Sermon de saint Bernard sur l'Incarnation

SERMON II. Avec quelle impatience les patriarches et les prophètes attendaient l’incarnation du Fils de Dieu, qu'ils ont annoncée.

3. Le Verbe qui s'incarne est la bouche qui baise. La chair qu'il prend est la bouche qui reçoit ce baiser. Le baiser qui se forme sur les lèvres de celui qui le donne et de celui qui le reçoit, est la personne composée de l'un et de l'autre, Jésus-Christ, l'homme médiateur entre Dieu et les hommes. C'est donc pour cette raison que nul saint n'osait dire qu'il me baise de sa bouche; mais seulement, d'un baiser de sa bouche, laissant cette prérogative à celle sur qui la bouche adorable du Verbe s'est une fois imprimée d'une manière unique, lorsque la plénitude de la Divinité s'est jointe corporellement à elle. Heureux baiser, honneur étonnant et merveilleux, dans lequel la bouche ne s'est pas appliquée sur la bouche, mais où l'union des deux natures assemble les choses divines avec les humaines, lie par un lien de paix la terre avec le ciel. « Car il est notre paix, lui qui de deux n'a fait qu'un (Eph. II. 14). » C'était donc après ce baiser, que les saints de l'Ancien Testament soupiraient; parce qu'ils pressentaient qu'il renfermerait une joie immortelle, et tous les trésors de la sagesse et de la science, et qu'ils désiraient avoir part à l'abondance des biens qu'il devait apporter.

6. D'ailleurs, celui qui se déclare notre médiateur auprès de Dieu, est le Fils de Dieu, et Dieu lui-même (I Tim. II, 5 ). Et qu'est-ce que l'homme, pour qu'il se manifeste à lui? Qu'est-ce que le fils de l'homme, pour en faire état? D'où me viendrait la confiance d'oser me mettre entre les mains d'une si haute majesté? Comment, n'étant que terre et que cendre, serais-je assez présomptueux pour croire que Dieu prend soin de moi? Il est vrai qu'il aime son père; mais il n'a besoin ni de moi, ni de mes biens. Qui m'assurera donc qu'il est un médiateur. impartial? Mais s'il est vrai, comme vous le dites, que Dieu ait résolu de me faire miséricorde, et qu'il pense à se rendre encore plus favorable; qu'il établisse une alliance de paix, et qu'il fasse avec moi un pacte éternel par un baiser de sa bouche. Pour que les paroles qui partent de ses lèvres ne soient pas vaines, il faut qu'il s'anéantisse, qu'il s'humilie, qu'il s'abaisse, et qu'il me baise d'un baiser de sa bouche. S'il veut être un médiateur acceptable aux deux parties, et suspect ni à l'une ni à l'autre, que le Fils de Dieu, qui est Dieu aussi, se fasse homme et fils de l'homme, et me rassure par un baiser de sa bouche. Après cela, je recevrai avec toute sorte de confiance le Fils dé Dieu pour médiateur, parce qu'il sera vraiment tel. Je ne le tiendrai plus pour suspect, attendu qu'il sera mon frère et ma chair; et j'espère bien qu'il ne pourra me mépriser quand il sera devenu l'os de mes os, et la chair de ma chair.

8. O racine de Jessé, qui êtes exposée pour servir de signe aux peuples (Isai. II, 10), que de rois et de prophètes ont désiré de vous voir, et ne vous ont point vue ? Siméon fut le plus heureux de tous, lui qui dut sa longue vieillesse à une miséricorde abondante (Luc. II, 25). Quel signe? Ce signe que les anges promettaient, que les peuples demandaient, que les prophètes avaient prédit ; le Seigneur l'a fait et vous l'a montré, mais c'est afin que les incrédules reçoivent la foi, les faibles l'espérance, et les parfaits une entière sécurité. Ce signe est donc pour vous. De quoi est-il le signe ? Du pardon, de la grâce, de la paix, mais d'une paix qui n'aura point de fin. Voici donc quel est le signe : « Vous trouverez un enfant, enveloppé de langes et couché dans une crèche (Luc. II, 12). Mais il y a un Dieu en lui qui réconcilie le monde avec lui (II Cor. V, 19).» Il mourra pour vos péchés, et ressuscitera pour votre justification, afin qu'étant justifiés par la foi, vous ayez la paix avec Dieu (Rom. V, 1).

9. Il faut finir ce discours. Mais pour résumer en peu de mots ce que nous avons dit : Il est visible que ce saint baiser a été accordé au monde pour deus raisons; pour affermir la foi des faibles, et pour satisfaire au désir des parfaits ; et que ce baiser n'est autre chose que le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, l'homme qui étant Dieu, vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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