si vous voulez prendre des leçons de sagesse. » Les
faire asseoir sur les bancs de l'école? Fi donc! pour qui les
prenez-vous? Vos vieilles vérités, ils les connaissent au bout du doigt,
et il les comprennent à merveille. — Mais que le combat s'engage, qu'on
attaque leur honneur, qu'on blesse leur amour-propre, qu'on leur
ravisse quelque parcelle de leurs biens, qu'il leur survienne la moindre
contrariété; soudain leur science les abandonne, ils oublient tout ce
qu'ils croyaient savoir, le buisson d'épines porte ses fruits, la peau
de lion glisse, et les oreilles de l'âne se montrent à découvert. Alors
ils se lamentent : « Ah ! grand Dieu! vois du haut du ciel quelles
injustices je souffre. » Les insensés! En face du Maître à qui tout
appartient, et qui lit dans le fond des cœurs, ils osent crier à
l'injustice. Où donc est maintenant votre grande intelligence, vous
qui dites que toutes choses sont à Dieu et viennent
de Dieu? Pauvre misérable ! si toutes choses viennent de Dieu, de quel
droit lui veux-tu défendre d'en disposer comme il l'entend, de les
prendre, de les donner à d'autres, de les répandre çà et là? Si toutes
choses sont à Dieu, demeure tranquille, et laisse-le faire. Car s'il
reprend ce qui est à lui, il ne te fait point de tort. Ne sais-tu pas
quelles furent les paroles de Job, lorsqu'il eut perdu ses biens et ses
enfants : L'Eternel l'a donné, l'Eternel l'a ôté; le nom de l'Eternel soit béni ! Voilà
le langage de la vraie sagesse ! A l'homme qui pense ainsi on ne peut
rien ravir, parce qu'il n'a rien qui soit à lui. Car ainsi dit l'Eternel
: Ce qui est sous tous les cieux est à moi (Job XLI, 2). Pourquoi donc parles-tu de ce qui t'appartient, et cries-tu au
vol lorsque rien n'est à toi? On attaque ta réputation, ton honneur,
ta fortune? Toutes ces choses sont le bien de Christ, et non le tien, et
c'est précisément pour dissiper tes illusions et pour te montrer
combien sont chimériques tes prétentions, qu'il permet qu'on t'enlève
ce que tu réputais être à toi. Oh! combien peu nous cherchons
sincèrement et véritablement la gloire de l'Eternel ! Et combien, en
particulier, ces grands saints sont-ils acharnés à s'attribuer les biens
et les honneurs qui n'appartiennent qu'à Dieu !
Que nul ne peut sanctifier convenablement le nom de Dieu.
Mais, dites-vous, s'il en est ainsi, il s'en suivrait qu'il n'y a personne en cette terre qui sanctifie le
nom de Dieu autant qu'il le devrait; et de plus, toute personne qui
défendrait son bien ou son honneur devant les tribunaux, se rendrait
coupable d'un grand tort. Voici
ce que j'ai à répondre. Hélas! non, il n'est personne qui soit capable
de sanctifier dignement le nom de Dieu. Aussi cette première demande
est-elle, comme je l'ai dit plus haut, la plus grande de toutes, celle
qui renferme toutes les autres, et dont la profondeur défie toutes les
mesures de notre intelligence. Car s'il se trouvait quelqu'un qui fût
capable de sanctifier véritablement le nom de Dieu, celui-là n'aurait
plus besoin de prier le Notre Père. Et
si quelqu'un parvenait à détacher son cœur de toute créature, de son
honneur et de son propre moi, celui-là serait entièrement net, et le nom
de Dieu serait sanctifié en lui parfaitement. Mais c'est là une
perfection qui nous est réservée dans le ciel; Sur cette terre, nous ne
l'atteindrons pas.
D'autant plus est-il
nécessaire, aussi longtemps que nous demeurons en cette vie, de
prier Dieu avec ardeur qu'il veuille sanctifier en nous son nom. Car,
quoique ces grands saints refusent d'en convenir, tout homme blasphème
le nom de Dieu, l'un plus, et l'autre moins.
Aussi cette demande, comme
je l'ai déjà fait remarquer, est-elle plus qu'une simple prière ; c'est
tout un enseignement salutaire, c'est une solennelle déclaration de
notre misère et perdition, c'est une
sommation faite à notre conscience de descendre en elle-même, et de sonder la profondeur de sa corruption. Dieu nous ordonne de prier que son nom soit sanctifié en nous. Que signifie cet ordre,
sinon qu'à l'heure où nous prions, ainsi que durant toute notre
existence terrestre, le nom de Dieu ne brille point encore dans
nos cœurs de tout l'éclat de sa sainteté, et que nous
ne cessons de mettre des entraves à la manifestation de sa gloire?
Nous sommes donc, car ici il n'y a point de milieu, nous sommes donc des blasphémateurs ; au lieu de le sanctifier, nous profanons et souillons le nom de Dieu ; de notre propre aveu nous outrageons ce qu'il y a de probation marqué sur
notre front ! Vraiment je ne connais rien dans toute l'Ecriture qui,
plus que cette prière, nous ravale et nous humilie. Quel est l'homme qui
puisse aimer Dieu , sans désirer mourir bientôt et quitter cette vie
qu'il passe à blasphémer le nom et la gloire adorable de son
Créateur ? Ah ! si nous comprenions le Notre Père, il
ne nous faudrait pas davantage pour connaître notre perversité, et
pour être guéris de notre orgueil. Le moyen, en effet, d'avoir le cœur
gai et le front altier, après s'être confessé coupable d'aussi énormes
péchés que ceux d'avoir profané le nom de Dieu, et d'avoir transgressé
journellement le précepte qui nous défend de prendre en vain ce saint nom ?
Pour ce qui est des
poursuites en justice, je dis qu'elles ne font pas notre éloge. Il
vaudrait mieux qu'il n'y eût pas de procès. Toutefois, on les tolère pour éviter de plus grands maux, et pour ménager la faiblesse de
tant de chrétiens imparfaits qui n'ont point encore appris à renoncer à tout pour tout
abandonner à Dieu. Qu'on sache néanmoins que le but vers lequel nous
devons tendre est de glorifier de plus en plus le nom de Dieu, de lui
rendre les honneurs, les biens, et toutes autres choses que nous nous
sommes appropriés, et d'être ainsi complètement sanctifiés, C'est pour
cette cause que le Seigneur veut que nous priions sans cesse dans notre
cœur : Ton nom soit sanctifié. Et
encore qu'un chrétien se verrait enlever ses biens, son honneur, ses
amis, sa santé, sa sagesse, il aurait tort d'en marquer de l'étonnement. Si nous voulons être sanctifiés et sanctifier le nom de Dieu, il
faudra, tôt ou tard, que tout ce qui est à nous soit anéanti, que tous
les biens que nous regardons comme les nôtres nous soient pris. Tant
qu'il existe un seul objet auquel notre ame reste attachée et qu'elle
réclame comme sa propriété, le nom de cet objet usurpe l'honneur qui
appartient au nom de Dieu. Il faut donc que nous soyons dépouillés de
tout pour que Dieu seul demeure, et qu'à lui soient attribués toutes
choses et tous noms. Ce n'est que de cette manière que s'accomplit
réellement la parole de l'Ecriture qui appelle les justes pauvres et
orphelins, délaissés de père et de mère, destitués de toutes
consolations.
Que tous sont donc condamnés.
Mais, dites-vous, si tous, nous sommes incapables de sanctifier le nom de Dieu, nous sommes donc
tous en état de péché mortel, nous sommes tous sous
le poids de la condamnation? Eh! qui en peut douter? Nous serions
assurément tous dignes de mort et de peines éternelles, si Dieu voulait
agir envers nous selon les rigueurs de sa justice. Car Dieu ne peut
souffrir aucun péché, quelque petit qu'il nous paraisse. Mais il y a
deux espèces de gens. Les uns reconnaissent qu'ils ne sanctifient pas
suffisamment le nom de Dieu; ils en gémissent, s'affligent de leur
perversité, prient le Seigneur de leur accorder la grâce de le glorifier
à l'avenir. A ceux là Dieu octroie ce qu'ils demandent, et puisqu'ils se
jugent et se condamnent eux-mêmes, il les absout et les acquitte malgré
toutes leurs défectuosités. Mais pour les esprits présomptueux et
légers qui traitent de vétilles tout ce par quoi le nom de Dieu n'est
pas grossièrement blasphémé, qui pensent à cet égard être exempts de
reproches, ne voient pas leurs péchés et ne prient pas pour en obtenir
le pardon, ils sauront un jour combien étaient énormes les fautes dont
ils parlaient si dédaigneusement, et verront ce qu'ils estimaient devoir
les sauver, tourner à leur confusion; selon que le Seigneur dit aux
pharisiens qu'à cause de leurs longues prières, ils ne recevront qu'une
plus grande condamnation. C'est ainsi que l'Oraison dominicale vous
révèle avant tout votre grande corruption, et vous apprend que vous êtes
des blasphémateurs; elle vous arrache un aveu qui vous doit glacer de
terreur. Elle vous déclare que jusqu'ici vous n'avez point sanctifié le
nom de Dieu. Mais si vous ne l'avez pas sanctifié, vous l'avez donc
déshonoré; et si vous l'avez déshonoré, un tel péché, si Dieu vous juge selon sa justice, mérite les flammes éternelles. Comment vous tirer de là? Votre propre prière rend témoignage contre vous; elle vous accuse et vous ferme la bouche. Votre procès est fait. Votre arrêt est prononcé. Qui est-ce qui vous sauvera? Rassurez-vous ! Dieu ne veut pas la mort du pécheur. Du moment qu'étant rentrés sérieusement en vous-mêmes, vous vous humiliez devant l'Eternel dans le sentiment de votre corruption, son but est accompli, et la prière qui était d'abord destinée à vous ouvrir les yeux sur votre perversité, vous deviendra un gage de sa miséricorde, puisque par elle il vous invite à ne pas désespérer, mais à implorer sa grâce et son secours. Car vous devez croire fermement qu'il ne vous a ordonné de prier que parce qu'il veut vous exaucer, en sorte que par le commandement même qu'il vous donne, il s'est engagé d'avance à ne pas vous imputer vos péchés, et à ne pas vous traiter selon sa rigoureuse justice. Mais Dieu ne tient pour justes que ceux qui confessent franchement avoir déshonoré son nom, et qui demandent de tout leur cœur à le sanctifier à l'avenir. Quant aux hommes qui en appellent au témoignage de leur conscience, et qui se raidissent contre l'accusation que Dieu a portée contre eux, il est impossible qu'ils se sauvent; car ce sont des esprits orgueilleux, présomptueux, impies, et plongés dans une fausse sécurité. Ils ne peuvent s'appliquer la parole du Seigneur : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai. Ils ne com-
prennent pas le Notre Père. Ils ne savent pas ce qu'ils prient.
Conclusion.
Voici donc en abrégé le
sens de la première demande : O notre bon Père, que ton nom soit
sanctifié en nous. Je confesse que j'ai, hélas ! souvent déshonoré ton
nom, et que je le blasphème encore par mon orgueil, cherchant ma propre
gloire et idolâtrant mon propre nom. C'est pourquoi fais par ta grâce que
mon nom périsse en moi, et que je sois anéanti, afin que Toi seul tu
demeures en moi, et qu'on n'y trouve que ta gloire et ton nom.
On aura compris du reste que ton nom signifie
ta gloire, ton honneur. Car un bon nom (renom) dans l'Ecriture, se dit
de l'honneur et de la considération dont jouit quelqu'un; un mauvais nom
(renom), de la honte et de la mauvaise réputation qu'il a encourue.
En sorte que cette prière tend à nous faire comprendre que nous devons
chercher la gloire de Dieu avant tout, par dessus tout et en toutes
choses, employer constamment toute notre vie en son honneur, et n'avoir
en vue notre propre avantage et notre bonheur, soit temporel, soit
éternel, qu'autant que Dieu lui-même nous ordonne de le faire dans
l'intérêt de son nom adorable.
C'est pourquoi aussi cette
demande est la première de toutes. Car la gloire de Dieu est de toutes
les offrandes que nous puissions lui faire la première, la dernière et
la plus grande. Dieu ne nous en demande pas d'autres. Et qu'aurions-nous
d'ailleurs à lui donner? Tous les autres biens, il nous les
départit, ne se réservant que l'honneur, afin que nous reconnaissions et
attestions par toute notre vie, par ce que nous faisons et par ce que
nous souffrons, qu'à Dieu seul appartiennent toutes choses, et qu'ainsi
s'accomplissent en nous ces paroles du psalmiste : Son œuvre n'est que majesté et magnificence, et sa justice demeure à perpétuité (Ps.
III, 5). Heureux l'homme en qui Dieu habite ! Ses jours se passent à
célébrer la grandeur et les merveilles du Tout-Puissant! Ses œuvres ne
sont plus qu'un hymne de louange chanté à son honneur. Uniquement
préoccupé de la gloire de son Créateur, il souffre sans peine qu'on le
méprise et qu'on le calomnie. Bien plus, il applaudit aux discours de
ses détracteurs, et si personne n'est là pour l'outrager, il fait fi de
lui-même, et repousse avec énergie toute espèce d'encens et d'honneurs.
Il est juste dans toute la force du terme, il rend à chacun ce qui lui
appartient : à Dieu la gloire, la majesté, l'omnipotence; à soi-même le
néant, la honte et la confusion. Voilà la vraie justice, non celle qui
ne reluit qu'aux yeux des hommes, comme les lampes des vierges folles,
ou comme la piété des saints d'apparat; mais celle qui plaît à Dieu et
qui, par cette raison, demeure à perpétuité. Vous devez comprendre
actuellement, par tout ce qui a précédé, que cette demande est dirigée
contre le détestable orgueil, lequel est véritablement le nerf, la vie
et l'ame de tout péché. Car de même que là où règne l'orgueil il n'y a
point de vertu, ou du moins nulle vertu de bon aloi, de même où
l'orgueil est tué, tout péché meurt, ou du moins tout péché perd la puissance de nuire. Il en est du péché comme du serpent dont toute la vie réside dans la tête.
Ecrasez la tête du reptile, et vous l'aurez mis hors d'état de faire
aucun mal à personne. Ecrasez l'orgueil, et le péché aura perdu tout son
venin; je dirai même que loin d'être un obstacle à votre
sanctification, il ne pourra plus désormais que vous aiguillonner à la
lutte. C'est pourquoi, comme il n'y a personne qui soit exempt
d'orgueil, de présomption et de propre justice, que chacun s'applique
cette prière, et qu'il l'adresse à Dieu journellement avec ferveur et
dévotion.
A suivre...
A suivre...
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