Principe du discours dogmatique: Conclusion

 


 

Suite et fin de notre série.

 Précédemment: Introduction, Première parie, Deuxième partie, Troisième partie.



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Résumons notre propos : la Parole ou l’invocation baptismale engage chaque baptisé à professer le dogme trinitaire, à trouver dans cet unique vrai Dieu tout son bonheur, et à lui rendre grâce pour tout bien.
Le geste baptismal, ou bain du Salut, dépeint la personne et l’œuvre du Christ pour les pécheurs ; en creux, il leur révèle l’état de perdition duquel il les arrache.
Enfin, dans cette œuvre de recréation, l’élément baptismal, ou l’eau, témoigne du fait de la création ; il dirige nos regards vers le siècle à venir en nous enseignant une sage conduite dans le monde présent.
Or, ce qui est une fois célébré dans le baptême est le même Évangile qui est continuellement rappelé dans la Cène, ou Eucharistie. Cette promesse de vie ne peut donc pas être reçue autrement que par la foi.


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Dans son baptême, chaque fidèle reçoit ainsi l’empreinte de la foi orthodoxe, afin de la partager et de la garder avec une conviction personnelle. Cependant, nous avons indiqué que la foi chrétienne n’était pas une simple affaire individuelle (§ 4). Il y a en effet une Église chrétienne qui formule solennellement, à l’échelle de l’Histoire, ce que le fidèle croit intimement dans sa vie particulière. Or, au cours de cette Histoire, la communion remontant aux apôtres (la « grande Église », selon l’aveu involontaire du païen Celse) a solennellement formulé et scellé les termes de sa foi, par l’organe de conciles universels.
Dans la mesure où ces termes sont conformes à la foi de leur baptême, il convient que chacun garde ce patrimoine commun, pour l’édification de tous. Cet héritage consiste principalement dans le Symbole de Nicée-Constantinople, du nom des deux premiers conciles universels (tenus respectivement en 325 et 381 après Jésus-Christ).

Voici le Symbole :

Nous croyons en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles.
Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, l'unique engendré, qui a été engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait; qui pour nous les hommes et pour notre salut est descendu des cieux, s'est incarné de l'Esprit saint et de la Vierge Marie et s'est fait homme; a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate, a souffert et a été enseveli, est ressuscité le troisième jour selon les Écritures et est monté aux cieux, siège à la droite du Père et reviendra en gloire juger les vivants et les morts : et son Règne n'aura pas de fin.
Et en l'Esprit saint, qui est Seigneur et créé la vie, qui procède du Père, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié, qui a parlé par les prophètes. Nous croyons une seule Église, sainte catholique ( = universelle) et apostolique. Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés; nous attendons la résurrection des morts et la vie du monde à venir.

Amen.


Observation : On notera que ce Symbole présente quatre nœuds, ou quatre grandes articulation de l’Un et du Multiple, qui sont autant de difficultés logiques dans lesquelles se sont engouffrées les grandes hérésies :

1) Un seul Dieu / Père, Fils et Esprit (trois).

2) Un seul Seigneur / Dieu et homme (deux).

3) Un seul baptême / des péchés (plusieurs).

4) Une seule Église / universelle (multitude).



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Dans le Symbole, les évêques légitimes de l’Église chrétienne résumèrent les articles de la foi toujours professée dans l’Église, en soulignant particulièrement sa structure trinitaire – qui était alors attaquée. Ils se prononcèrent ainsi sur la première difficulté qui se présente à nous (dans la parole baptismale) : comment trois (Père, Fils et Esprit) sont-ils un seul Dieu ? Notre brève étude aura montré (partie 1) comment notre baptême nous engage à partager la lecture que les rédacteurs Symbole firent des Écritures.
Conformément aux décrets des conciles qui ont suivi, ce Symbole est et doit rester la confession de foi officielle, irréformable et matériellement suffisante de l’Église chrétienne.

Observation : La Grande Église a affirmé ce caractère du Symbole dans les décisions suivantes : Premier concile de Constantinople, canon 1 ; concile d’Éphèse, 6e session ; concile de Chalcédoine, 5e session ; troisième concile de Constantinople, 18e session). Les évêques des communions tombées plus tard dans l’hérésie ont dû reconnaître le bien-fondé de ces décisions : aussi bien les monophysites (cf. Philoxène de Mabboug, Dissertation 1,70) que les nestoriens (synode de Séleucie, 585 AD).



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Sans ajouter au sommaire des articles contenus dans le Symbole, les évêques de l’Église chrétienne durent également se prononcer sur la deuxième difficulté qui s’y présente, concernant la Personne du Christ : comment un seul Seigneur est-il Dieu et homme – soit deux choses différentes ?
Présente dans le geste baptismal, cette question se manifestait particulièrement dans la célébration eucharistique. Notre brève étude aura montré (partie 2), combien la réponse des quatre conciles universels suivants
était conforme ce que chaque fidèle est invité à célébrer, aussi bien dans son baptême que dans l’Eucharistie; à savoir : Christ, une seule personne (conciles d’Éphèse, en 431), l’un de la Trinité (Constantinople II, en 553), a personnellement assumé la nature humaine (Chalcédoine en 451) en toutes ses composantes essentielles – notamment la volonté (Constantinople III, en 681 après Jésus-Christ) pour être le parfait Sauveur des hommes.


Observation : Nous devons donc souligner que les définitions des quatre conciles christologiques furent des précisions d’un article du Symbole (l’Incarnation), et non pas des articles ajoutés au Symbole.
De l’avis général, l’ensemble de ces six conciles œcuméniques, ou universels, est le patrimoine par lequel la Grande Église a célébré et magnifié la vérité de l’Incarnation. Malgré son attachement aux quelques vingt conciles reconnus par sa dénomination, le théologien catholique romain Édouard Hugon (1867-1929) devait lui-même avouer que :
«  Les six premiers conciles sont, en effet, la glorification éclatante du mystère béni de l'Incarnation. A Nicée (325), c'est la divinité du Christ qui est affirmée et adorée, vengée des blasphèmes des ariens et de tous les rationalistes futurs. Au premier concile de Constantinople (381) cette divinité de Jésus est proclamée de nouveau avec la divinité du Saint-Esprit. Le concile d’Éphèse (431) définit le dogme de l'unité personnelle en Jésus-Christ avec le dogme de la maternité divine de Marie, contre les blasphèmes des nestoriens; et le concile de Chalcédoine (451), maintient l'intégrité des deux natures contre l'hérésie eutychienne. Le second concile de Constantinople (553) affirme à la fois l'unité et la dualité des natures; tandis que le troisième concile de Constantinople (680-681) glorifie les deux volontés en Jésus-Christ.
Les hérétiques sont bien morts; l’Église anathématise encore leurs hérésies, et elle continue d'adorer, de louer et d'aimer le Christ, vrai Dieu et vrai homme, personne unique en deux natures dont chacune garde après l'union ses propriétés, son opération distincte, sa volonté distincte; et Jésus-Christ, le Dieu-Homme, reste toujours au sein de l'humanité - nous pouvons bien le redire, ici encore - Celui que l'on adore, que l'on aime et pour qui l'on meurt! »


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Le concile d’Éphèse dut également se prononcer contre une erreur doctrinale, le pélagianisme (7e session, canons 1 et 4). Celle-ci niait la corruption totale de l’humanité en disant que les enfants devaient certes être baptisés, mais pas « pour rémission des péchés » – comme l’affirme pourtant, conformément aux Écritures, le Symbole. Cette hérésie niait aussi le rôle exclusif du Saint-Esprit pour ce qui concerne l’application du Salut, voyant finalement dans le Christ un modèle nous enseignant l’art de se sauver soi-même.
Nous avons indiqué, au cours de notre brève étude, comment le pélagianisme était opposé à la foi en l’unique Dieu, à laquelle nous engage notre baptême (§§ 12, 16, 19).

Observation : Nous avons souligné le caractère biblique du baptême des enfants. Il convient de noter ici que, depuis le IIe siècle, l’origine apostolique et la validité de ce baptême n’ont été remises en question par aucun théologien ou évêque – pas même par Tertullien, contrairement à ce qu’on prétend parfois.
Il aura fallu attendre plus de mille ans pour que divers courants, à l’orthodoxie souvent très discutable, nient cette origine et aillent parfois jusqu’à accuser st. Augustin d’en être l’inventeur.


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Ce n’est que tardivement, lors du deuxième concile de Nicée (787 après Jésus-Christ) que les évêques orientaux, alors soutenus par pape de Rome, ont attenté à la suffisance matérielle du Symbole. Ils ajoutèrent au sommaire de la foi chrétienne le dogme du culte des images – culte qui n’existe en aucune façon dans le Symbole de Nicée-Constantinople. En plus d’ajouter ainsi un nouvel article à la foi et de jeter l’anathème sur les réfractaires (cf. Denzinger, § 608), ce dogme contrevenait ouvertement à la piété chrétienne, puisqu’il affirmait la distinction « entre la vraie adoration (latreia) qui (…) convient à la seule nature divine » et la prosternation d'honneur (timetike proskynesis) qui est attribuée aux icônes, car celui qui se prosterne devant l'icône se prosterne devant la personne (l'hypostase) de celui qui est peint en elle » (cf. Lettre apostolique DUODECIMUM SAECULUM, de Jean Paul II).
Ce retour à l’erreur de Nestorius était contraire aux conclusions des précédents conciles, à savoir que l’Église ne réserve pas l'adoration à la seule nature divine, mais bien à la personne divine du Verbe incarné  : « Si quelqu'un dit que le Christ est adoré en deux natures, à partir de quoi il introduit deux adorations, l'une propre au Dieu Verbe, l'autre propre à l'homme (…) mais n'adore pas d'une seule adoration le Dieu Verbe incarné avec sa propre chair, comme l’Église l'a reçu dès le début, qu'un tel homme soit anathème. » – Deuxième concile de Constantinople, canon 9.

Observation : De leur côté, les évêques occidentaux ont d’abord repoussé avec horreur ce nouveau dogme (comme en témoignent le concile de Francfort en 794, les livres carolins, ou encore les écrits de st. Agobard de Lyon, de Claude de Turin, etc.)
Cependant, l’occident a généralement enfreint la règle de l’irréformabilité de la lettre du Symbole de Nicée-Constantinople, en y ajoutant la clause du « filioque ». Par la suite, la papauté a encore ajouté une inflation dogmatique pléthorique et de plus en plus sacrilège.
La (trop) grande liberté prise avec le Symbole reste le travers des Églises occidentales. Ainsi, la plupart des dénominations protestantes se sont crues autorisées à reléguer le Symbole au musée, pour le remplacer par des confessions plus développées, dans lesquelles chacun y insistait complaisamment sur son schibboleth – avec les résultats que l’on sait. En réaction au libéralisme théologique, les théologiens protestants évangéliques du XIXe siècle ont enfin tenté de se recentrer sur le patrimoine essentiel et commun, établissant une liste de quatorze doctrines « fondamentales » – comme l’inerrance des Écritures, la divinité du Christ, sa résurrection corporelle, etc.
Plutôt que d’établir une telle liste artificielle d’articles, l’Église ancienne eut la sagesse de professer la vraie foi dans un ensemble indivisible. C’est à ce Symbole, tel que reçu et précisé dans les conciles œcuméniques, que nous devons avoir la sagesse de revenir, pour le bon ordre, la continuité et l’édification de l’Église.


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Le XVIe siècle a été l’époque d’un travail de précisions dogmatiques et de réforme disciplinaire.
Précisions dogmatiques, parce qu’il restait à articuler les difficultés des deux derniers nœuds du Symbole : un seul baptême/des péchés, et une seule Église/universelle (cf. § 28).
Ce travail a été le fait de la Confession d’Augsbourg (juin 1530) qui affirma l’unité de l’Église par sa foi commune – fides quae, et le Salut par le seul moyen de la foi personnelle – fides qua. Nous avons vu, dans la présente étude, la conformité de ces conclusions avec le témoignage de notre baptême.
Réforme disciplinaire
, parce que la période qui a entouré et suivi le deuxième concile de Nicée a été un temps de troubles (concile cadavérique, pornocratie pontificale, etc.) où l’erreur a proliféré (interdiction du mariage des prêtres, superstitions eucharistiques, despotisme papal, etc.)
E
n rappelant que les pratiques contraires aux Écritures devaient être écartées du culte, la Confession d’Augsbourg frappait ces désordres à la racine.

Observation : Dans cette perspective, la Confession d’Augsbourg n’a pas vocation à remplacer le Symbole ou à être pour les Églises modernes « ce que le Symbole fut pour les anciennes ». Cette Confession n’est pas non plus un « point de départ » dans d’éventuels dialogues œcuméniques ; c’est au contraire le terme, l’interprétation finale des articles sotériologiques et ecclésiologiques du Symbole.
A toutes fins utiles, signalons que les signataires de la Confession d’Augsbourg ajoutèrent un appendice à cette dernière, lors du colloque de Smalkalde, en février 1537, afin de traiter spécifiquement de la question de la papauté romaine. Il s’agit du Traité de la puissance et de la primauté du pape rédigé par Philippe Melanchthon.


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« Voici, qu'il est bon et qu'il est agréable que des frères habitent unis ensemble ! »
Psaume 133: 1


Finalement, la Confession d’Augsbourg fut adoptée par l’ensemble des évangéliques, avec la Concorde de Wittenberg (mai 1536).
Celle-ci n’apportait pas seulement le dernier mot sur les controverses eucharistiques héritées du temps des troubles : elle affirmait la pleine communion de ses signataires. Nous voulons persévérer nous aussi dans cette bienheureuse communion, non seulement intérieurement – par une foi, lien vivant avec le Ressuscité, qui produit des œuvres vivantes – mais aussi extérieurement, c’est-à-dire dans les termes de cet héritage commun, pour magnifier la réalité historique d’un plein accord, autour de la même vérité, exprimée dans un même Esprit, et comme d’une même bouche (1Corinthiens 1 10 ; 14, 33 ; Galates 2,9, etc.)

Observation : Le protestantisme s'est très tôt divisé en deux branches, « Luthérienne » et « Réformée » (dont les figures majeures respectives sont incontestablement Martin Luther et Jean Calvin).
Cette division originelle
est très pernicieuse, car elle sert de précédent et d'alibi à toutes les innovations, contestations et divisions survenues depuis. Cependant, la Concorde de Wittenberg, signée aussi bien par Martin Luther et Philippe Melanchthon que par Martin Bucer, établissait canoniquement la pleine communion de chaire et d'autel entre ses signataires. On comprendra l'importance que revêt à nos yeux ce document, véritable cadre de l'Unitas protestantium.
Dans la tradition « Luthérienne », la
Concorde de Wittenberg a souvent été dénigrée au motif qu'elle aurait été viciée, dès l'origine, par la duplicité des signataires de l'autre école. Mais cette accusation, fantaisiste, a été réfutée depuis longtemps (cf. Deux textes concernant la Concorde de Wittenberg de 1536 , Fernand Ménégoz, Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses Année 1940 20-4 pp. 219-221).
Parmi les « Réformés », on trouvera sans doute des théologiens réticents à revenir à cette
Concorde au motif qu'elle ne serait pas suffisamment précise, ou que le trop conciliant Bucer aurait accordé trop de concessions aux conceptions particulières de Luther sur la Cène. Il conviendrait donc de l'oublier au profit de textes plus spécifiquement « calvinistes » et potentiellement plus ouverts à un certain symbolisme – si répandu, hélas, dans certains milieux. 
Face à cette attitude de puristes
plus royalistes que le roi, nous croyons devoir rappeler que dans une lettre datée de novembre 1539, Jean Calvin a lui-même approuvé cette Concorde de Wittenberg et s’est dit résolu à la défendre (Herminjard, Correspondance des Réformateurs, volume 6, page 132. Dans le même sens, voir la lettre de Martin Bucer à Veit Dietrich , en date du 19 novembre 1539).


FIN

 

Bucerian 

Commentaires

Alain Rioux a dit…
Voici, un exposé théologique magistral qui réussit le tour de force d'embrasser la substance de la doctrine chrétienne, au moyen de la synthèse baptismale. De sorte que, les énoncés de foi, loin de s'étioler en concepts abstraits, retiennent toute leur efficacité pratique pour le salut de quiconque croit. Bravo!
Anonyme a dit…
En résumé, même si comparaison n'est pas raison, le baptême apparaît comme la main qui appuie simultanément sur le "Do" (tonique) des Ecritures, sur le "Mi" (tierce majeure) de la chrétienté historique, et sur le "Sol" (quinte juste) de chaque chrétien, afin de donner un accord harmonieux : Do majeur. Tout le reste n'est que chant des sirènes hérétiques et autres bruits, ou criailleries, schismatiques...

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