Fête-Dieu?

Puisque les romanistes adorent le pain, il semble opportun de redire notre position sur le saint-sacrement. Pour cela, nous utiliserons un extrait du Résumé sommaire de la doctrine chrétienne, de Martin Bucer, en 1548.

Nous croyons et enseignons, quant à la substance du sacrement du corps et du sang du Seigneur, que l'on doit croire et penser à son sujet ce que le Seigneur lui-même et son saint apôtre en témoignent: à savoir que le pain que nous rompons (c'est-à-dire que nous consacrons, distribuons et mangeons, ainsi que nous l'a ordonné le Seigneur) est la communion au corps du Christ qui a été donné pour nous, et le calice, la communion à son sang qui a été répandu pour nous (Matthieu 26. 26-28, Luc 22. 19-20, Jean 6. 53-58, 1Corinthiens 10. 16, 11. 23-26). 
Cette communion est telle qu'elle nous intègre toujours plus à sa chair, à son sang et à ses os, que toujours plus nous demeurons et vivons en lui et lui en nous, et que nous formons en lui un seul corps et un seul pain (1Corinthiens 10. 17, Éphésiens 5. 30, Jean 6. 51-58).

Ainsi, nous confessons, avec le saint évêque et martyr Irénée et avec toutes les anciennes Églises apostoliques et les Pères, qu'il y a deux choses dans le saint sacrement: un élément terrestre, le pain et le vin, qui restent inchangés dans leur nature et leur substance, ainsi que le confesse exactement le pieux pape Gélase Ier, et un élément céleste, le vrai corps et le vrai sang du Christ, c'est-à-dire Christ notre Seigneur lui-même, tout entier, vrai Dieu et vrai homme. 
Mais, pourtant, il ne quitte pas le ciel et n'est ni mélangé naturellement avec le pain et le vin, ni localement inclus en eux, mais il s'y offre à nous, d'une manière céleste, comme nourriture et comme soutien pour la vie éternelle, et afin de nous donner l'assurance de la bienheureuse résurrection.

Nous enseignons qu'il faut s'en tenir à cette confession simple et conforme à l’Écriture, s'en remettre au Seigneur pour d'autres questions oiseuses et se garder avec soin de toute dispute inopportune, propre à aliéner les cœurs et même à les emplir d'amertume, ce que ne peut tolérer la vraie foi chrétienne qui agit par la charité *.

Il s'agit, évidemment, d'une sorte de paraphrase de la Concorde de Wittenberg, qui est un commentaire autorisé de la Confession d'Augsbourg.
De cela il ressort, en tout cas, que:

1) Les Protestants n'envisagent pas une Cène sans Christ, avec seulement du pain et du vin comme des métaphores d'un Christ absent.

2) La présence du Christ n'est cependant pas envisagée de façon statique: si le Seigneur s'y offre à nous (à travers le pain et le vin), c'est d'une manière céleste et à nous incompréhensible qui est en tout cas toujours liée à la manducation de ce pain (et du vin).

C'est pourquoi, nous refusons l'alternative entre une présence totémique et une absence réelle: que le Seigneur soit véritablement présent dans le repas ne nous amène pas à en adorer les éléments. Et, inversement, le fait que nous n'adorons pas ces éléments face à nous ne signifie pas que celui que nous adorons ne s'y offre pas à nous, lorsque nous prenons et mangeons.

Bucer

Martin Bucer,
Exposé sommaire de la foi chrétienne, 1548.
Texte établi et traduit par F. Wendel, PUF, 1951.


Commentaires

Théodore a dit…
L'interprétation honteuse que de Bucer fait de la Confessio Augustana fut condamnée par les luthériens dans la Formule de Concorde. Au regard du luthéranisme orthodoxe, elle est hérétique, parce qu'elle ne reconnaît pas la présence du Christ sur l'autel.
Bonjour Théodore et merci pour votre intervention. Seulement, il ne suffit pas de dire qu'il y a une interprétation honteuse de la CA pour que ce soit automatiquement le cas. Encore faut-il le prouver. Du reste, la Concorde de Wittenberg a été signée par Luther lui-même. Des luthériens plus luthériens que Luther, ça commence a faire un peu beaucoup...
Théodore a dit…
Ce n'est pas moi qui réprouve l'interprétation de la CA faite par Bucer et autres "sacramentaires subtils", c'est la Formule de Concorde elle-même, en son article sur la Cène. Elle-même rappelle d'ailleurs les développements doctrinaux et les différents accords signés auparavant, avec les interprétations divergentes ayant rendu une mise au point nécessaire.
Luther avait d'ailleurs conservé la Fête-Dieu, et toutes les églises luthériennes le firent jusqu'à 1600 environ. Certaine les font toujours aujourd'hui.

Pour détendre l'atmosphère, un peu de musique ? ;-)
http://www.youtube.com/watch?v=DnrOwiYqTcc

PS : Les "luthériens plus luthériens que Luther" ne me posent aucun problème. Luther n'est qu'un témoin de la Tradition antérieure, un réformateur, pas un fondateur.
"Sacramentaires subtils", cela fait une accusation. Pas une preuve.
Que je sache, dans l'apologie de la CA, les zwingliens sont dénoncés pour réduire la Cène à une dimension purement horizontale (repas fraternel, mémorial) et à n'envisager d'autre présence que celle de l'Esprit du Seigneur. Ce n'est pas là ce qu'enseigne Bucer, même subtilement.

Ensuite, ce petit clip que vous avez ajouté à votre message, montre un ostensoir. Vous faites aussi l'éloge de la fête-Dieu. Il me semble pourtant que le Livre de Concorde réprouve l'adoration des éléments eucharistique, les processions, etc.
Seriez vous donc plus luthériens que les luthériens déjà plus luthériens que Luther?
Théodore a dit…
L'expression "sacramentaires subtil" est de la Formule de Concorde, qui désigne ainsi les calvinistes et les partisans de Bucer, si l'on s'en réfère à la description qu'il fait de leur théologie de la Présence. Les zwingliens sont, eux, qualifiés de "sacramentaires grossiers" :D

Le livre de Concorde réprouve l'adoration du pain et du vin, pas celle du Christ présent sous le pain et le vin. Quant aux processions, rien lu dessus dans le Livre de Concorde ; il est possible que nos Pères s'y soient opposé.
Il me semble que l'Église luthérienne allemande a longtemps pratiqué l'adoration eucharistique hors Sainte Cène, de même que ses homologues scandinaves. À vérifier.
Ce qui est certain, c'est que Luther a écrit un traité sur l'adoration eucharistique. C'est pas le plus cité, ni le plus connu, mais il existe. Tout le courant gnésio-luthérien le suivra, en opposition aux philippistes et aux crypto-calvinistes, qui s'opposaient à une telle pratique.
La pratique de l'adoration eucharistique, et la croyance en la rémanence sacramentelle, n'est donc pas incompatible avec le luthéranisme, même si ça fait très "High-Church".
Encore une fois, le Livre de Concorde peut bien accuser les calvinistes d'être des sacramentaires, mais une accusation n'est pas une preuve.

La Concorde de 1536 rejette toute présence en dehors de l'acte de communion; et pour cause, les paroles d'institution ne sont pas: "ceci est mon corps... prenez, mangez" mais: "prenez, mangez, ceci est mon corps". L'usage du sacrement (manger) n'est pas dissociable de la présence du Seigneur. De sorte que dans ce repas, où l’Église est manifestée de façon visible (1Co 10. 16-17) le Seigneur y manifeste d'une même manière la présence qu'Il a promise à son Église (Matthieu 28. 20); il n'y a pas lieu de détourner cet article pour constituer un Dieu-pain enfermé sous vitrine et promené dans les rues de la façon la plus grotesque.
Théodore a dit…
L'accusation est certes un peu gratuite, mais si on considère qu'un sacramentaire ne considère pas que le Corps est sur l'autel, alors oui, les calvinistes sont sacramentaires. De toute façon, leur théologie eucharistique tombe sous la condamnation de cette même Formule de Concorde.

Concernant l'instant de la Présence, la position consécrationiste (selon laquelle le Christ est présent dès la prononciation des mots d'institution) est majoritaire chez les luthériens confessionnels. La croyance en la rémanence sacramentelle est alors une possibilité, qu'aucun écrit confessionnel luthérien n'empêche ; comme je l'ai dit plus haut, tout un courant du luthéranisme orthodoxe admit d'ailleurs cette idée, à la suite de Martin Luther lui-même.
Il n'en reste pas moins vrai que le Corps est fait pour être mangé, pas pour être promené ou exposé; chose que les papistes ont tendance à... mettre de côté.
Et depuis quand est-on tenu de croire, selon l’Écriture, que le corps du Christ est "sur l'autel"?
Theodore a dit…
Selon l'Ecriture, "ceci est mon corps" ; le "ceci" (ie, ce qui a l'apparence d'un simple pain) est sur l'autel, donc le Corps est sur l'autel. CQFD.

Je vous renvoie, de plus, a l'interpretation de l'Ecriture selon la regula fidei et l'accord avec les auteurs anciens.

En tout cas, c'est ainsi que nous, lutheriens, comprenons cette presence, et c'est ainsi que les docteurs de la CA, et Luther lui-meme, ont clarifie leur position.
"Ceci" est ce qui est mangé.
Ce qui est sur la table de communion est du pain, rien que du pain.
CQFD
athanasius a dit…
Les paroles d'Institution du saint sacrement ne sont pas des analogies, comme lorsque J-C affirme une de ses fonctions, en disant: "Je suis la porte, Je suis le pain du ciel" etc... Car, le Jeudi Saint des synoptiques affirme clairement: "CECI est mon corps, mon sang". Or, il n'y a pas ni comparaison ni métaphore sous le mot "CECI". On ne dit pas le pain est mon corps, le vin est mon sang mais CECI. En d'autres termes, J-C désigne, une réalité tangible, concrète, comme étant son corps et son sang. Il ne compare pas deux réalités différentes, pour en faire ressortir le rapport ou la fonction. De sorte que, les termes "CECI EST mon corps, mon sang" doivent être reçus littéralement. C'est pourquoi, les paroles d'institution du saint sacrement affirment la présence réelle et contredisent les théories eucharistiques d'ordre symbolique ou spirituel.

Par contre, parce que ces paroles s'inscrivent à l'intérieur du commandement de manger et de boire, alors, personne ne peut déterminer le mode de cette présence, par manque de temps. Car, cette présence est fugace et éphémère, comme l'acte de manger et de boire. C'est pourquoi, toutes les théories eucharistiques de la présence réelle sont nulles et non avenues, la transsubstantiation ou la consubstantiation, puisque cette présence est évanescente

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