Messe de l'Aurore


En peu de mots S. Luc a exposé comment et en quel temps et en quel lieu le Christ est né selon la chair. Mais si vous vous enquérez de sa génération céleste, lisez l'évan-gile de S. Jean, qui a commencé par le ciel pour descendre sur terre. Vous y trouverez et quand II était et comment II était et ce qu'il était ; ce qu'il avait fait, ce qu'il faisait, et où II était et où II est venu ; comment II est venu, en quel temps II est venu, pour quel motif II est venu. « Au commencement, dit-il, était le Verbe » : vous voyez quand II était ; « et le Verbe était chez Dieu » : vous voyez com-ment II était. Vous voyez encore ce qu'il était : « Et le Verbe, dit-il, était Dieu »— ce qu'il avait fait : « Tout a été fait par Lui »— ce qu'il faisait : « C'était la lumière véritable qui éclaire tout homme à sa venue en ce monde » — et où II était : « II était dans ce monde » — où II est venu : « II est venu chez Lui » — comment II est venu : « Le Verbe s'est fait chair » (Jn, I, 1 sqq.) — quand il est venu : « Jean Lui rend témoignage en ces termes : C'est Lui de qui j'ai dit : Celui qui vient après moi a été placé devant moi parce qu'il était avant moi » (Jn, I, 30). Pour quel motif II est venu, Jean lui-même l'atteste : « Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde » (Ib., 29). Connaissant donc la double génération et le rôle de chacune, si nous remarquons pour quel motif II est venu : prendre sur Lui les péchés du monde moribond pour abolir la souillure du péché et la mort de tous en Lui-même, qui ne pouvait être vaincu, la suite normale est que maintenant l'évangéliste S. Luc nous enseigne à son tour et nous montre les voies du Seigneur qui grandit selon la chair. Et personne ne doit s'émouvoir si, ayant attri-bué à un dessein profond l'omission de l'enfance de Jean 1, nous justifions la description de l'enfance du Christ ; car il n'appartient pas à tout le monde de dire : « Je me suis rendu faible avec les faibles pour gagner les faibles ; je me suis fait tout à tous » (I Cor., IX, 22) ; et de nul autre on n'a pu dire : « II a été blessé à cause de notre iniquité, rendu faible à cause de nos péchés » (Is., LIII, 5). Il a donc été petit, II a été enfant, pour que vous puissiez, vous, être homme achevé ; II est, Lui, enveloppé de langes, pour que vous soyez, vous, dégagé des liens de la mort ; Lui dans la crèche, pour vous placer sur les autels ; Lui sur terre, pour que vous soyez parmi les étoiles ; Lui n'a pas eu d'autre place dans ce caravansérail, pour que vous ayez plusieurs demeures dans le ciel (Jn, XIV, 2). « Lui qui était riche, est-il dit, s'est fait pauvre à cause de vous, afin que sa pauvreté vous enrichît » (II Cor., VIII, 9). C'est donc mon patrimoine que cette pauvreté, et la fai-blesse du Seigneur est ma force. Il a préféré pour Lui l'in-digence, afin d'être prodigue pour tous. C'est moi que purifient ces pleurs de son enfance vagissante, ce sont mes fautes qu'ont lavées ces larmes. Je suis donc, Seigneur Jésus, plus redevable à vos affronts de ma rédemption qu'à vos œuvres de ma création. Naître ne m'eût servi de rien sans le profit de la rédemption. Mais que personne n'emprisonne dans les usages du corps toute la condition de la divinité. Autre est la nature de la chair, autre la gloire de la divinité. A cause de vous l'infirmité, par Lui-même la puissance ; à cause de vous le besoin, par Lui-même l'opulence. Ne calculez pas ce que vous voyez, mais reconnaissez que vous êtes rachetés. Qu'il soit dans les langes, vous le voyez ; vous ne voyez pas qu'il est dans les cieux. Vous entendez les vagisse-ments de l'enfant, vous n'entendez pas les mugissements du bœuf qui reconnaît son Seigneur ; car « le bœuf recon-naît son propriétaire et l'âne la crèche de son maître » (Is., I, 3), je dirai même la créchette, comme l'a écrit le traducteur ; car pour moi il n'y a aucune différence entre les mots, s'il n'y en a pas quant au sens. Si, en effet, l'ora-teur de ceux qui recherchent les fioritures du style n'ad-met pas que la fortune de la Grèce tienne à ce qu'il em-ploie tel ou tel mot, mais pense qu'il faut considérer la chose ; si leurs philosophes mêmes, qui passent des jours entiers en discussions, ont usé de termes peu latins et peu reçus afin d'employer les termes propres, combien plus nous autres devons-nous négliger les mots, considé-rer les mystères, qui assurent la victoire à la pauvreté du style ! car les merveilles des œuvres divines ont resplendi, sans aucune parure littéraire, par la lumière de leur vé-rité. Car enfin l'ânesse spirituelle n'a pas été nourrie de feintes délices, mais d'un aliment de nature substantielle, par la sainte mangeoire. Voilà le Seigneur, voilà la crèche par laquelle nous fut révélé ce divin mystère : que les Gentils, vivant à la manière des bêtes sans raison dans les étables, seraient rassasiés par l'abondance de l'aliment sacré. Donc l'ânesse, image et modèle des Gentils, a reconnu la crèche de son Seigneur. Aussi dit-elle : « Le Seigneur me nourrit, et rien ne me manquera » (Ps. 22, 1). Sont-ils quelconques, les signes auxquels Dieu se fait reconnaître, le ministère des anges, l'adoration des mages, le témoignage des martyrs ? Il sort du sein mater-nel, mais II resplendit au ciel ; II est couché dans une au-berge d'ici-bas, mais baigné d'une lumière céleste. Une épouse l'a enfanté, mais une vierge l'a conçu ; une épouse l'a conçu, mais une vierge l'a mis au monde.

saint Ambroise

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