Annotations sur le Credo #28
Il procède du Père
Introduction:
L’Église chrétienne a été confrontée à de grandes controverses au sujet de la Personne et de la nature du Saint Esprit -- que les ariens de toutes sortes voulaient considérer comme une créature, sinon comme une simple force impersonnelle, de toutes façons inférieure au Père comme au Fils.
Cette opinion est inacceptable pour l'oreille croyante qui, même illettrée (1), resterait imperméable à l'hérésie en raison de son initiation chrétienne, au travers du sacrement baptismal (anciennement appelé, non sans grandes raisons: "illumination").
La sainte Église de Dieu, réunie en concile à Constantinople (mai-juillet 381), n'a pas seulement réaffirmé la personnalité du Saint Esprit, mais aussi sa divinité, tout en maintenant l'unité de la divinité, en confessant, sur une base scripturaire indéniable, que l'Esprit saint procède du Père (Jean 15: 26).
Ainsi était tracée la frontière légitime entre l’Église et le monde; à savoir: non pas dans dans le fait de dogmatiser des méditations assurant le mieux-être de l’Église ou de la foi, mais dans le fait d'affirmer les articles indispensables au Salut -- de sorte à ne pas mettre dehors celles et ceux qui, sur le reste, balbutieraient encore.
Aussi est-ce à bon droit que l'on a considéré ce Symbole de Nicée-Constantinople comme LA Confession nécessaire et suffisante de la Vérité chrétienne et que le conciles universels subséquents interdirent à QUICONQUE d'y retoucher (cf. actes du Concile de Chalcédoine).
I - Filioque
Bientôt, la réflexion s'approfondit en Occident, principalement par l’œuvre de st Augustin dans son Traité consacré à la Trinité. A la suite de ce docteur, les occidentaux enseignèrent que l'Esprit saint procède non seulement du Père, comme terme de la Trinité, mais qu'il procède du Père et du Fils (en Latin: filioque), comme leur lien d'amour mutuel. Cela ne signifie pas qu'il y ait deux principes, ou que l'Esprit procède du Père et du Fils au même sens et de la même manière. Il reste bien finalement un seul principe, le Père qui, pourtant, donne au Verbe qu'il engendre de faire procéder (2).
On alla même, en Occident, jusqu'à insérer le filioque dans le Symbole (3e concile de Tolède, en 589).
Cette façon d'exposer le mystère souleva des difficultés aux orientaux et même de graves querelles. Ainsi, au IXe siècle, Photius, le patriarche de Constantinople, consacra de grands efforts contre la façon occidentale de présenter la doctrine (3).
Néanmoins, le patriarche d'Occident (l'évêque de Rome) s'étant solennellement engagé à ne pas insérer la doctrine du filioque dans le Symbole, la controverse ne brisa pas l'unité.
Ce n'est que lorsque ce même patriarche auto-proclamé chef de l’Église universelle, se mit à approuver et même à ordonner l'ajout du filioque dans le Credo que "l'unique tunique" fut déchirée et que la 'chrétienté' s'en trouva divisée pour mille ans (schisme de 1054).
Ce faisant, il est évident que le pape de Rome, en plus de s'être excommunié par son entreprise de remaniement du Credo, porte la responsabilité exclusive de la division.
II. Opinion de certains orientaux
De leur côté, des orientaux (tels que Grégoire de Palamas) n'ont pas seulement rejeté l'outrecuidante prétention papale à retoucher (seul, qui plus est!) le Credo de l’Église mais ont aussi accusé la doctrine du filioque d'être, en tant que telle, contraire au Credo et d'être la doctrine d'une fausse trinité, comparable à la trinité des ariens ou des manichéens. Le Dieu d'Augustin ne serait pas le Dieu d'Athanase!
Cette dernière opinion, fort polémique, paraît peu défendable et pour plusieurs raisons:
1) Les méditations de st Augustin ont été guidées par les Écritures saintes (cf. Rom 8.9) et la volonté de rendre compte du rôle du Fils dans la spiration de l'Esprit -- rôle que les orientaux ne nient pas catégoriquement, puisqu'ils admettent la formule selon laquelle l'Esprit procède du Père par le Fils.
2) Il n'est pas vrai de dire que le filioque est, comme tel, contraire au Credo, car le Symbole ne précise pas que l'Esprit procède du Père seul, mais dit seulement que l'Esprit procède du Père. La nuance est grande. Par exemple, l’Écriture emploie des expressions exclusives pour nous faire comprendre que nous sommes sauvés par la foi seule: il y est question de la foi sans les œuvres, etc. mais aucune assertion semblable ou équivalente n'existe dans le Credo pour discréditer le filioque, de sorte que cette doctrine n'est pas incompatible avec la vérité professée par l’Église chrétienne.
3) Si le filioque était équivalent à l'arianisme, st Augustin aurait été excommunié au lieu d'être salué, par le cinquième concile universel, comme une "lumière de l'Afrique".
Par conséquent, si les orientaux ont eu entièrement raison de refuser l'altération du Credo, certains parmi eux ont exagéré et gravement fauté en accusant la doctrine.
C'est pour cela que nous suivons et recommandons l'attitude de l'ancien évêque de Rome, Léon III (4), qui refusa l'insertion du filioque dans la lettre du Credo tout en souscrivant publiquement à la théologie du filioque. Car c'est une chose d'enseigner une doctrine que le Credo de l’Église permet de soutenir; c'en est une autre d'imposer comme un dogme ce qui n'est pas indispensable au Salut.
Conclusion
Les protestants que nous sommes ont-ils des leçons à tirer de cette controverse? Ont-ils des conclusions à en tirer? Cette histoire semble lointaine, poussiéreuse et l'on devine la mauvaise foi politicienne avec laquelle les archevêques du moyen-âge (5) ont parfois pu instrumentaliser ces questions pour asseoir leur pouvoir.
Pourtant, oui, cette controverse sur le filioque est riche d'enseignements pour nous.
1) Elle oblige d'abord les "Protestants confessionnels" que nous sommes à retirer des œillères qui ont tendance à nous centrer sur le XVIe siècle. Cette controverse sur le Credo doit nous permettre de remettre les différents "Livres Symboliques" dans une juste perspective.
Le "Livre de Concorde" des Églises Luthériennes, par exemple, suggère que la Confession d'Augsbourg serait pour les chrétiens contemporains ce que fut le Symbole de Nicée-Constantinople pour les anciens. Et d'autres ne sont pas loin de penser, sans doute, que ce rôle revient plutôt aux standards de Westminster, etc. Or il n'est pas question (et il ne sera jamais question!) d'adopter un nouveau Credo à chaque époque. Le Symbole inaltéré de Nicée-Constantinople est le Credo qui délimite a priori suffisamment les frontières de la chrétienté.
Il y eut, certes, des réaffirmations et des précisions du propos de ce Credo, dans les conciles universels subséquents (Éphèse, Chalcédoine, Constantinople II et III pour la Christologie; Augsbourg pour l'article baptismal, ou la rémission des péchés) mais ces sortes d'amendements ou d'annexes au Credo ne doivent ni remplacer le Credo, ni outrepasser son objectif: dire l'essentiel; confesser la vérité du Salut. A l'époque de la Réforme par exemple, la Confession d'Augsbourg était l'indispensable rappel et témoignage du vrai Évangile, du monergisme (sola fide, sola gratia), de l'exclusivité de la foi -- en même temps que du rappel à s'en tenir à la foi traditionnelle, contre les mouvements révolutionnaires. Loin s'en faut que ladite confession puisse servir de précédent à ceux qui désirent inonder le monde de nouvelles confessions, destinées à satisfaire leurs opinions du moment plutôt qu'à rendre gloire à Dieu.
2) Cette réappropriation du Symbole et cette remise en ordre dans nos bibliothèques doit naturellement nous conduire à la question suivante: puisque le Symbole de Nicée-Constantinople, œuvre de deux conciles universels, confirmé par sa réception liturgique de toutes les Églises locales, est fondamentalement notre seule confession de foi, ne convient-il pas de veiller rigoureusement à son contenu?
On se souvient de la levée de boucliers des "Luthériens" au sujet de la Confession d'Augsbourg altérée de 1540 (qui, pourtant, avait reçu une approbation de tous les évangéliques et de Luther même!). Pourra-t-on être plus indulgents envers le texte de Nicée-Constantinople-Tolède?
La réponse est naturellement "non".
Certes, on pourrait toujours dire que, la doctrine du filioque étant correcte, on peut licitement réécrire le Credo. Mais à ce rythme, y aura-t-il encore un texte commun à tous? Qui sera la main autorisée pour écrire au nom de tous? Et aura-t-on jamais fini d'écrire?
Il faut donc que ce que les assemblées universelles, universellement confirmées, ont produit (et à quoi d'autres assemblées, ou synodes, pareillement universelles et universellement reçues, ont interdit d'apporter modification) soit gardé tel et immuable. Il en va de la cohérence et de la discipline de l’Église.
Et en réalité, puisque l’Église elle-même s'est interdit de changer le Credo (voir les canons des conciles mentionnés supra), la seule altération légitime de ce Credo de l’Église universelle (voir ici) ne pourrait s'imposer que par la main de quelqu'un qui, sur la terre, serait placé au-dessus de l’Église tout entière.
Existe-t-il une telle autorité?
Depuis l'an 1870 (concile Vatican I) les catholiques romains estiment que oui. Cette autorité est pour eux le pape de Rome. Et c'est finalement sur cette autorité que, en toute cohérence, ils peuvent justifier ce changement.
Mais les protestants que nous sommes seraient bien mal inspirés de souscrire à un tel changement dans la lettre de notre confession de foi (6)...
Pourtant, oui, cette controverse sur le filioque est riche d'enseignements pour nous.
1) Elle oblige d'abord les "Protestants confessionnels" que nous sommes à retirer des œillères qui ont tendance à nous centrer sur le XVIe siècle. Cette controverse sur le Credo doit nous permettre de remettre les différents "Livres Symboliques" dans une juste perspective.
Le "Livre de Concorde" des Églises Luthériennes, par exemple, suggère que la Confession d'Augsbourg serait pour les chrétiens contemporains ce que fut le Symbole de Nicée-Constantinople pour les anciens. Et d'autres ne sont pas loin de penser, sans doute, que ce rôle revient plutôt aux standards de Westminster, etc. Or il n'est pas question (et il ne sera jamais question!) d'adopter un nouveau Credo à chaque époque. Le Symbole inaltéré de Nicée-Constantinople est le Credo qui délimite a priori suffisamment les frontières de la chrétienté.
Il y eut, certes, des réaffirmations et des précisions du propos de ce Credo, dans les conciles universels subséquents (Éphèse, Chalcédoine, Constantinople II et III pour la Christologie; Augsbourg pour l'article baptismal, ou la rémission des péchés) mais ces sortes d'amendements ou d'annexes au Credo ne doivent ni remplacer le Credo, ni outrepasser son objectif: dire l'essentiel; confesser la vérité du Salut. A l'époque de la Réforme par exemple, la Confession d'Augsbourg était l'indispensable rappel et témoignage du vrai Évangile, du monergisme (sola fide, sola gratia), de l'exclusivité de la foi -- en même temps que du rappel à s'en tenir à la foi traditionnelle, contre les mouvements révolutionnaires. Loin s'en faut que ladite confession puisse servir de précédent à ceux qui désirent inonder le monde de nouvelles confessions, destinées à satisfaire leurs opinions du moment plutôt qu'à rendre gloire à Dieu.
2) Cette réappropriation du Symbole et cette remise en ordre dans nos bibliothèques doit naturellement nous conduire à la question suivante: puisque le Symbole de Nicée-Constantinople, œuvre de deux conciles universels, confirmé par sa réception liturgique de toutes les Églises locales, est fondamentalement notre seule confession de foi, ne convient-il pas de veiller rigoureusement à son contenu?
On se souvient de la levée de boucliers des "Luthériens" au sujet de la Confession d'Augsbourg altérée de 1540 (qui, pourtant, avait reçu une approbation de tous les évangéliques et de Luther même!). Pourra-t-on être plus indulgents envers le texte de Nicée-Constantinople-Tolède?
La réponse est naturellement "non".
Certes, on pourrait toujours dire que, la doctrine du filioque étant correcte, on peut licitement réécrire le Credo. Mais à ce rythme, y aura-t-il encore un texte commun à tous? Qui sera la main autorisée pour écrire au nom de tous? Et aura-t-on jamais fini d'écrire?
Il faut donc que ce que les assemblées universelles, universellement confirmées, ont produit (et à quoi d'autres assemblées, ou synodes, pareillement universelles et universellement reçues, ont interdit d'apporter modification) soit gardé tel et immuable. Il en va de la cohérence et de la discipline de l’Église.
Et en réalité, puisque l’Église elle-même s'est interdit de changer le Credo (voir les canons des conciles mentionnés supra), la seule altération légitime de ce Credo de l’Église universelle (voir ici) ne pourrait s'imposer que par la main de quelqu'un qui, sur la terre, serait placé au-dessus de l’Église tout entière.
Existe-t-il une telle autorité?
Depuis l'an 1870 (concile Vatican I) les catholiques romains estiment que oui. Cette autorité est pour eux le pape de Rome. Et c'est finalement sur cette autorité que, en toute cohérence, ils peuvent justifier ce changement.
Mais les protestants que nous sommes seraient bien mal inspirés de souscrire à un tel changement dans la lettre de notre confession de foi (6)...
Bucerian
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(1) St Irénée de Lyon, (Contre les hérésies III), rapporte le fait des "barbares" ne pouvant lire les Écritures et qui demeurent cependant fidèles, capables de fuir les discours sacrilèges des hérétiques. A moins que cela ne soit dû à une vassalisation des barbares en question envers la personne de leur évêque orthodoxe (ce qui rendrait leur foi suspecte de n'être qu'un fidéisme aveugle envers des hommes) reste le fait sacramentel: élément uni à la Parole (st Augustin), ou geste dans lequel est récapitulé l’Évangile, le contenu essentiel des Écritures, baptême et eucharistie contiennent, telle la double hélice de l'ADN, l'information irréductible qui assure la résilience de l'orthodoxie face à ses contrefaçons.
(2): Saint Augustin, De la Trinité, XV, xvii, 29: "Et cependant ce n’est pas sans raison que, dans cette souveraine Trinité, le nom de Verbe de Dieu n’est donné qu’au Fils, le nom de don de Dieu n’est donné qu’au Saint-Esprit et celui de Dieu le Père au principe dont le Verbe est engendré et dont procède en premier lieu le Saint-Esprit. J’ai dit : en premier lieu , parce qu’on découvre que le Saint-Esprit procède aussi du Fils. Mais le Père a donné cela au Fils, non en ce sens que le Fils existât avant de l’avoir; mais tout ce que le Père a donné à son Verbe Fils unique, il le lui a donné en l’engendrant. Il l’a donc engendré de manière à ce que le Don commun procédât aussi de lui, et que l’Esprit-Saint fût l’Esprit des deux. Ce n’est donc pas rapidement et au vol, mais sérieusement qu’il faut considérer cette distinction au sein de l’indivisible Trinité. Voilà pourquoi le Verbe de Dieu a été proprement appelé Sagesse de Dieu, bien qui le Père et le Saint-Esprit soient sagesse. Si donc le nom de Charité a pu être le nom propre d’une des trois personnes, à qui convient-il mieux qu’au Saint-Esprit? En ce sens cependant que, dans cette simple et souveraine nature, la substance et la charité ne soient pas choses différentes; mais que la substance elle-même soit charité, et la charité substance, soit dans le Père, soit dans le Fils, soit dans le Saint-Esprit, bien que le nom de charité soit proprement attribué au Saint-Esprit."
(3): Photius faisait remarquer que dans la Trinité, ce que est dit s'applique ou bien à une personne ou bien à la nature commune aux trois personnes. Ainsi, ou bien la procession de l'Esprit relevait de l'activité personnelle (et ne pouvait être que le fait du Père) ou bien elle relevait de la nature divine commune aux trois personnes, et alors, il fallait conclure l'absurdité selon laquelle l'Esprit saint procédait de lui-même.
(4) Ce pape de l'époque carolingienne fit exposer à saint Pierre deux boucliers d'argent sur lesquels était gravée, en Grec et en Latin, la version originale du Symbole de Nicée-Constantinople.
(5) Du reste complices de l'hérésie iconodule et peut-être réduits à des schismes pour avoir participé à l'erreur de Salomon vieillissant?...
(6) Ce qui, encore une fois, ne nous empêche pas de recevoir la doctrine formulée par Augustin, ni même d'en faire mention d'en d'autres exposés.
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