Messe du jour

-- Noël --
Montre-nous le Père

Philippe dit à Jésus : Montre-nous le Père, et cela me suffit ! (Jean 14.8 )

Il peut vous paraître étrange que pour célébrer la naissance de notre Sauveur j'emprunte mon texte aux suprêmes entretiens qui précédèrent sa mort. Et cependant, les paroles du Maître, dont nous allons nous entretenir, sont l'explication la plus profonde et la plus authentique du berceau de Bethléhem. Jésus vient de prononcer : cette affirmation décisive : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père, et maintenant, vous le connaissez et vous l'avez vu ! » Philippe de s'écrier, avec cette impétuosité de sentiments et de langage qui l'a fait appeler un second saint Pierre : « Montre-nous le Père, et cela nous suffit. » Ce qui veut dire, sans doute, dans sa conception israélite : Accorde-nous une vue sensible de Dieu comme en furent honorés les patriarches, les prophètes et notre grand législateur Moïse. -- Jésus va répondre. -- Cieux, terre, soyez attentifs ! S'il n'est qu'un envoyé de Dieu, un révélateur, un ange, un archange, l'être le plus rapproché de Dieu, si grand qu'on puisse le concevoir, sa véracité parfaite l'obligera à nous le dire. Et lui, évitant toute équivoque prévenant toute confusion : Philippe, celui qui m'a vu a vu mon Père. Réponse éclatante de vérité qui ne fait que confirmer ses enseignements de trois années, bien que ses disciples n'aient pas su les comprendre ; réponse d'une importance capitale, d'une autorité souveraine sur les confins de ce Calvaire où il sait qu'il va mourir. Devant une telle déclaration de Jésus, le doute n'est plus possible. Jésus s'est donc trompé -- à moins qu'il n'ait voulu nous tromper ! -- Non, écartons ces suppositions blasphématoires et, prosternés devant son berceau, disons-lui avec l'Eglise universelle : Mon Seigneur et mon Dieu !

Au reste, le cri de Philippe si naïf, si spontané : Montre-nous le Père, est bien celui de l'humanité tout entière. Le mystère d'un Dieu qui s'incarne sous une forme visible correspond aux besoins de la conscience universelle. Nous voulons voir Dieu ; c'est là un instinct primordial qui reste attaché aux entrailles mêmes de l'humanité. « Incarnation et religion sont une même chose, » a dit le grand penseur Vinet. Vous étonnerez-vous maintenant si je vous conduis, en ce jour de Noël, à la crèche de Bethléhem pour vous y faire contempler le glorieux et consolant « mystère de piété, Dieu manifesté en chair » ? Mais le fait est réel, indéniable. Depuis que le Christ est venu dans le monde, la notion du Père, que dis-je ? la présence du Père a éclaté au sein de l'humanité. Dieu s'est rendu visible à l'âme humaine. Elle a compris la sainteté de Dieu quand elle l'a vue réalisée dans la vie du Christ, pure, transparente comme le cristal. Elle a aussi compris son amour par la divine pitié que Jésus a manifestée de sa part : ce regard ineffablement miséricordieux s'attachant sur toutes les misères du corps et de l'âme, ces mains bénissantes opérant partout des miracles de guérison et de résurrection, ces larmes de sympathie coulant sur toutes les détresses et sur tous les péchés de la race humaine...Mais cet amour de Dieu est apparu d'une manière plus saisissante encore dans le sacrifice auquel il a consenti en donnant au monde son Fils unique, « la splendeur de sa gloire, la vive image de sa personne ». O mystères du plan de la Rédemption, dévoilez-nous vos sublimes grandeurs : le Père décrétant le don de son Fils, et le Fils adhérant pleinement, librement, à sa volonté. Mais ce sont là des hauteurs et des profondeurs inaccessibles à nos pauvres égoïsmes de la terre...Le Fils obéit ; le voilà, obscur petit enfant, couché dans une crèche ; le voilà plus obscur encore, fils d'un charpentier ; le voilà, Galiléen méprisé, pauvre Rabbi ayant pour disciples quelques infimes pêcheurs ; le voilà, soulevant partout l'opposition et la haine, humilié, persécuté, arrêté, conspué, mis en croix...Au-dessus de la terre, quel autre drame moral s'accomplit, incompréhensible, à nos humaines pensées ! Le Père voulant lever l'obstacle entre nous et lui, le péché, laisse aux meurtriers de son Fils une libre carrière...Le Fils, comme représentant de l'humanité coupable et perdue, porte le poids de nos forfaits et se soumet à la plus cruelle des douleurs pour son âme divine, je veux dire, à l'abandon momentané de son Père qu'il exprime en cette plainte mystérieuse, désolée, tragique : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné » ? En présence de cet amour et du Père et du Fils, nous nous sentons bouleversés, le vertige nous gagne et nous n'avons plus que des larmes...Mais, du moins, l'âme humaine a tressailli d'une généreuse émotion. Elle a compris le sens tragique du péché et la profondeur de cet amour divin qui efface le péché au prix d'un immense sacrifice. Eperdue de remords, de honte et de repentir, elle s'est jetée dans les bras du Sauveur qui lui apporte le baiser de paix. Quelle allégresse à pouvoir contempler là-haut non un juge, mais un Père ! Plus de condamnation méritée, éternelle ! Plus de séparation entre la terre et le ciel, mais un lien béni dont la force égale la douceur, et qui attache pour toujours au bien et au bonheur le pauvre enfant prodigue ! Demandez à cet enfant revenu dans la maison paternelle s'il y a un obstacle, ou seulement un intervalle, entre lui et son Père ? Non, vous répondra-t-il, ses bras serrent mes bras, son cœur presse mon cœur. En ce beau jour de Noël, ne voulez-vous pas tous, mes frères, vous décider à servir ce Dieu-là, en rompant avec les idoles méprisables qui s'appellent l'égoïsme, l'orgueil, l'or, l'argent, le plaisir, la mondanité ? -- Ne voulez-vous pas lui porter vos cœurs tristement déçus par tous ces cultes frivoles ou pervers ? Ne voulez-vous pas qu'il les régénère et les remplisse de sa présence ? Ne voulez-vous pas qu'il apaise vos consciences et qu'il pardonne vos péchés ? -- Ah ! si les montagnes s'écroulaient, si le ciel se fendait encore aujourd'hui pour nous envoyer le Christ de Noël ? Si cette nombreuse assemblée voulait le reconnaître à ses langes méprisés et à sa croix sanglante ? Si nous venions tous à cette table fraternelle pour y recevoir « les symboles sacrés de son corps rompu, de son sang répandu », et la réconciliation qu'ils figurent...Alors, ce serait une ineffable bénédiction pour notre Eglise ! Alors, s'échapperaient de tous nos cœurs l'action de grâces de Pascal : « O Dieu de Jésus-Christ, je t'ai connu ; joie, joie et pleurs de joie », et le cri d'allégresse de Philippe : « Cela me suffit ! » Amen.

Ernest DHOMBRES
1900

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