Luther, la grâce et le libre arbitre


Aujourd'hui, nombre d’Églises "évangéliques", bien qu'adhérant des lèvres au sola gratia (la grâce seule), sont arminiennes.
Pour elles, Dieu n'a élu personne (ou alors, c'était parce qu'il savait que celui qu'il choisissait le choisirait!): les uns sont sauvés parce qu'ils ont mieux choisi que les autres.
A ce discours (arminien), on oppose souvent la pensée d'un Calvin... Calvin qui a le mauvais rôle, puisqu'on lui attribue généralement l'invention du dogme de la (double) prédestination!
Je propose donc de traiter (bien sommairement) cette question en m'appuyant sur l'un des ouvrages les plus importants de Martin Luther: Du Serf arbitre.

1) Importance de la doctrine 

Dans ce traité, constituant la réponse du Réformateur allemand à l'Humaniste Érasme, nous trouvons d'abord une réponse très pieuse contre les attaques de ceux qui rendent cet article (ou un quelconque autre article de foi) inutile.
L'Esprit saint n'est pas un sceptique! déclare Luther; ce ne sont pas des choses douteuses qu'il a écrites en nos cœurs, mais des assertions plus certaines et plus fermes que la vie même et toute expérience.
De telles paroles, assurément, sont chrétiennes et doivent nous mettre en garde contre l'esprit sceptique et relativiste de notre époque. 
Luther souligne ensuite combien cet article de la prédestination est utile et salutaire:
Quand j'ignore les œuvres et la puissance de Dieu, j'ignore Dieu lui-même! Alors, je ne peux l'adorer, le louer (...) puisque je ne sais pas combien je dois attribuer à moi-même et combien je dois attribuer à Dieu. 
Or, pour Luther (et pour nous-mêmes) c'est entendu: 
Nous devons tout à Dieu, à sa grâce (sola gratia), nous qui étions complètement perdus et coupables (par l'intelligence, le sentiment et... la volonté). Le recours au libre arbitre, propre à la pensée Humaniste et aux Anabaptistes, ne vaut donc rien, lorsqu'il est question de salut. Luther ose le dire, l'écrire et le répéter: le libre arbitre est un mot vide de sens.

2) Vérité de la doctrine 

Face à un Érasme qui instrumentalise et détourne tous les passages de l'Ecriture susceptibles d'asseoir son opinion (et même l'exemple d'Adam!), Luther répond, point par point, notamment par le cas de ce même Adam. Il demande:
Si cet homme alors que l'Esprit était présent, n'a pas pu, de sa volonté neuve, vouloir le bien qui lui était nouvellement proposé, c'est-à dire l'obéissance -et cela parce que l'Esprit ne l'ajoutait pas de surcroît- quoi donc, en ce qui nous concerne, pourrions-nous faire sans l'Esprit, à propos d'un bien qui a été perdu? 
Ce seul point, sans doute, suffit à mettre à terre la prétention diabolique du libre arbitre comme cause (symétriquement) du salut des uns et de la damnation des autres.
Autre exemple avec Pharaon, et la dissertation de Paul en romains 9.
Et Luther, après avoir porté à nouveau les coups les plus durs à la fable du libre arbitre, demande simplement à son interlocuteur, au sujet de romains 9: 19:
Si Paul n'avait pas expliqué cette question, ou s'il n'avait pas défini de façon certaine qu'une nécessité nous est imposée de façon certaine par la prescience divine, quel besoin avait-il d'introduire des gens qui murmurent et allèguent le fait qu'on ne peut résister à la volonté de Dieu? Car qui murmurerait ou s'indignerait  s'il ne sentait que cette nécessité  n'était pas en train d'être définie?

3) Volonté de Dieu et raison humaine

Mais ici, comment ne pas s'indigner contre Dieu? Comment ne pas le croire menteur, lorsqu'il déclare vouloir que tous les hommes soient sauvés, etc? alors qu'il ne choisi et ne fait grâce qu'à quelques-uns?
Luther répond encore, en distinguant la volonté de Dieu telle qu'elle nous est cachée ou telle qu'elle nous est révélée:
C'est ainsi dit Luther, qu'il ne veut pas la mort du pécheur - évidemment par Sa Parole - mais il la veut par cette volonté qui est insondable. Pour Luther, il appartient à ce Dieu incarné de pleurer, de se lamenter, de gémir à propos de la perdition des impies, alors que la volonté de la [majesté] divine, de propos délibéré, abandonne et rejette des hommes pour qu'ils périssent.
Il y a, ici, une limite que nous devons respecter: un mystère que nous ne devons pas entreprendre de vider, d'éluder. Le réformateur, en s'appuyant sur les notions de lumière naturelle, de lumière de la grâce et de lumière de la gloire, nous rappelle finalement que, tout comme il est intolérable, à la lumière de la nature, que le juste souffre tandis que l'injuste prospère ici-bas, et que le scandale ne se lève que par la lumière de la grâce, de même, il apparaît à la lumière de la nature comme à celle de la grâce que Dieu est injuste en ne choisissant pas de faire grâce à tous, mais qu'il apparaîtra tout autre chose à la lumière de la gloire (dans le ciel)... si toutefois nous croyons en attendant!


4) Avertissement:

Il faut se méfier, donc, d'une raison humaine qui, même en croyant, reste faible.
D'une raison qui, par sa condition première, en Adam, est complice et prostituée du diable!
Comme l'écrit Luther: La chair ne tient pas Dieu digne de tant de gloire au point de le croire juste et bon, quand il parle et agit au-dessus du Code de Justinien, ou le cinquième livre de l’Éthique d'Aristote.
Plutôt que de s'incliner, de reconnaître sa limite et adorer Dieu, nous venons à élaborer des doctrines totalement mensongères:
Quand nous voulons excuser Dieu avec notre raison, écrasés par la gloire de Dieu, au lieu d'une excuse nous vomissons mille blasphèmes.

Voilà aussi ce que font, par conséquent, ces Églises enlisées dans la grave erreur arminienne, au lieu d'en rester à la pure et simple Parole de Dieu.

Bucer
 
 

Commentaires

Anonyme a dit…
Le problème radical de tous les avatars du pélagianisme, c'est qu'ils occultent le dogme de la très Sainte Trinité, Un Seul DIEU.
En effet, si la création a pour moteur Dieu le Père; la Rédemption, Dieu le Fils, Jésus-Christ, dont les mérites sont infinis, et la Sanctification, l'application du salut, Dieu le Saint-Esprit, alors T-O-U-T-E notre existence chrétienne dépend de Dieu S-E-U-L! De sorte que, tous les modes du pélagianisme sont exclus d'office.

Comment a-t-on pu oublier à ce point les enseignements, scripturairement fondés et justes, des ss. Athanase, Basile, Maxime le confesseur, ou plus récemment, les catéchismes de Luther et de Heidelberg? Comment a-t-on pu oublier les implications de la Foi baptismale?

Voilà, ce qu'il en est, lorsque le libéralisme politique, et économique, contamine la théologie!

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