Confession d'Augsbourg: Deuxième partie




ARTICLES

où sont indiqués les abus qui ont été corrigés



Comme aucun des articles de foi que nos Eglises enseignent ne diffère de ceux de l'Eglise catholique et qu'on a seulement omis quelques abus récents qui, par la corruption du temps, se sont glissés dans l'Eglise, contre la teneur des canons, nous prions Votre Majesté Impériale d'entendre avec clémence aussi bien les changements que nous avons faits, que les causes qui nous ont fait croire que les peuples ne sont pas obligés à les observer contre la voix de la conscience. Nous supplions Votre Majesté, de ne pas ajouter foi à ceux qui, pour enflammer des haines contre nous, répandent les plus étranges calomnies au sein du peuple. C'est en irritant ainsi les esprits des hommes honnêtes qu'ils ont, dès le commencement, donné lieu à ce différent; ils essayent maintenant, par les mêmes intrigues, d'augmenter encore les discordes. Votre Majesté Impériale se convaincra sans doute que les formes de la doctrine et des cérémonies sont chez nous beaucoup moins intolérables qu'en disent ces hommes impies et malicieux. Ce n'est ni dans les bruits du vulgaire ni dans des inculpations hostiles qu'on peut se flatter d'apprendre la vérité. Mais on voit facilement qu'il n'est rien de plus important pour la conservation des cérémonies, et pour l'édification et la piété des fidèles, que de les observer dans les Eglises selon toute leur pureté.
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XXII. De la Cène sous les deux espèces
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Dans le Cène du Seigneur, nous donnons le sacrement aux laïques sous les deux espèces, parce que cet usage a le commandement exprès du Christ, qui dit: Buvez-en tous. Le Christ commande évidemment ici que tous boivent le calice. Et que personne ne s'imagine de nous faire croire que ce commandement regarde seulement les prêtres. S. Paul ( 1 Cor. 11) nous rapporte un exemple dans lequel il fait voir que toute l'Eglise de Corinthe communiait sous les deux espèces. On ne sait pas même ni en quel temps ni sur quelle autorité s'est fait le changement, quoique le cardinal Casanus ait indiqué l'époque où il fut ratifié. S. Cyprien dit en plusieurs endroits, que le sang était donné au peuple. S. Jerôme témoigne la même chose en disant: Les prêtres administrent l'Eucharistie, et distribuent au peuple le sang de Jésus-Christ. De plus, le pape Gélase défend de diviser le sacrement. Ce n'est donc que d'après une coutume peu ancienne, qu'on en dispose autrement. Mais il est certain qu'une coutume introduite en contradiction avec le commandement de Dieu ne saurait être approuvée, comme en témoignent les canons.

Or la coutume (de communier sous une seule espèce), s'est introduite non seulement en contradiction avec l'Ecriture, mais encore contre les anciens canons et l'exemple de l'Eglise. Il en suit que si certains aiment mieux communier sous les deux espèces, il n'y a point de raison de les obliger à le faire d'après un rite qui viole leur conscience.

Comme la division du sacrement ne s'accorde point avec l'institution du Christ, nous ne portons pas non plus le sacrement en procession, comme on l'a fait jusqu'ici.
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XXIII. Du Mariage des Prêtres
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Il y avait une plainte générale sur les mauvais exemples que les prêtres ont donnés par leur incontinence. Voilà pourquoi le pape Pie II a dit souvent: Il y a eu quelques raisons d'ôter les femmes aux prêtres, mais il y en a de plus fortes pour les leur rendre. C'est ce que rapporte Platina. Nos pasteurs, voulant bannir de nos Eglises les anciens scandales, ont cru devoir se marier, et rétablir la doctrine qui permet le mariage aux prêtres. Premièrement, parce que S. Paul dit: Pour éviter la fornication, que chaque homme ait sa femme, et ailleurs: Il vaut mieux se marier que brûler. Secondement, parce que Jésus-Christ en disant: Tous ne sont pas capables de cette Parole, fait voir que tous les hommes ne sont pas propres à garder le célibat, parce que Dieu a créé l'homme pour la procréation (Genèse 1: 28).

Il n'est pas dans la puissance de l'homme de changer l'ordre de la création de Dieu, sans un don et une grâce particulière de Dieu. C'est pourquoi ceux qui ne sont pas propres au célibat, doivent se marier, car aucune loi humaine, aucun voeu, ne peut anéantir le commandement de Dieu et l'ordre par lui établi. C'est par ces raisons que nous enseignons qu'il est permis aux ministres de se marier.

En outre, il est certain que dans l'ancienne Eglise les prêtres étaient mariés; aussi S. Paul dit: Il faut qu'un évêque soit irrépréhensible, qu'il n'ait épousé qu'une femme. Il n'y a d'ailleurs que quatre cents ans qu'en Allemagne on contraignit, pour la première fois, les prêtres de vivre dans le célibat. Ils s'y opposèrent alors si vivement, que l'archevêque de Mayence, voulant publier la bulle du pape, faillit être tué dans le tumulte qu'excitèrent les prêtres irrités. Cette bulle était si inconsidérée qu'elle défendait non seulement de se marier à l'avenir, mais qu'elle déclarait nuls les mariages déjà contractés, ce qui est non seulement contre toutes les lois divines et humaines, mais aussi contre les canons décrétés non par les papes seuls, mais par les conciles les plus vénérés. Mais la nature humaine s'affaiblissant tous les jours, à mesure que le monde vieillit, ils est sage de préserver l'Allemagne des vices qui menacent de s'y introduire. De plus, Dieu a institué le mariage pour remédier à l'infirmité de l'homme. Les canons mêmes ont jugé à propos, dans les temps postérieurs, de relâcher quelque chose de leur rigueur à cause de la faiblesse humaine; et il est à souhaiter qu'ils se relâchent encore sur le mariage des prêtres. Il est même à craindre que les églises ne manquent un jour de pasteurs si l'on continue de les empêcher de se marier.

Puis donc qu'il existe un commandement exprès de Dieu, que la coutume de l'ancienne Eglise est connue, et que le célibat entraîne beaucoup de scandales, des adultères et d'autres impiétés punissables par les lois, il est étrange qu'on s'attache si opiniâtrement et avec tant de dureté à défendre le mariage aux prêtres. Dieu lui-même commande d'honorer le mariage. Dans toutes les républiques bien établies et parmi les païens mêmes, les lois l'ont relevé par les plus honorables privilèges. Aujourd'hui, contre la disposition des canons, on punit du dernier supplice les ecclésiastiques qui se marient. S. Paul (1 Tim. 4: 1) appelle la doctrine qui défend le mariage, une doctrine de démons. Ce passage peut s'entendre aisément en ce temps, où l'on défend le mariage sous des peines si rigoureuses.

Cependant, tout comme il n'y a point de loi humaine qui puisse abolir le commandement de Dieu, de même il n'y a point de voeu qui puisse le changer. S. Cyprien conseille aussi aux femmes de se marier, lorsqu'elles ne peuvent garder la chasteté dont elles ont fait voeu. Voici ses propres paroles (onzième épître du premier livre): Si elles ne veulent point, ou ne peuvent garder la chasteté, il vaut mieux qu'elles se marient, que si elles venaient à brûler du feu de leurs désirs; car elles ne doivent pas donner de scandale ni aux frères ni aux soeurs. Aussi les canons usent-ils de quelque condescendance envers ceux qui ont fait les voeux avant l'âge de discernement, comme il est arrivé jusqu'ici.
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XXIV. De la Messe
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On accuse faussement nos Eglises d'avoir aboli la messe, puisque tout le monde sait qu'elle est en usage parmi nous, et que nous la célébrons avec beaucoup de vénération. On y observe aussi presque toutes les cérémonies usitées, si ce n'est qu'en quelques endroits d'Allemagne on y mêle, pour l'instruction du peuple, des cantiques allemands avec les latins. Car ce n'est que pour instruire les ignorants qu'il est nécessaire d'avoir des cérémonies. Enfin ce n'est pas seulement S. Paul qui veut qu'on se serve dans l'Eglise d'un langage que le peuple entende, mais aussi la loi humaine. Nous suivons la coutume que tous ceux qui s'y sentent préparés communient ensemble; ce qui augmente le respect et la vénération pour les cérémonies publiques. On n'y admet personne qui ne soit bien éprouvé auparavant. On instruit aussi les fidèles de l'excellence et de l'usage de ce sacrement, et de la consolation qu'il procure aux consciences angoissées, afin qu'ils apprennent à se confier en Dieu, à lui demander et à attendre de lui toute sorte de bien. Ce culte est agréable à Dieu, et un tel usage du sacrement nourrit dans le coeur la vraie piété envers Dieu. On ne peut donc pas dire que la messe se fasse avec plus de vénération parmi nos adversaires que parmi nous.

Il est encore certain que tous les gens de bien se plaignent publiquement et depuis longtemps de la grande profanation des messes célébrées pour le gain. Personne n'ignore combien cet abus s'est répandu dans toutes les Eglises; que ceux qui célèbrent la messe, ne le font que pour la rétribution; que plusieurs célèbrent ce mystère contre la défense expresse des canons. Or S. Paul prononce des menaces terribles contre ceux qui traitent indignement l'eucharistie; il dit: Celui qui mangera ce pain, ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable de la profanation du corps et du sang du Seigneur. Voilà pourquoi nos ministres, avertis de ce péché, ont cessé parmi nous les messes particulières, dont il ne se disait presque plus que dans la vue du gain.

Les évêques n'ont pas ignoré ces abus; s'ils les avaient corrigés dans le temps, il y aurait aujourd'hui moins de dissensions. Ils ont laissé subsister dans l'Eglise plusieurs dérèglements, en se les dissimulant. Aujourd'hui, ils se plaignent trop tard des calamités qui désolent l'Eglise, quoiqu'on ne doive attribuer tout le désordre qu'à ces abus, qui depuis longtemps étaient si manifestes qu'il ne fallait plus les tolérer. Il y a eu de grandes dissensions touchant la messe et le Saint-Sacrement. Peut-être que le monde porte maintenant les peines de cette profanation des messes, qui, durant tant de siècles, a été soufferte dans les Eglises par ceux mêmes qui pouvaient et qui devaient la corriger. Car il est dit dans le décalogue: Celui qui abuse du nom de Dieu, ne demeurera pas impuni. Or il semble que depuis le commencement du monde on n'ait abusé pour le gain d'aucune chose divine autant que de la messe.

Il a été une opinion qui a fait augmenter les messes particulières à l'infini, c'est qu'on pensait que le Christ n'a satisfait par sa Passion que pour le péché originel, et qu'il a ordonné la messe, comme un sacrifice pour les péchés de tous les jours, tant mortels que véniels. De là est venue l'opinion générale que la messe est une oeuvre qui efface d'elle-même les péchés des vivants et des morts. De là aussi on a disputé si une seule messe dite pour plusieurs hommes, vaut autant qu'une messe dite pour un seul homme. De là est venue enfin cette quantité prodigieuse de messes privées.

Nos docteurs ont donc fait voir que ces opinions sont contraires à l'Ecriture sainte, et qu'elles anéantissent la gloire de la Passion du Christ. Car la Passion du Christ a été un sacrifice et une satisfaction, non seulement pour le péché originel, mais encore pour tous les autres péchés, ainsi qu'il est écrit dans l'Epître aux Hébreux : Que nous sommes sanctifiés par l'oblation de Jésus-Christ, une fois pour toutes; et que par une seule oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a sanctifiés.

Outre cela, l'Ecriture sainte nous apprend que nous sommes justifiés devant Dieu par la foi en Christ, lorsque nous croyons que les péchés nous sont remis pour l'amour du Sauveur. Or, si la messe avait la vertu d'effacer elle-même les péchés des vivants et des morts, il s'ensuivrait que la Justification se ferait par l'oeuvre de la messe, et non par la foi; ce qui est entièrement opposé à l'Ecriture. Mais le Christ commande qu'on célèbre la messe en sa mémoire car ce sacrement a été institué pour que ceux qui y participent se souviennent des bienfaits qu'ils reçoivent par leur foi en Lui. Alors, leur conscience angoissée ainsi relevée les console. C'est donc faire une chose en mémoire de Jésus-Christ que de saisir que ses bienfaits nous sont vraiment présentés. En effet, avoir en mémoire sa Passion n’est pas suffisant puisque Juifs et impies le peuvent aussi.

Il faut donc célébrer la messe pour y distribuer le sacrement à ceux qui ont besoin de consolation, comme dit S. Ambroise: Il faut que je prenne toujours le remède parce que je pèche toujours. Or, la messe étant une telle participation au sacrement, nous la célébrons en commun tous les jours de fêtes ; et les autres jours aussi, on donne le sacrement à ceux qui le demandent. Cette coutume n'est pas nouvelle dans l’Eglise car les anciens qui ont vécu avant le temps de Grégoire ne font aucune mention de la messe privée, tandis qu'ils parlent très souvent de la messe publique. S. Chrysostome dit que le prêtre est tous les jours auprès de l'autel, qu'il appelle les uns à la communion, et qu'il en écarte les autres. On voit aussi par les anciens canons qu'un seul célébrait la messe, et que les autres prêtres et diacres recevaient de lui le corps de notre Seigneur. Voici à ce sujet les paroles du concile de Nicée (canon 18): Les diacres doivent recevoir le sacrement en leur rang, après les prêtres, ou par un évêque ou par un prêtre; et S. Paul ordonne, sur la communion, que les uns doivent attendre les autres, afin qu'il y ait une participation commune.

Puisque donc nous disons la messe conformément à l'Eglise ancienne, à l'Ecriture sainte et aux Pères, nous avons l'assurance qu'elle ne pourra être désapprouvée; d'autant plus qu'on y a conservé en grande partie les cérémonies publiques en usage, et que nous ne différons que par le nombre des messes, qu'il a fallu réduire à cause des abus trop grands et trop manifestes. Anciennement non plus, on ne célébrait pas la messe tous les jours, quoique les églises fussent nombreuses. Nous voyons cela dans l'histoire tripartite, livre 9, ch. 38. A Alexandrie on lisait l'Ecriture sainte tous les mercredis et vendredis, et les docteurs l'expliquaient; et toutes choses s'y faisaient sans qu'on dit la messe.
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XXV. De la confession
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La confession n'est pas abolie dans nos Eglises car nous suivons la coutume de ne donner le corps du Seigneur qu'à ceux qui ont été auparavant éprouvés et absous. Nous prenons grand soin d'instruire le peuple sur la foi en l'absolution sur laquelle on se taisait autrefois. Nous exhortons donc nos fidèles d'avoir l'absolution en estime parce qu'elle est la voix de Dieu et qu'elle est prononcée selon son commandement.

On honore la puissance des clefs; on rappelle aux chrétiens qu'elle donne une grande consolation aux consciences effrayées, et que Dieu, en cette occasion surtout, demande la foi, par laquelle nous sommes assurés de l'absolution, comme si Dieu lui-même la prononçait du haut du ciel. Nous ajoutons que cette foi en Jésus-Christ obtient vraiment la rémission des péchés. Autrefois on élevait trop les satisfactions, et on ne faisait aucune mention de la foi, du mérite de Jésus-Christ et de la justice de la foi. On n'a donc pas sujet de blâmer nos Eglises de ce côté là; et nos adversaires mêmes doivent avouer que la doctrine de la pénitence est traitée et exposée religieusement par les nôtres. Il est vrai que, touchant la confession, on enseigne qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer les péchés, et qu'on ne doit pas charger les consciences du dénombrement exact de tous les crimes, parce qu'il est impossible de réciter ou de dire tous ses péchés, selon le témoignage du Psaume (19: 13): Qui est-ce qui connaît tous ses péchés? Et le prophète Jérémie dit aussi: Rien de plus trompeur que le coeur de l'homme; il est impénétrable, qui le connaîtra? Que s'il n'y avait que les péchés dont on se souvient et dont on s'accuse, qui fussent remis, nos consciences ne pourraient jamais se tranquilliser. Nous ne connaissons pas la plupart de nos péchés, et nous pouvons encore moins nous en souvenir. Les anciens Pères enseignent aussi que l'énumération des péchés n'est pas nécessaire. Dans les Décrétales, on cite S. Chrysostome, qui dit: Je ne te dis pas qu'il faut t'accuser publiquement, ou auprès de quelqu'un; mais je veux que tu obéisses au prophète, qui dit: “Découvre tes actions devant Dieu”. Confesse donc tes péchés devant celui qui est ton véritable juge, et prie-le. Dis les péchés, non pas de la langue, mais dans le souvenir de ta conscience, etc. D'ailleurs la glose sur la pénitence (De Poenitentia, Dist 5, chapitre “Consideret”) avoue que la confession est d'institution humaine. Nous la conservons toutefois, tant pour le grand bien de l'absolution, que pour les autres avantages qu'elle procure aux consciences.

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XXVI. De la différence des viandes
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C'était autrefois une opinion générale non seulement parmi le peuple, mais encore parmi les théologiens de l'Eglise, que la différence des viandes et de semblables traditions humaines étaient des oeuvres très utiles pour mériter la rémission des péchés et des peines. Ce qui démontre que cette opinion était généralement reçue, c'est l'institution fréquente de cérémonies nouvelles, l'établissement de nouveaux ordres, de fêtes nouvelles, de nouveaux jeûnes. Les docteurs, dans leurs discours, exigeaient ces oeuvres comme un culte très nécessaire pour mériter la grâce; ils alarmaient impétueusement les consciences quand on y manquait. Mais cela fait naître dans l'Eglise beaucoup d'inconvénients.

Premièrement, la doctrine de la grâce et de la justice par la foi en est obscurcie. Elle est pourtant la partie essentielle de l'Evangile, qu'on doit soigneusement conserver et faire ressortir dans l'Eglise, afin que le mérite du Christ soit bien connu, et que la foi, qui croit la rémission des péchés pour l'amour du Christ, soit placée de beaucoup au-dessus des oeuvres. S. Paul insiste beaucoup sur cette doctrine; il rejette la Loi et les observances humaines, pour faire voir que la justice chrétienne est toute autre chose que ces sortes d'oeuvres et qu'elle repose sur la confiance que les péchés nous sont remis gratuitement pour Jésus-Christ. Cependant cette doctrine de S. Paul est presque entièrement éclipsée par ces traditions, qui ont fait naître l'opinion qu'on doit mériter la grâce et la justice par la différence des viandes et par d'autres observances semblables. A l'article de la pénitence on ne faisait autrefois aucune mention de la foi; on ne demandait que ces oeuvres satisfactoires, et il semblait alors que toute la pénitence consistât en elles seules.

Secondement, les traditions humaines ont obscurci les commandements de Dieu, parce qu'elles furent préférées à ceux-ci. Tout le christianisme semblait consister dans l'observation de certaines fêtes, de certains rites, jeûnes et vêtements. On avait donné à ces observances un titre fort spécieux, en les appelant une vie spirituelle et très parfaite. Cependant on n'estimait point les commandements de Dieu, prescrits à chacun selon son état. Un père de famille s'appliquait-il à élever ses enfants, une mère mettait-elle des enfants au monde, un prince gouvernait-il l'Etat? On regardait ces actions comme des oeuvres mondaines, imparfaites et bien inférieures à ces éclatantes observances. Cette erreur a beaucoup affligé les consciences pieuses, qui se voyaient avec douleur dans un genre de vie si imparfait, engagées dans le mariage, dans les magistratures et les autres fonctions civiles; elles étaient d'un autre côté ravies d'admiration, en considérant l'état solitaire et monastique, comme si ces oeuvres étaient préférées par Dieu.

Troisièmement, les traditions ont exposé les consciences à de grands dangers, parce qu'il était impossible de les observer toutes et que l'on s'était néanmoins persuadé qu'il fallait les observer comme un culte nécessaire. Gerson nous apprend que plusieurs se sont jetés pour cela dans le désespoir; quelques-uns se sont tués eux-mêmes, voyant qu'ils ne pouvaient accomplir les observances et parce qu'ils ne recevaient point les consolations que donne aux âmes la doctrine de la grâce et de la justice de la foi. Il est vrai que les Sommistes et les Théologiens resserrent les traditions, et cherchent des adoucissements pour soulager les consciences: cependant ils ne les en délivrent point assez, et les jettent même souvent dans de nouvelles contraintes. On a été si occupé autrefois, dans les écoles et dans les prédications, à recueillir des traditions, qu'on n'avait point de temps pour parler de l'Ecriture, pour s'instruire plus utilement dans la doctrine de la foi, de la croix, de l'espérance, de la dignité des charges civiles, de la consolation des consciences dans les tentations ardentes. Aussi Gerson et quelques autres théologiens se plaignent-ils hautement d'être empêchés par ces vaines disputes sur les traditions, de s'appliquer à une autre doctrine plus utile. S. Augustin défend qu'on charge les consciences de ces sortes d'observances, et il avertit fort sagement Januarius, qu'il faut les regarder comme des choses indifférentes. Tels sont ses propres mots.

Nul ne doit donc penser que nos docteurs et nos ministres aient témérairement touché à ces abus, ou qu'ils l'aient fait en haine des évêques, comme quelques-uns le soupçonnent faussement. C'était une urgente nécessité d'avertir l'Eglise des erreurs qui étaient nées de traditions mal entendues. Car l'Evangile nous oblige d'expliquer souvent aux fidèles la doctrine de la grâce et de la justice par la foi ; et l'on ne saurait entendre ces vérités quand les peuples sont persuadés qu'on peut mériter la grâce par ses propres oeuvres et par l'observation d'un culte purement humain. Les nôtres ont donc enseigné qu'on ne peut point mériter la grâce ou la Justification en gardant les traditions humaines, et qu'il ne faut pas croire que l'observation de ces choses soit un culte nécessaire. Nous prouvons cette doctrine par l'Ecriture. Le Christ (Matthieu 15: 9), excuse ses apôtres, de n'avoir pas observé une tradition ancienne, qui néanmoins n'avait rien d'illicite, et semblait plutôt une chose indifférente, ayant quelque affinité avec le baptême de la Loi. C'est en vain, dit-il, qu'ils pensent m'honorer par des ordonnances humaines. Le Seigneur ne demande donc pas ce culte comme nécessaire, puisqu'il l'appelle vain. Dans le même chapitre le Sauveur dit encore (vers. 11): Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche de l'homme qui le rend impur; mais ce qui le souille, c'est ce qui en sort. Dans l'Épître aux Romains (chap. 14: 17), nous lisons: Le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire ou dans le manger. Dans celle aux Colossiens (2: 16): Que personne donc ne vous condamne pour le manger et pour le boire, ou au sujet des jours de fêtes, et des jours de sabbat; et dans le même chapitre (vers. 20, 21): Si donc vous êtes morts avec Jésus-Christ aux éléments du monde, comment vous laissez-vous imposer les lois, comme si vous viviez encore dans le monde; ne mange point de ceci, vous dit-on, ne goûte point à cela etc. S.Pierre dit, (Actes 15: 10): Pourquoi donc tentez-vous maintenant Dieu, en imposant aux disciples un joug que ni nos Pères ni nous n'avons pu porter? Mais nous croyons que c'est par la grâce du Seigneur Jésus-Christ que nous serons sauvés, comme eux. S. Pierre défend, ici de charger les consciences de beaucoup de cérémonies humaines, soit de celles de Moïse soit d'autres. S. Paul appelle la défense des viandes une doctrine de démons. C'est qu'il est contraire à l'Evangile de vouloir établir ou faire ces sortes d'oeuvres, pour mériter par elles la grâce et la Justification ou de s'imaginer que sans ce culte il n'y a pas de christianisme. C'est en ceci que nos adversaires nous accusent de défendre la discipline et la mortification de la chair, comme Jovinien. Mais on trouvera le contraire dans les livres de nos docteurs. Ils ont toujours enseigné qu'il fallait porter la croix y et souffrir les afflictions. C'est là la véritable et sincère mortification, que d'être éprouvé par les souffrances et d'être crucifié avec Jésus-Christ. Outre cela, nous enseignons que tout chrétien doit régler son corps et l'accoutumer aux exercices et au travail, afin que la gourmandise ou la paresse ne l'entraîne point au péché. Cependant nous ne croyons pas que nous puissions mériter par ces exercices la grâce, ou faire satisfaction pour nos péchés. Il y a plus, nous enseignons qu'il faut observer continuellement cette discipline, non seulement pendant certains jours, mais tous les jours de la vie, suivant ces commandements de Jésus-Christ: Prenez donc garde à vous, de peur que vos coeurs ne s'appesantissent par l'excès des viandes et du vin. Et: Cette sorte de démons ne se bannissent que par la prière et le jeune. De même: Je traite rudement mon corps, et je le réduis en servitude, dit S. Paul, et il montre par là qu'il mortifiait son corps, non pas pour mériter la rémission des péchés, mais pour être lui-même mieux disposé aux choses spirituelles, et pour mieux remplir les devoirs de sa vocation. Il ne faut donc pas croire que nous rejetions le jeûne en lui-même, mais bien les traditions qui, en prescrivant sous peine de péché de certains jours et l'usage de certaines viandes, ont embarrassé les consciences, en faisant croire que ces sortes d'oeuvres étaient un culte nécessaire au salut. Néanmoins nous conservons celles de ces traditions qui contribuent à maintenir l'ordre dans l'Eglise, telles que la série des lectures à la messe, les chants et les fêtes principales. Mais nous instruisons en même temps les fidèles, qu'un pareil culte ne nous justifie point devant Dieu, et qu'on peut s'en dispenser sans péché, pourvu qu'on évite de choquer les opinions. Cette liberté sur les institutions humaines a été fort connue aux des Pères. En Orient, on célébrait Pâques dans un autre temps qu'à Rome; et lorsque les Romains voulurent pour cela accuser de schisme les Eglises d'Orient, on leur apprit que ces coutumes ne devaient pas être les mêmes partout. S. Irénée dit que la différence du jeûne ne détruit pas l'unité de la foi. Le pape Grégoire de même fait savoir dans la 12e Distinction, que cette diversité ne blesse point l'union de l'Eglise. Dans l'histoire tripartite (livre 9) on voit plusieurs exemples de coutumes et de traditions différentes les unes des autres, et on y lit ces paroles: L'intention des apôtres n'a pas été d'ordonner des jours de fêtes, mais de prêcher une vie régulière et la piété.
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XXVII. Des voeux monastiques
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Pour mieux entendre notre doctrine sur les voeux des moines, il faut se rappeler quel a été autrefois l'état des couvents; combien de choses s'y faisaient tous les jours contre les canons eux-mêmes. Au temps de S. Augustin les monastères étaient des corporations libres; la discipline s'y étant corrompue depuis, on a partout ajouté des voeux, dans la pensée qu'en faisant des monastères une espèce de prison, on y rétablirait la discipline.

Aux voeux on ajouta ensuite beaucoup d'autres observances, et on a imposé ces chaînes à beaucoup de personnes ayant l'âge prescrit par les canons.

Plusieurs sont tombés dans la vie monastique par ignorance, et s'ils avaient l'âge nécessaire il leur manquait toutefois la connaissance de leurs forces. On contraignait ceux qui se trouvaient enlacés de la sorte à porter leurs liens, lors même que, par la faveur des canons, ils pouvaient en être affranchis. Ce malheur fut plus grand dans les couvents des vierges que dans ceux des moines; la faiblesse de leur sexe devait engager l'Eglise à user envers elles de plus de condescendance. L'ancienne rigueur était désapprouvée depuis longtemps par un grand nombre d'hommes vertueux qui, voyant entraîner les jeunes filles et les adolescents dans les monastères, seulement pour y trouver la subsistance, s'affligeaient sur les suites funestes de ces procédés, sur les scandales qu'ils causeraient, et les scrupules qu'ils jetteraient dans les consciences. Ils ne voyaient qu'avec douleur qu'on négligeât et qu'on méprisât tout-à-fait l'autorité des canons dans une affaire aussi périlleuse.

Ajoutez à tous ces maux l'opinion qu'on avait de ces mêmes voeux, que les moines les plus éclairés désapprouvaient autrefois. N'a-t-on pas avancé que ces engagements prétendus étaient égaux au baptême, et que par cette manière de vivre on méritait la rémission des péchés et la justice devant Dieu? On ne s'est pas borné à soutenir que la vie monastique méritait la justice devant Dieu, mais on a prétendu qu'elle valait une récompense beaucoup plus grande, parce qu'on ne s'y contente pas d'observer ce que l'Evangile commande, mais encore ce qu'il conseille. Ainsi on persuadait que la professe religieuse était meilleure que le baptême, et que la vie monastique était plus méritoire que celle des magistrats, des prêtres et des autres hommes, qui, sans se faire une religion imaginaire, pratiquent la volonté de Dieu dans leur état. On ne peut pas nier que ces choses n'aient été enseignées; elles se trouvent dans leurs livres.

Quel pouvait être dès lors l'état des monastères? Autrefois c'étaient les écoles des Paroles saintes et des autres sciences utiles à l'Eglise; on y choisissait alors des pasteurs et des évêques. Il en est autrement aujourd'hui, et il n'est pas utile de rappeler ici ce qui est de notoriété publique. Autrefois on s'y assemblait pour s'instruire; ils veulent faire croire aujourd'hui que ce genre de vie est établi pour donner la grâce et la justice; ils disent même que c'est un état de perfection préférable à tous les autres états ordonnés de Dieu. Nous ne rapportons ces choses par aucun motif de haine, sans les exagérer et seulement pour mieux faire juger de la doctrine que nous allons exposer sur cet article.

Nous enseignons, premièrement, que le mariage est permis à toutes les personnes qui ne sont pas propres au célibat; les voeux que l'on pourrait avoir faits ne peuvent détruire l'ordre et le commandement de Dieu. Ce précepte de Dieu est que, pour éviter la fornication, chaque homme ait sa femme. Ce n'est pas seulement un précepte, c'est l'ordre de la création qui oblige au mariage tous ceux qui n'en sont pas exemptés par une grâce toute particulière de Dieu: Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Ceux qui se marient pour obéir au commandement de Dieu, ne commettent donc pas un péché. Et que peut-on objecter contre cette vérité? Qu'on exagère tant qu'on voudra l'obligation des voeux, on ne pourra jamais nous persuader qu'ils abolissent le commandement de Dieu. Les canons disent que, dans tous les voeux, le droit du supérieur est excepté: par conséquent des voeux qui sont contre le commandement de Dieu ne peuvent avoir aucune validité.

S'il n'y avait aucune raison légitime de relever quelqu'un de ses voeux, pourquoi les papes eux-mêmes l’ont-ils fait si souvent ? Il n'est pas permis, en effet, à un homme d’annuler ce qui est absolument du droit divin, mais en cette matière les papes ont jugé très sagement qu'il fallait régler cette obligation selon l'équité. On trouve donc maints exemples de personnes qu’ils ont relevées de leurs voeux comme ce roi d'Aragon rappelé d'un monastère. Encore aujourd'hui, de tels exemples ne manquent pas.

Secondement, pourquoi nos adversaires exagèrent-ils l'obligation des voeux, en gardant sur la nature de ces engagements un étrange silence? Que ne disent-ils que le voeu ne doit se faire que pour les choses possibles, qu'il doit être volontaire, spontané, réfléchi ? Mais personne n'ignore que la chasteté éternelle n'est point au pouvoir de l'homme, et qu'il y a très peu de personnes qui s'engagent d'elles-mêmes et après mûre délibération à la garder. On persuade nos jeunes filles et nos adolescents à faire des voeux avant même qu'ils aient le jugement éclairé; même souvent on les y contraint. Après cela est-il de l'équité de soutenir avec tant de chaleur l'obligation des voeux, lorsque tout le monde convient qu'il est contre la nature du voeu de le faire malgré soi, ou inconsidérément?

Les canons cassent les voeux qui se font avant quinze ans, parce qu'il semble qu'on ne puisse avant cet âge avoir assez de jugement pour choisir un genre de vie pour le reste de ses jours. Un autre canon, s'accommodant d'avantage à la faiblesse humaine, ne veut point qu'on fasse des voeux avant l'âge de dix-huis ans. Mais on ne respecte plus l'un ni l'autre de ces statuts; et la plupart des hommes, lorsqu'ils abandonnent leurs monastères, donnent pour légitime excuse de s'y être engagés avant l'âge.

Enfin, lors même qu'on blâme la transgression du voeu, il ne s'ensuit pas qu'on doive rompre le mariage que de telles personnes peuvent avoir contracté. Car S. Augustin le défend, et son autorité est d'un grand poids - quoique d'autres après lui aient été d'un sentiment contraire.

Le commandement de Dieu sur le mariage semble de lui-même affranchir de leurs voeux ceux qui en ont prononcé; toutefois nos docteurs ont encore une autre raison pour faire voir que les voeux sont nuls. Tout culte établi par les hommes, sans commandement de Dieu, pour mériter la grâce et la Justification, est impie, selon les Paroles de Jésus-Christ, qui dit: C'est en vain qu'ils m'honorent, en publiant des ordonnances humaines. S. Paul enseigne partout qu'il ne faut point chercher la justice par des observances et des institutions que les hommes ont ordonnées, mais que nous l'avons par la foi, quand nous croyons que Dieu s'est réconcilié avec nous et qu'il nous est propice, pour l'amour de Jésus-Christ, et non pour nos oeuvres.

Il est avéré que les moines ont constamment enseigné qu’on pouvait satisfaire pour les péchés et mériter la grâce au moyen de constitutions de leur fantaisie. N'est-ce pas là diminuer et obscurcir la gloire du Christ et nier la justice par la foi? Il s'ensuit donc que tous ces voeux ont été des engagements impies et par conséquent nuls: car un voeu impie, qui est fait contre le commandement de Dieu, n'a point d'obligation. Le voeu ne doit pas être un lien d'iniquité, comme dit le canon Inter caetera.

S. Paul dit: Vous qui voulez être justifiés par la Loi, vous n'avez plus de part en Jésus-Christ, vous êtes déchus de la grâce.

Ceux qui pensent être justifiés par leurs voeux renoncent ainsi au Christ et sont déchus de sa grâce; car en attribuant leur Justification à leurs voeux, ils attribuent à leurs oeuvres ce qui n'appartient qu'à la gloire du Christ.

Cependant, on ne peut pas nier que les moines n'aient enseigné qu'ils étaient justifiés et qu'ils méritaient la rémission des péchés par leurs observances; ils ont prétendu avoir des mérites surérogatoires et ils ont même départi ceux-ci à d'autres pour satisfaire pour leurs péchés.

Si l'on voulait examiner à la rigueur toutes ces choses, combien trouverait-on d'absurdités, dont les moines rougissent maintenant? Ils ont de plus persuadé les hommes que ces oeuvres humaines étaient un état de perfection chrétienne; mais n'étais-ce pas faire dépendre la Justification des oeuvres?

Or, ce n'est pas un scandale léger dans l'Eglise, que d'enseigner qu'un certain culte inventé par les hommes et sans commandement de Dieu, puisse justifier les hommes. La justice de la foi qu'il faut enseigner avant tout dans l'Eglise, est obscurcie lorsque ces surprenantes religions d'anges, cette fausse apparence de pauvreté, d'humilité et de célibat, s'étalent si pompeusement aux yeux des hommes. Outre cela, la religion et le vrai culte s'altèrent, lorsque les hommes entendent que les moines seuls vivent dans l'état de perfection. La perfection chrétienne consiste à craindre véritablement Dieu et à nourrir une foi vive, à croire que nous sommes réconciliés avec Dieu par Jésus-Christ, à le prier dans cette confiance, et à attendre de lui le secours nécessaire dans toutes les affaires de notre vie, selon l'état auquel il nous a appelés. Cependant, il faut pratiquer les bonnes oeuvres et suivre religieusement sa vocation. C'est en cela que consiste la vraie perfection et le véritable culte de Dieu, et non pas dans le célibat, dans la mendicité, ou dans de sordides vêtements.

Mais le peuple ne laisse pas de concevoir des opinions pernicieuses d'après les fausses louanges de la vie monastique. Il entend vanter sans mesure le célibat et ne vit plus dans le mariage qu'avec scrupule. Il entend qu'il n'y a de parfaits que les mendiants et il a mauvaise conscience de posséder quelque bien, ou de faire du commerce. Il entend dire que ce n'est qu'un conseil, et non pas un précepte de l'Evangile, de ne pas se venger et plusieurs n'hésitent plus de se venger en particulier. D'autres enfin se persuadent que les magistratures et les charges publiques sont indignes d'un chrétien. On a les exemples de plusieurs personnes qui ont abandonné leurs femmes et le gouvernement de l'Etat et se sont ensevelies dans les monastères. Ils appelaient cela s'enfuir du monde et chercher un genre de vie plus agréable à Dieu; ils ne savaient donc pas qu'ils devaient le servir suivant les commandements qu'il leur a donnés lui-même, et non d'après ceux qu'ont inventés les hommes. Le genre de vie le plus parfait et le meilleur n'est-il donc plus celui où l'on exécute les commandements de Dieu?

Ce sont là des choses sur lesquelles il est nécessaire d'éclairer les hommes. Gerson reprit, il y a longtemps, l'erreur des moines sur la perfection chrétienne et il nous assure que de son temps c'était une opinion nouvelle que d'appeler la vie monastique un état de perfection. Il existe donc sur les voeux monastiques plusieurs opinions impies selon lesquelles ils procurent d'eux-mêmes le pardon des péchés, nous justifient, donnent la perfection chrétienne, servent à observer et les conseils et les préceptes de l'Evangile, et que par eux les moines font des oeuvres surérogatoires. Comme toutes ces croyances sont fausses et ne sont que superstition, il en suit que les voeux sont inutiles et nuls.
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XXVIII. De la puissance ecclésiastique
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Il y a eu de grandes disputes sur le pouvoir des évêques, et quelques-uns ont confondu mal à propos la puissance ecclésiastique avec le pouvoir du glaive. On a vu naître de cette confusion des guerres cruelles et de grands soulèvements lorsque les papes, prétextant la puissance des clefs, ne se contentaient pas d'instituer des cultes nouveaux, de se réserver les cas, de charger les consciences d'excommunications violentes, mais qu'ils voulaient encore disposer des royaumes de la terre, donner et ôter l'empire aux princes. Depuis longtemps ces vices sont repris dans l'Eglise par les hommes les plus pieux et les plus instruits. Nos docteurs, pour rassurer les esprits, ont dû faire voir la différence qu'il y avait entre le pouvoir de l'Eglise et celui de la royauté, et ils ont enseigné qu'il faut porter du respect à l'un et à l'autre, comme étant, selon l'Evangile, les plus grands bienfaits de Dieu sur la terre.

Voici quelle est sur cette matière toute notre doctrine: La puissance des clefs, ou le pouvoir des évêques, est, selon l'Evangile, un pouvoir ou commandement reçu de Dieu, pour prêcher l'Evangile, remettre ou retenir les péchés, et administrer les sacrements. C'est avec ce pouvoir que Jésus-Christ a député ses apôtres: Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie de même; recevez le Saint-Esprit; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. De même: Allez par tout le monde prêcher l'Evangile à toutes créatures.

Cette puissance se borne donc à enseigner ou prêcher la Parole de Dieu, et à administrer les sacrements, selon leur vocation, que ce soit à beaucoup de personnes ou à quelques-uns en particulier. On ne donne pas là des biens terrestres, mais des biens éternels, savoir la justice éternelle, le Saint-Esprit et la vie éternelle. Ces biens ne sont communiqués que par l'administration de la Parole et des sacrements, comme dit S. Paul: L'Evangile est la force et la vertu de Dieu pour sauver tous ceux qui croient. Or la puissance ecclésiastique, donnant des biens célestes et n'étant exercée que par le ministère de la Parole de Dieu, n'empêche nullement le gouvernement politique; d'une manière semblable, l'art du chant n'interfère pas non plus avec le gouvernement civil. Celui-ci a pour objet d'autres choses que l'Evangile: le magistrat protège non pas les esprits, mais les corps et les biens du monde contre les injustices évidentes, et punit les coupables par l'épée et par des peines temporelles afin de maintenir la paix et la justice civile parmi les hommes.

Il ne faut donc pas confondre le pouvoir ecclésiastique avec le pouvoir civil. Le premier est institué pour la prédication de la Parole de Dieu et l'administration des sacrements. Il lui est défendu de se mêler d'affaires qui lui sont étrangères, de disposer des royaumes de ce monde, d'abroger les lois des magistrats, de dispenser d'une obéissance légitime, d'empêcher un jugement quelconque d'après les ordonnances et les contrats civils, de prescrire aux fonctionnaires de l'Etat des règles de gouvernement. Jésus-Christ dit: Mon royaume n'est pas de ce monde. Et ailleurs: Qui est-ce qui m'a établi pour juger ou pour faire vos partages? Et S. Paul dit aux Philippiens (3: 20): Notre cité est dans le ciel; et aux Corinthiens ( 10: 4): Les armes de notre milice ne sont point terrestres, mais puissantes en Dieu, pour renverser les remparts des raisonnements humains qui se soulèvent contre la connaissance de Dieu. C'est ainsi que nous distinguons les devoirs de ces deux puissances ; et nous voulons qu'on les honore toutes deux comme des dons et des bienfaits de Dieu.

Si les évêques ont quelque pouvoir civil, ils l'ont, non pas comme évêques, par l'Evangile, mais par une concession particulière des empereurs et des rois, et par le droit des hommes. C'est alors une administration civile de leurs biens, charge toute différente du ministère de l'Evangile. Lors donc qu'on demande ce que c'est que la juridiction des évêques, il faut distinguer le gouvernement, de la puissance ecclésiastique. Or, selon l'Evangile ou pour ainsi dire selon le droit divin, les évêques n'ont point de juridiction; en qualité de ministres de la Parole de Dieu et d'administrateurs des sacrements, ils n'ont que le pouvoir de remettre les péchés, d'examiner les doctrines, de rejeter celles qui sont contraires à l'Evangile, et de retrancher de la communion de l'Eglise les méchants dont l'impiété est notoire. Tout cela, ils doivent le faire par la force de la Parole et non par la force humaine. C'est dans ces affaires que les Eglises doivent être obéissantes aux évêques, selon le droit divin: Celui qui vous écoute, m'écoute.

Toutefois, quand les évêques ordonnent ou établissent quelque chose contre l'Evangile, les Eglises ont les commandements de Dieu qui défendent de leur obéir: Gardez-vous des faux prophètes. Et: Quand nous vous annoncerions nous-mêmes, ou quand un ange du ciel vous annoncerait un évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème. Et: Nous ne pouvons rien contre la vérité, mais seulement pour la vérité. De même: La puissance nous a été donnée pour édifier, non pour détruire. Les canons demandent la même chose. Enfin, S. Augustin, dans son Traité contre l'épître de Pétilian, dit qu'il ne faut pas obéir aux évêques lorsqu'ils manquent ou ordonnent quelque chose contre l'Ecriture sainte. Toutes les fois donc que les évêques ont quelque autre puissance ou juridiction dans de certaines affaires, comme le mariage ou les dîmes, ils ont ce pouvoir par le droit des hommes. Cependant, quand la justice des Ordinaires cesse, les princes sont obligés de juger, même malgré eux, leurs sujets, afin que la paix soit maintenue.

On demande encore si les évêques ou les pasteurs ont le droit d'introduire dans l'Eglise des cérémonies et des ordonnances sur les viandes, les fêtes, les divers degrés des ministres etc. Ceux qui attribuent ce droit aux évêques, allèguent ces Paroles de Jésus-Christ: J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les comprendre maintenant; quand l'Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité. Ils citent aussi l'exemple des apôtres, qui ont ordonné qu'on s'abstînt des chairs étouffées et du sang. Ils allèguent encore le changement du jour du sabbat en jour du Seigneur, ce qui semble être contre le décalogue. C'est surtout ce dernier exemple, le changement du sabbat, qu'ils font valoir, pour en inférer que l'Eglise a un grand pouvoir, ayant pu dispenser d'un commandement du décalogue.

Notre doctrine sur cet article est que les évêques ne peuvent rien ordonner ou établir contre l'Evangile, comme nous avons dit auparavant. Les canons ont statué le même principe (voyez la 9e Distinct.) Or, c'est agir évidemment contre l'Ecriture sainte, que d'ordonner des traditions et de les faire observer, afin de mériter la grâce et de satisfaire pour les péchés. La gloire du mérite de Jésus-Christ n'est-elle pas blessée lorsque, par de semblables observances, on prétend pouvoir mériter la justification? Tout le monde sait aussi que par cette persuasion il s'est glissé une infinité de traditions dans l'Eglise; et que la doctrine de la foi et de sa justice a été négligée. On a augmenté le nombre des fêtes, ordonné des jeûnes, établi de nouvelles cérémonies et de nouveaux honneurs aux saints. Les auteurs de ces traditions s'imaginaient mériter par là la grâce de Dieu et toutes sortes de biens. C'est ce qui a fait augmenter si considérablement les canons de la pénitence, dont on remarque encore des restes dans les satisfactions.

De même, les auteurs de ces traditions agissent contre le commandement de Dieu, en situant l'objet du péché dans des aliments, dans certains jours et d'autres choses similaires et en chargeant l'Eglise de la servitude de la Loi, comme s'il était requis des chrétiens, pour qu'ils méritent la Justification, que leur culte soit similaire à celui du Lévitique, et comme si Dieu avait commis l'organisation d'un tel culte aux apôtres et aux évêques.

C'est ainsi qu'on écrit quelques-uns de leurs auteurs, et les pontifes ont visiblement été induits en erreur par l'exemple de la Loi mosaïque.

Voilà d'où viennent ces fardeaux dont on accable les consciences, en les persuadant que c'est un péché mortel d'exécuter un travail manuel durant les jours fériés, même si cela ne scandalise personne; que c'est un péché mortel de négliger les heures canoniques; que certains aliments polluent la conscience; que les jeûnes sont des oeuvres qui apaisent Dieu; qu'un péché dans les cas réservés ne peut être remis sans le consentement de celui qui s'en est réservé l'absolution, quoique les canons ne disent pas que la faute soit réservée, mais seulement les peines ecclésiastiques.

D'où les évêques ont-ils le droit de charger l'Eglise de traditions qui embarrassent les consciences, alors que S. Pierre interdit d'imposer un joug aux disciples? S. Paul dit qu'il n'a pas reçu de pouvoir pour détruire mais pour édifier; pourquoi donc augmenter les péchés par ces traditions? N'y a-t-il pas plusieurs témoignages évidents qui défendent d'établir de telles traditions pour mériter la grâce, et comme nécessaires à la justice de la nouvelle Alliance et au salut? S. Paul dit: Que personne ne vous condamne pour le manger et pour le boire, ni au sujet des jours de fêtes, des nouvelles lunes et des jours de sabbat; puisque toutes ces choses n'ont été que l'ombre de celles qui doivent arriver, et que Jésus-Christ en est le corps et la vérité. Si donc vous êtes morts avec Jésus-Christ à ces premières et grossières instructions du monde, comment vous laissez-vous imposer des lois, comme si vous viviez dans cet état du monde? “Ne mange pas”, vous dit-on, “une telle chose; ne goûte pas de ceci, ne touche pas à cela”; cependant ce sont des choses qui périssent toute par l'usage qu'on en fait, et ces préceptes qu'on vous donne, ne sont que des ordonnances et des opinions humaines, qui ont quelque apparence de sagesse. Et dans la première Epître à Tite S. Paul rejette expressément les traditions. Il ne faut pas, dit-il, s'arrêter à des fables judaïques et à des ordonnances de personnes qui haïssent la vérité. Et Jésus-Christ dit de ceux qui exigent l'observance des traditions: Laissez-les, ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. Ailleurs il désapprouve ainsi ces cultes en disant: Toute plante qui n'aura pas été plantée par mon père qui est dans le ciel, sera arrachée.

Si les évêques ont le pouvoir de charger l'Eglise d'une infinité de traditions et de lier les consciences, pourquoi l'Ecriture nous défend-elle en tant d'endroits d'établir des traditions et de les suivre? D'où vient qu'elle les appelle une doctrine de démons? Le Saint-Esprit a-t-il averti en vain de ces choses?

Il en suit donc que si les ordonnances instituées pour mériter la grâce, et comme nécessaires, sont contre l'Evangile, les évêques n'ont pas le pouvoir de les établir. Il est bien nécessaire qu'on conserve dans l'Eglise la doctrine de la liberté chrétienne, puisque la servitude de la Loi n'a plus d'obligation pour nous. Demeurez ferme, dit l'apôtre, dans la liberté que Jésus-Christ nous a acquise, et ne vous remettez pas de nouveau sous le joug de la servitude. Il faut nécessairement s'attacher au principal point de l'Evangile, qui est que nous sommes justifiés gratuitement par la foi en Jésus-Christ, et non pas pour des observances ou des cultes institués par les hommes.

Quel sentiment doit-on avoir par conséquent sur le dimanche et certaines cérémonies qui s'observent dans l'Eglise? Nous répondons que les évêques et les pasteurs peuvent les établir pour conserver l'ordre dans l'Eglise, mais non pas pour mériter la grâce ou offrir une satisfaction pour les péchés qu'ils ne peuvent pas obliger les consciences à croire que ce soient des cultes nécessaires, ou à s'accuser de péché quand on les néglige sans choquer personne. C'est ainsi que S. Paul ordonne: Que dans les assemblées les femmes soient voilées, et que ceux qui interprètent dans l'Eglise les Ecritures saintes, soient entendus avec ordre, l'un après l'autre.

Il convient que les Eglises observent ces ordonnances pour maintenir la paix et pour ne pas s'entre offenser, et afin que tout se fasse avec ordre et sans tumulte. Mais que les consciences n'en soient pas chargées, qu'on ne persuade personne que l'observance de ces choses soit nécessaire pour le salut, ou qu'on pèche en ne les suivant pas. Une femme commet-elle donc un péché quand elle paraît en public sans avoir la tête voilée dans les pays où cet usage n'est pas choquant?

Il en est de même des dimanches, de la fête de Pâques, de la Pentecôte, et de semblables fêtes et coutumes. Ceux qui soutiennent que le dimanche a été mis à la place du sabbat, par l'autorité de l'Eglise et comme une chose nécessaire, se trompent fort. Ce fut l'Ecriture qui abrogea le sabbat, en enseignant que toutes les cérémonies mosaïques pouvaient être abandonnées après la promulgation de l'Evangile. Toutefois, comme il était nécessaire d'instituer un certain jour, afin que le peuple sût quand il devait s'assembler, il apparaît que l'Eglise a institué pour cela le dimanche qui offrait en même temps aux fidèles un exemple de la liberté chrétienne, et qui leur apprenait que ni l'observance du sabbat, ni celle d'un autre jour n'est nécessaire.

On a élevé des disputes interminables sur le changement de la Loi ancienne, les cérémonies de la nouvelle et le changement du sabbat; elles sont toutes nées de la persuasion où l'on était, qu'il devait y avoir dans l'Eglise un culte semblable au lévitique, et que Jésus-Christ avait donné aux apôtres et aux évêques le pouvoir d'instituer de nouvelles cérémonies nécessaires pour le salut. Ces erreurs se sont glissées dans l'Eglise à mesure qu'on a cessé d'enseigner clairement la justice de la foi. Les uns ont prétendu que l'observance du dimanche n'est pas à la vérité de droit divin, mais presque; d'autres ont longuement examiné en quel cas il est permis de travailler aux jours de fêtes. Mais toutes ces doctrines sont-elles autre chose que des liens pour les consciences? On tâche d'adoucir maintenant les traditions, mais on ne pourra jamais observer une juste mesure tant qu'on les croira nécessaires; et cette opinion durera indispensablement tant qu'on ignorera la justice de la foi et la liberté chrétienne.

Les apôtres ont commandé de s'abstenir du sang et des chairs étouffés; mais qui l'observe présentement? Néanmoins ceux qui ne l'observent pas ne pèchent point, parce que les apôtres mêmes n'ont pas voulu charger les consciences de cette servitude; et qu'ils n'ont établi leur défense que pour un certain temps et pour éviter le scandale. C'est la volonté perpétuelle de l'Evangile qu'il faut considérer dans un décret. On peut dire qu'il n'y a que très peu de canons anciens qu'on observe exactement; et il y en a beaucoup qui s'oublient toujours plus, même parmi ceux qui défendent le plus les traditions. On ne peut soulager les consciences qu'autant qu'on établira avec équité, que les canons ne doivent pas s'observer comme nécessaires, et qu'on peut laisser vieillir quelques traditions, sans léser les consciences.

Les évêques pourraient aisément se conserver une obéissance légitime, s'ils ne contraignaient pas d'observer avec tant de rigueur des traditions qu'on ne saurait observer en bonne conscience. Mais ils commandent aux ecclésiastiques de garder le célibat, et ne reçoivent pour pasteur que ceux qui prêtent serment de ne vouloir pas sur ces articles enseigner la doctrine pure de l'Evangile. Nous ne demandons point que les évêques rachètent la paix et l'union par le sacrifice de leur honneur (ce qu'ils devraient faire néanmoins comme pasteurs fidèles), nous les conjurons seulement de retrancher d'injustes fardeaux, qui se sont introduits il n'y a pas longtemps, contre la coutume de l'Eglise catholique. Peut-être qu'au commencement on avait quelques raisons d'établir de telles observances, mais ces raisons ont cessé d'avoir lieu postérieurement. Quelques autres ont été reçues évidemment par erreur. Les évêques devraient les changer, ou les adoucir, d'autant plus que l'unité de l'Eglise n'en est point troublée. On en a souvent usé de même, comme on peut voir par les canons. Que si les papes et les évêques ne veulent point avoir la condescendance de relâcher de l'obligation des traditions qu'on ne peut observer sans péché, nous somme contraints de suivre la règle apostolique qui veut que nous obéissions plutôt à Dieu qu'aux hommes. S. Pierre défend aux évêques de dominer et de régner dans les Eglises. Il ne s'agit pas présentement d'ôter la domination aux évêques; nous les prions seulement de vouloir souffrir la prédication de l'Evangile pur, et de se relâcher des observances qu'on ne peut garder sans péché. S'ils demeurent durs et inflexibles, et qu'ils ne font nulle réflexion sur ces demandes, c'est à eux à voir comment ils rendront compte devant Dieu d'avoir été la cause de la division de l'Eglise par leur obstination.

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