De l'unité du Protestantisme

 
Dans son ouvrage intitulé "Martin Luther, Jean Calvin: contrastes et ressemblances", Jacques Blandenier soulève une problématique tout à fait importante et à laquelle, sans doute, plus d'un Protestant a déjà été confronté:
Sommes-nous acculés à choisir entre Luther et Calvin, et se réclamer de l'un et, au nom de ce choix, écarter l'autre?
 
Je pense qu'il faut faire bien attention à la réponse que l'on donne à cette question.
 
En effet:
 
  • si l'on considère qu'il faut se retrancher exclusivement derrière l'une de ces deux grandes figures (et, au-delà: à l'une des deux grandes "écoles" qui s'en "réclament"), le risque, sans doute, est celui d'un certain sectarisme.
     
  • Mais si l'on considère que ces deux écoles n'ont d'autre trait d'union que notre volonté à les accepter toutes, au motif que la différence serait en soi une richesse et/ou que nul n'a la vérité, alors la menace est encore plus grave que le sectarisme: c'est celle de la dissolution de l'unité de l'Eglise et de sa foi, dans un pluralisme sans borne. Nombreux sont d'ailleurs ceux qui parlent avec complaisance des différences entre un Luther et un Calvin, afin d'y voir la caution de toute nouvelle divergence et la légitimité de tout enseignement nouveau et, disons-le: hérétique.
 
Comment donc éviter ces deux menaces?
 
Voici la réponse que nous apporte l'Histoire de l'Eglise et que nous avons à coeur de répéter sur ce Blog:
 
Il est évident que ni un Luther ni un Calvin n'est à rejeter et que, de même, l'Eglise chrétienne ne peut pas tolérer en son sein des mouvements sans unité profonde, réelle et concrète.




Ainsi, si, dans une même Eglise, ces quelques deux ou trois traditions (luthérienne, calvinienne, bucerienne) peuvent coexister légitimement, c'est parce qu'elles sont unies dans un socle théologique et canonique commun: la Concorde de Wittenberg, de mai 1536, qui renvoie à la Confession d'Augsbourg.
 
En dehors de cette base ou de ce cadre commun, ces diverses écoles seraient (malgré leurs nombreux points communs) irrémédiablement séparées (que l'on pense, par exemple, à ce qui s'est passé à Marbourg, en 1529).


On pourrait certes dire qu'un Luther et un Calvin ont été des croyants dont beaucoup de certitudes se ressemblaient; 
certains affirmeraient que les éléments communs de ces deux champions du Protestantisme les unissent bien assez et qu'ils devraient unir aussi leurs traditions respectives... mais ce ne serait jamais rien de plus qu'un voeu pieux, une allégation d'unité et, dans le meilleur des cas, une unité pour l'autre monde.
Et, en attendant, dans ici-bas, la légitimité serait au sectarisme, ou bien l'Eglise sombrerait dans le chaos.
 
Ainsi, d'une part, il est malheureux de se retrancher derrière une attitude tout à fait "excluante", mais il est d'autre part indéfendable de fixer arbitrairement une unité entre ces deux écoles théologiques: seule la Concorde de 1536 nous permet de parler de cet ensemble comme d'un tout harmonieux, tandis qu'en dehors de cette frontière, d'un point de vue ecclésial et canonique au moins, nul ne pourrait réunir "Luther et Calvin" sans créer, arbitrairement, une hydre à deux têtes.
 
Bucer
 

Commentaires

Domus a dit…
Choisir entre Martin Luther et Jean Calvin ? Je me demande si, justement, là n'est pas la question à ne pas se poser ?
Comme le soulignait déjà Pierre Courthial, la Confession de foi d'Augsbourg est celle « sur laquelle s'est accordée toute la Réformation (1) ». Quant à Luther, il écrivait à M. Bucer en 1539 : « Tu salueras respectueusement pour moi J. Sturm et J. Calvin, dont j'ai lu les livres avec un singulier plaisir. (2) ». Faisait-il allusion à une édition latine de l'Institution ? S'il avait vécu plus longtemps Luther aurait-il définitivement compté Calvin au nombre de ses partisans? Mais de son côté le si doué Calvin se serait-il laissé enrôler de la sorte ?
Quoi qu'il en soit, cette unité protestante que vous proposez sur la base du socle théologique et canonique  strict et précis tel qu'exposé à Wittemberg en 1536 devrait pour le moins susciter l'intérêt, on aimerait pouvoir dire l'adhésion. Même si, Martin Bucer devenant une référence obligée par le truchement de Wittemberg, des esprits chagrins ne manqueraient pas de crier à la création d'une hydre à trois têtes.

(1) « Fondements pour l'avenir » p.182 (Editions Kerygma).
(2) « Mémoires de Luther écrits par lui-même traduits et mis en ordre par J. Michelet », (Tome 1, A. Delahays, libraire-éditeur).

Merci de nous rappeller ces références, notamment concernant la réception de la confession d'Augsbourg! Il apparaît ainsi d'autant plus certainement que notre dossier est trèèèèèès solide ;)
Domus a dit…
La solidité de ce dossier doit en effet nous réjouir même si, à vue humaine, les choses ne semblent pas beaucoup évoluer au niveau ecclésial.
Dans la même perspective, souvenons-nous que dans les années 1940, Auguste Lecerf écrivait : « Les luthériens et les réformés sont d'accord pour reconnaître que les sacrements sont des moyens de grâce qui s'ajoutent à la Parole. » (1). De toute évidence, ces simple lignes ne semblent pas avoir eu d'échos dans une réalité ecclésiale « unitaire », puisque leur auteur est considéré comme un acteur important du renouveau du calvinisme de langue française. Cependant, ne pourraient-elles pas apparaître comme une pierre de plus dans l'édification d'une unité du protestantisme orthodoxe ?
Il arrive, en effet, qu'un auteur, même parmi ceux dont on pourrait penser qu'ils font référence « une fois pour toutes », soit perçu différemment selon les époques. On découvre alors , si l'on veut bien se donner la peine de lire entre les lignes, des affirmations qui peuvent avoir une autre portée que celle à laquelle l'auteur a pu songer en les formulant.

(1) « Des moyens de la Grâce – la Parole, le Baptême, la Sainte-Cène », La Revue Réformée N°22/1955.

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