Communion des saints et eucharistie
I. La situation du chrétien
Le chrétien a une relation personnelle avec Dieu, mais ce n'est pas une relation individuelle, ou individualiste.
Car le Chrétien est membre de la communion des saints, de l’Église universelle.
Cette Église est l’Épouse du Seigneur (Éphésiens 5) et la Mère des croyants (Galates 3) qui engendre, par son témoignage, les hommes à la foi.
Cela signifie que même (géographiquement) isolé, le croyant n'est jamais seul: un lien d'amour le relie constamment, non seulement à Dieu mais aussi à ses frères et sœurs dans la foi.
Ainsi, à titre d'exemple: lorsque le croyant prie seul chez lui, il est exaucé (Matthieu 6: 6), non pas parce que l’Église est une option facultative mais parce que le croyant reste toujours dans le lien (invisible) de l’Église.
Ainsi, dit-il: Notre Père qui es aux Cieux...
C'est dans cette Assemblée, communion ou Église que Dieu habite en effet.
Logiquement (et non chronologiquement), Dieu est présent:
1) dans son Église;
2) en chacun de ses membres (1Corinthiens 12: 12).
Et non:
1) dans les croyants (qui seraient invités ensuite à former un corps...)
2) l’Église.
Cette place de chaque croyant au sein de l’Église est ainsi souligné par Luther dans son petit catéchisme (Credo, troisième point/ Livre de Concorde, § 504):
"Dans cette chrétienté, (Dieu) me remet, chaque jour, pleinement tous mes péchés, ainsi qu'à tous les croyants"
II. Église universelle et locale
Or, pour le fidèle, cette Église se manifeste concrètement dans l’Église locale. Le chrétien n'est pas obligé, malgré lui, de se joindre à cette Église bien visible (expression locale de l’Église universelle) mais il est heureux et aspire à se joindre à cette communauté parce qu'il y reconnait son environnement normal.
Il est beau pour des frères d'habiter ensemble nous dit l’Écriture (Psaume 133).
III. Eucharistie et corps
Le Sacrement de l'eucharistie est le lieu (liturgique) où l’Église se manifeste le plus solennellement et elle est simultanément le lieu où la présence et où la communion au Christ se manifeste pareillement (1Corinthiens 10: 16-17) parce que la communion au Christ (lien "vertical") est inséparable de la communion avec l’Église (lien "horizontal").
Loin d'être un simple symbole mémoriel à la manière de Zwingli, l'eucharistie est donc, au contraire, un très profond Mystère, le lieu d'une rencontre non seulement avec nos frères mais aussi et d'abord avec le Ressuscité qui manifeste réellement (et non seulement: illustre) Sa Présence, dans ce repas, à travers le pain et le vin partagés.
C'est de Lui que l’Église, en chacun de ses membres, se nourrit d'une manière incompréhensible et par la foi (Jean 6) et qu'elle tire son accroissement, dans l'amour (Éphésiens 4: 16, etc.)
IV. Erreur sur la Cène et solution
Il convient cependant de se garder, dans l'eucharistie, de toute idée caricaturale de la Présence, mystérieuse, du Christ. C'est de considérer la Présence comme figée, statique, là où l'on voit le pain consacré, sur l'autel, en procession, etc.
Or une telle approche conduit à de graves problèmes. Le plus connu étant sans doute celui de la séparation du pain et du vin. En effet:
Le Christ n'est pas présent dans la Cène à l'état de cadavre (Rom 6: 9); or, en tant que tels, les objets pain/vin (le corps et le sang) sont bien séparés (ostensoir ou assiette/coupe), ce qui ferait bien un cadavre (cf Lévitique 17: 11).
Thomas d'Aquin (Somme théologique IV. Q. 76, 2) a pensé résoudre cette difficulté en se retranchant derrière la concomitance (= Christ est tout entier présent sous chaque espèce) mais il a ainsi ouvert une porte très dangereuse, conduisant à légitimer la négligence, puis le refus de la communion sous les deux espèces (cf. Concile de Constance): en effet, en dehors de considérations ''légalistes'' ("le Christ a dit, on ne sait pas trop pourquoi, mais il faut"...) ou d'une faible symbolique ("ça représente la Passion, ça représente la santé de l'âme ET du corps", etc.) quel intérêt de prendre le pain et le vin, quand on a déjà tout dans le pain?
C'est pourquoi il faut repousser la caricature papale pour envisager la présence du Seigneur (dans l'eucharistie) dans sa perspective dynamique et irréductible à tout objet considéré isolément:
De même que Dieu est présent dans l’Église en chacun de ses membres, de même Il est présent dans le repas, en chacun ses éléments (pain/vin). Dans ces séquences, oubliez l'étape "Église", vous aboutissez à l'impasse de l'individualisme.
Oubliez l'étape "repas", vous aboutissez à l'impasse de la chosification, c'est-à-dire une Présence figée, statique, réductible aux objets pain et vin (du moins à leurs apparences).
Le Christ est donc présent dans le repas (1Co 11: 20), constitué du pain (son corps) et du vin (son sang) pris successivement, tout comme nous apparaissent successivement l'avers et l'envers d'une seule et même pièce, quand on la tourne. Mais ce n'est pas parce que ces deux faces nous apparaissent successivement qu'elles sont deux pièces. De même, corps et sang nous sont donnés successivement et distinctement, mais ne sont pas séparés, puisqu'ils sont un repas où le Ressuscité est présent.
Ici, le dilemme que Thomas tentait de solutionner n'existe tout simplement pas.
V. Utraquisme et réceptionnisme
Et l'on comprend mieux la nécessité de l'utraquisme (= la communion sous les deux espèces), respecté non simplement par esprit légaliste, non seulement par subtilité didactique, mais parce que constitutif de l'authenticité même de ce sacrement.
En effet, de même qu'une pièce frappée seulement sur une face est nécessairement une fausse monnaie, de même, une Cène (Cena = repas) où n'est donné que le pain n'est pas le repas du Seigneur et, donc, celui-ci n'y est pas présent.
Enfin, dire que le Christ est présent dans le repas, c'est dire que les éléments (pain/vin) ne sont corps et sang que dans le cadre de l'action manger/boire, c'est-à-dire, lorsqu'ils sont reçus.
Le Seigneur ne dit pas:
Ceci est mon corps!
puis:
Prenez, mangez-en!
Mais dans une phrase où l'ordre et la promesse se soutiennent:
Prenez, mangez, ceci est mon corps.
Cela ressort encore plus chez St Marc (14: 13-24) où la parole "ceci est mon sang" concerne manifestement ce qui est bu.
Bucer
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