Principe du discours dogmatique/Deuxième partie: Le geste, ou l'économie du Salut
Après l'introduction et la première partie, c'est avec joie que je poursuis la publication de cette petite série sur la foi chrétienne. Ma prière est que cette humble étude permette aux frères et sœurs en Christ de se garder (ou de se retirer) des filets d'erreurs et de confusions qui foisonnent en ce monde.
14
L’ÉCONOMIE DU SALUT
Le
geste baptismal est tout autant inspiré que l’invocation qui
l’accompagne. Car, l’invocation sans le geste ne serait pas un
baptême, de même que le geste sans cette invocation ne serait pas
un baptême chrétien. Tout ceci est confirmé par la formule même
du baptême, dans laquelle le ministre ne se contente pas d’agir en
disant « Au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit »,
mais où il désigne l’acte qu’il pose, disant : « Je
te baptise (ou : Tu es baptisé) au nom, etc. »
Le
mot « baptiser » (βάπτειν) signifie initialement «
immerger » ou « plonger ». L’immersion proprement dite
est d’ailleurs le mode encore pratiqué dans les communautés
d’Orient, et elle fut longtemps la forme habituelle en Occident. On
aurait cependant tort de considérer l’immersion totale comme une
norme exclusive, car l’Écriture englobe sous le terme
de « baptême » les diverses ablutions rituelles (cf. Luc
11,38) et l’Église a pratiqué et reconnu cette forme dès le Ier
siècle (Didachè VII, 3). Dans ce cas, il y a en effet une sorte
d’immersion du baptisé, de par son passage sous, ou à travers
l’eau (cf. 1Corinthiens 10, 1-3).
Enfin, nous l'avons vu, le mot « baptême » se trouve consacré dans
la formule liturgique, qui en élève le sens (sans le supprimer) et
lui donne une signification propre et nouvelle : il n’est pas
question de donner une description technique de l’action posée
mais d’en dire la signification spirituelle.
Or,
nul ne conteste le fait que le geste baptismal renvoie le baptisé à
l’ensevelissement du Christ après sa mort, ainsi qu’à sa
résurrection, le troisième jour (Romains 6,1-9; Colossiens 2,12;
1Pierre 3,21).
L’ensevelissement
du Seigneur ayant été le terme de son humiliation, et
sa résurrection ayant été le point de départ de
sa glorification (cf. Philippiens 2,5-10), le
baptême place donc les hommes pécheurs (I) au cœur du Mystère de
la Personne (II) et de l’œuvre (III) de leur Sauveur - cf. Romains
1, 3-4; Galates 3, 27.
Observation : Le baptême de Notre Seigneur apparaît comme une cheville ouvrière entre le dogme de la Trinité et celui de l’Incarnation, qui a rendu possible l’économie du Salut. En effet, le Seigneur Jésus n’a pu recevoir le baptême d’eau que pour autant qu’il était devenu homme ; et il n’est venu rejoindre les pécheurs que pour porter leur peine et les délivrer. Pourtant, dans cet acte même, la Trinité apparaît comme le Père qui déclare du Ciel que Jésus, sur la terre, est son Fils bien aimé, tandis que l’Esprit saint descend distinctement du Ciel vers la terre, sous forme d’une colombe (Matthieu 3,16-17) – colombe qui n’est pas sans rappeler celle qui revint annoncer la paix et la réconciliation à Noé, après le baptême diluvien. Admirable Sagesse par laquelle Dieu ne révèle pleinement son Amour pour nous qu’en dévoilant l’Amour qui préexiste éternellement en Lui-même.
15
I. L’Humanité et sa Chute
Le
fait que tous les hommes naturellement engendrés
aient besoin de renaître d’eau et d’Esprit pour leur Salut
témoigne d’un état de perdition préalable et universel (Jean
3,3-6). Le pélagianisme a donc tort de prétendre que les hommes
naissent dans un état d’innocence, et que chacun se corrompt
ensuite par imitation.
Cet état, étant commun à
tous les hommes, remonte par conséquent à leur ancêtre commun.
Cependant, contre les manichéens et les cathares, on doit souligner
que la Bonté du Créateur, autant que la vocation de l’homme au
Salut, interdisent de confondre la corruption de la
nature humaine avec la nature elle-même. C’est donc le premier
homme, en tant que représentant de l’humanité, qui, une fois
créé, a causé sa propre ruine et celle de toute sa postérité –
sa faute étant imputée à tous, et sa corruption étant
propagée en chacun.
Observation :
Des hommes peuvent être
sauvés même sans avoir reçu le sacrement (Luc 23,43). La
dénomination romaine elle-même le reconnaît, en invoquant les
notions de « baptême de désir » et celle de « baptême
de sang ». Pour notre part, nous parlons de nécessité
baptismale en un triple sens :
a)
En ce que le sacrement récapitule et symbolise (comme le souligne la
présente étude) la prédication de l’Évangile dont les hommes
ont normalement besoin, dans leur vie, pour leur Salut (Romains
10,14).
b)
En ce qu’il délimite visiblement l’Église, hors du giron de
laquelle il n’y a, ordinairement, pas de Salut (Actes 2,47).
c)
Enfin, en ce que le sacrement traduit une démarche de repentance et
de foi sans laquelle il est absolument impossible, à quiconque,
d’être sauvé (cf. Luc 7, 29-30).
Ainsi,
puisqu’on doit baptiser aussi largement que s’étend le Salut
(Actes 10,47), les nourrissons mêmes ne peuvent pas être écartés
du sacrement (Actes 2, 17-18 ; 39) : Dieu peut créer en leur cœur un mouvement de foi, et il veut que cette foi ait pour fondement son Évangile tel que normalement annoncé et célébré dans son Église.
16
La
corruption de la nature humaine n’est certainement pas
superficielle. Elle est une mort spirituelle, qui affecte toutes les
parties de la nature humaine. Ce n’est donc pas seulement ce qu’il
y a de plus bas en l’homme – comme ses passions – qui est
opposé à Dieu et à sa Loi, mais c’est aussi ce qu’il y a de
plus noble en lui, comme l’intelligence et la volonté.
C’est
là le « cœur méchant » avec lequel naissent tous les
hommes, et dont procèdent ensuite toutes leurs actions,
immanquablement méchantes.
De
cette corruption totale, le geste baptismal est encore le
témoin. Car, au fait que tous les membres de l’homme sont des
instruments d’iniquité, répond le fait de l’immersion, synonyme
de mortification, de tout l’homme. Et la même logique préside à
la forme atténuée qu’est l’ablution : l’accessoire
suivant le principal, le fait que la tête, partie principale,
reçoive le signe de la mortification (en passant sous l’eau)
implique la mortification de l’homme également en ses parties
secondaires. De façon similaire, le Seigneur avait annoncé la
défaite totale du serpent en prophétisant
simplement que sa tête serait écrasée (Genèse 3,15).
Observation :
Ce dogme de la corruption
totale de
l’homme souligne ce que nous disions de son incapacité à se
sauver, ou à trouver en lui-même une ressource propre à accueillir
effectivement le Salut (§12). L’Évangile est le moyen de Grâce –
ce par quoi nous est annoncé le Salut en Jésus-Christ – que Dieu
adresse à tous les hommes ; cependant, l’accueil intérieur
et durable de cette Bonne Nouvelle est encore un effet de cette
Grâce, que Dieu applique souverainement. C’est aussi ce que
suppose cette formule : « Je te baptise ( ou :
Tu es baptisé) au nom de… », qui est une parole performative,
dont l’efficacité dépend de Dieu.
Pourquoi
Dieu ne décide-t-il donc pas de venir à bout de cette résistance
innée chez Caïphe, alors qu’il a surmonté cette même rébellion
en Saül, devenu saint Paul ? Voilà une question que l’Écriture
ne permet pas de poser autrement que pour s’humilier devant le Dieu
vivant (Romains 9). Toujours est-il que cela doit mettre chacun en
garde contre soi-même : Dieu n’étant jamais tenu de
surmonter l’opiniâtreté du rebelle, celui-ci ne se livre à la
moquerie qu’à ses risques et périls. Si elle doit nuire, cette
méchanceté ne nuira en définitive qu’à celui qui s’y livre.
17
II. La Personne du Sauveur
Nous
l’avons établi : seul quelqu’un qui est Dieu peut sauver
les hommes (§ 12). Le Christ est notre Sauveur. Le Christ est donc
une personne divine - la deuxième de la Trinité bénie (§ 9). De
toute éternité, il est cet être infini, immuable et incorporel
dont nous avons parlé (§ 8).
C’est
aussi en vertu de cette divinité que la glorification de cette
personne (son Ascension, suivie de sa Session à la droite du Père
et son Règne éternel) est convenable.
Cependant, le baptême
nous dépeint la mort et l’ensevelissement de ce Seigneur
de gloire. Or, souffrir et mourir ne convient qu’à un être
passible et corporel. Par conséquent, il faut que la seconde
personne divine soit devenue homme.
Reste à clarifier, autant
que nécessaire, la relation humano-divine en Christ, le Nouvel
Adam.
Observation :
Pour sauver les hommes, le
Sauveur ne devait pas seulement être un homme, mais être le nouveau
chef de l’humanité : le nouvel Adam (Romains
5,17-19/1Corinthiens 15,22).
C’est
ainsi qu’il a été miraculeusement conçu du Saint-Esprit et qu’il
est né de la Vierge Marie - afin d’être à
la fois l’un
des membres de la race humaine, et son nouveau
point de départ, immaculé.
Saint Irénée nous dresse ici un
éclairant parallèle avec la création d’Adam :
« Or,
d'où provenait la substance du premier homme ? De la volonté et de
la sagesse de Dieu et d'une terre vierge. C'est donc tandis qu'elle
était encore vierge que Dieu prit du limon de la terre et en modela
l'homme pour qu'il fût le point de départ de l'humanité. Comme
c'était cet homme même qu'il récapitulait en lui, le Seigneur
reçut donc une chair formée selon la même économie que celle
d'Adam, en naissant d'une Vierge, par la volonté et la sagesse de
Dieu, afin de montrer lui aussi une chair formée d'une manière
semblable à celle d'Adam et de se faire cet homme même dont il est
écrit qu'il était, à l'origine, à l'image et à la ressemblance
de Dieu. »
18
Au
cours de l’histoire, certains ont enseigné que la personne divine
du Fils de Dieu était unie à la personne de l’homme de Nazareth :
Jésus, le fils de Marie. Que cette union morale,
ou accidentelle de deux personnes, avait
commencé ou bien à la conception de Jésus (erreur de Nestorius) ou
bien lors de son baptême (erreur des ébionites). Cependant, s’il
y avait deux personnes, deux « quelqu’un », il n’y
aurait plus « un seul sauveur ». Il faut au contraire que
la personne qui a mérité notre Salut par ses souffrances soit
celle-là même qui possède la nature divine, laquelle seule confère
une valeur infinie à son mérite.
Enfin, s’il y avait une
personne de l’homme de Nazareth qui était co-agent de notre Salut,
il nous faudrait bien entendu adorer cette personne ; cela nous
renverrait à l’hérésie païenne que nous avons écarté en
parlant du rôle exclusif de Dieu dans le Salut (§
12).
Par
conséquent, nous confessons que le Christ est une seule personne, un
seul quelqu’un : Celui qui est engendré du Père
avant tous les siècles, est le même qui a été conçu dans les
derniers temps par le Saint-Esprit et qui est né de la Vierge Marie,
qui est dite pour cette raison « théotokos » (celle qui
a enfanté Dieu). C’est encore ce même « quelqu’un »
qui a souffert sous Ponce Pilate, etc.
A
l’inverse, certains ont enseigné que cette unité de la personne
divine impliquait la négation de l’humanité du Christ.
Cette
famille d’erreurs est si ancienne (l’apôtre Jean semble l’avoir
connue et lui avoir adressé ses condamnations les plus sévères) et
si protéiforme qu’il serait vain de prétendre en faire une liste
exhaustive. Nous signalerons simplement :
Les
docètes, qui croyaient que le Fils de Dieu avait eu l’apparence
d’un humain sans en être devenu réellement un. N’ayant pas de
corps, un autre avait finalement pris sa place sur la croix. D’autres
esprits plus subtils, comme Apollinaire d’Alexandrie, qui ont admis
que le Fils de Dieu avait endossé un corps humain, mais pas l’âme
humaine – l’enveloppe corporelle sans son logiciel. D’autres
(Dioscore d’Alexandrie, Eutychès de Constantinople…) qui ont
enseigné que le Fils de Dieu, en descendant sur la nature humaine,
avait dissous et absorbé cette dernière dans sa divinité. Enfin,
parmi les premiers mennonites, beaucoup croyaient semblablement que
le Fils de Dieu n’avait pas pris son humanité de la Vierge Marie
mais qu’il avait amené son corps du Ciel (selon une
lecture malheureuse de Jean 6, 62).
Cependant,
l’homme, qui a péché dans son corps et dans son âme (Genèse
3,6) doit être racheté tout entier. Si la personne
divine du Fils n’avait pas véritablement uni à lui toute notre
nature humaine, il ne serait pas notre parfait Sauveur (Hébreux
2,14). On doit pareillement honnir la fausse doctrine plus récente,
dite « kénotiste », soutenue notamment par le bibliste
Frédéric Godet, selon qui le Fils aurait cessé d’être Dieu en
se faisant homme – et aurait cessé d’être réellement homme une
fois glorifié, ou redevenu Dieu. Une telle
doctrine, attentatoire à l’ordre et à l’immuabilité du Dieu
Trinitaire, n’est en dernière analyse que le mélange de toutes
les erreurs, depuis celle de l’arianisme jusqu’à celle des
mennonites.
La
doctrine orthodoxe est que la Personne du Fils de Dieu a assumé la
nature qu’il est venu sauver, c’est-à-dire qu’il a uni dans sa
Personne la nature humaine à la nature divine, étant « vrai
Dieu et vrai homme », ou Emmanuel, c’est-à-dire : Dieu
avec nous (Matthieu 1,23).
Observations
: On fera grand profit,
pour la compréhension de cette vérité, de la lecture du Tome à
Flavien, écrit par Léon, évêque de Rome au Ve siècle, et dont
voici quelques lignes :
« De
la Mère du Seigneur est assumée la nature, non la faute ; et ce
corps, né d'une vierge, n'en est pas moins de la même nature que le
nôtre. Vrai Dieu, c'est un homme véritable; il n'existe aucun
mensonge dans cette alliance, l'humilité de l'homme et la puissance
de Dieu sont réunies. Sa divinité n'est point altérée par son
œuvre de miséricorde, et elle laisse son humanité intacte. Chaque
nature agit avec la participation de l'autre; mais le Verbe opère
comme le Verbe, et la chair comme la chair. L'une brille par des
miracles, l'autre succombe sous les injures. Le Verbe partage
toujours la gloire de Dieu son Père, et la chair les faiblesses de
notre nature. Jésus, comme on doit le répéter, est seul et à la
fois le vrai Fils de Dieu, le vrai Fils de l'homme. Dieu, car dans le
principe il était le Verbe et le Verbe était en Dieu et Dieu était
le Verbe; homme, car le Verbe se fit chair et habita parmi nous.
Dieu, car il a tout créé et rien n'a été fait sans lui; homme,
car il est né d'une femme et soumis à la Loi. La naissance de sa
chair prouve sa nature humaine, et sa conception dans le sein d'une
vierge, sa nature divine. Son humble berceau montre qu'il n'était
qu'un petit enfant, et les chants des anges révèlent sa grandeur
toute puissante. Il est, comme les hommes, enveloppé dans des
langes, lui dont l'impie Hérode conspire la mort; mais il est le
souverain maître de tous les mortels, lui devant qui les mages
viennent se prosterner avec joie. Quand il vint recevoir le baptême
de Jean, son précurseur, on put s'assurer de la réalité de sa
nature divine, par ces mots que Dieu le Père fit retentir du haut
des cieux : Celui-ci est mon Fils bien-aimé dans lequel j'ai
mis toute mon affection. Homme, il est tenté par le démon;
Dieu, il est servi par les anges. Enfin, il donne une preuve évidente
de son humanité en étant soumis à la faim, à la soif, à la
fatigue et au sommeil, et une non moins frappante de sa divinité,
lorsqu'il rassasie cinq mille hommes avec cinq pains, qu'il donne
l'eau vive à la Samaritaine et la désaltère de telle sorte qu'elle
n'ait jamais soif, qu'il marche sur la mer sans se mouiller les pieds
et qu'il apaise les fureurs de la tempête. Pour m'arrêter à ces
derniers exemples, ce n'est pas la même nature qui pleure sur la
mort de son ami Lazare, le fait sortir du sépulcre et le ressuscite
quatre jours après; qui se laisse attacher à la croix et change le
jour en ténèbres et bouleverse les éléments; qui, fixée par des
clous, ouvre les portes du ciel au bon larron. Ce n'est pas la même
nature qui dit : Moi et mon Père ne sommes qu'un; et
ensuite: Mon Père est plus grand que moi. Quoiqu'il
n'y ait qu'une seule et même Personne en notre Seigneur
Jésus-Christ, cependant on ne doit point en conclure que ses
souffrances et sa gloire soient communes à ses deux natures; car il
est inférieur à son Père comme homme, et comme Dieu il est son
égal. »
19
III. L’œuvre du Sauveur et le profit qui nous en revient
La
personne du Fils de Dieu a donc assumé, ou s’est appropriée la
nature humaine : un corps matériel et une âme douée
de raison et de volonté humaines
(cf. § 16). Dans cette nature, le Christ a voulu ce que le premier
Adam n’avait pas voulu - à savoir, obéir à Dieu
et accomplir sa Loi : aimer son Père plus que tout, ainsi que les
hommes dont il partageait la nature (§11). Il a ainsi pu accomplir
le bien qu’Adam n’avait pas fait, et plus encore réparer la
faute dont Adam s’était rendu coupable - et non seulement la faute
d’Adam, mais encore toutes les fautes commises dans le sillage de
sa Chute.
En
la personne du Christ, la volonté de l’homme rencontrait ainsi
celle de Dieu, réalisant l’Alliance, qui consiste en
l’accord des volontés entre les parties (Luc 22,42).
Observation : Puisque la volonté humaine a été mise au diapason de la volonté divine dans la personne du Christ uniquement, il est certain que jamais une personne ne peut vouloir véritablement le bien salutaire tant qu’elle n’est pas née de nouveau en Jésus-Christ. Tout ce que l’homme veut avant d’être irrésistiblement saisi par la Grâce, est par conséquent irréductiblement contraire à Dieu et à sa Parole. La croyance selon laquelle la nouvelle naissance dépendrait, même en partie, d’une collaboration entre la volonté non encore régénérée et celle de Dieu, est donc entièrement fausse et attentatoire à ce principe : solus Christus - le Christ seul (cf. §§ 12 et 16).Certains s’efforcent de soutenir que, certes, l’homme ne peut fournir aucune coopération active, en posant des actes positifs ; mais qu’il lui est seulement demandé de ne pas s’opposer à l’œuvre de la Grâce. Qu’il lui est donc demandé une abstention (ne rien faire) et que le Salut se décide ainsi finalement entre ceux qui s’opposent et ceux qui ne s’opposent pas à cette œuvre de Dieu.Mais, outre le fait que s’abstenir du mal est déjà un acte de bonne volonté, rappelons que c’est cette simple abstention (ne mange pas) qui était demandée à Adam, et c’est elle qu’il a refusé d’observer ; de sorte que, marqués du sceau de cette même rébellion, les hommes ont encore besoin de la Grâce irrésistible pour répondre favorablement à l’exhortation de la Parole : n’endurcissez pas vos cœurs (Hébreux 3,15). Oui, nous devons tout à la Grâce: sola Gratia.
20
Selon
cette volonté, le Christ, véritable Israël (cf.
Ésaïe 49), n’a pas seulement mené une vie parfaitement juste et
innocente pour son peuple, mais il a encore consenti à subir, sur la
croix, la peine et la malédiction que méritaient les membres de ce
peuple. C’est pour cela qu’il s’est fait homme et qu’il est
mort – ainsi qu’en témoigne l’immersion baptismale.
Or,
nous l’avons déduit de l’universalité du baptême (§ 15)
: une faute que nous n’avons pas personnellement commise nous est
cependant imputée, et la corruption de la nature d’Adam,
qui a fauté, a également été propagée en chacun
de nous.
Pour cela, une même logique s’applique à notre
rapport au nouvel Adam, notre nouveau chef, Jésus-Christ : sa
justice nous est premièrement imputée avant que sa
sainteté ne découle en nous et nous change à son image, de gloire en
gloire (Romains 5,18).
Observation :
Saint Augustin témoignait de
ce merveilleux échange, en écrivant que l'holocauste
du Seigneur est d'une
certaine manière offert pour chaque homme en particulier au moment
où il est marqué de son nom en recevant le baptême (Explication
commencée de l’épître aux Romains, 19).
Mais
cet auteur avait raison de préciser que le sacrifice est alors
offert « d’une
certaine manière »
seulement, car il est certain que, tout comme nous ne sommes baptisés
qu’une seule fois, Christ aussi n’est mort qu’une seule fois,
après quoi il est ressuscité pour ne plus jamais traverser une
telle épreuve – tout comme nous ressortons de l’eau après y
avoir été ensevelis (cf. Romains 6,9).
21
Il
est certain qu’une telle Grâce n’est pas commune à tous les
hommes, car tous ne sont pas chrétiens. Il est vrai
aussi que cette Grâce n’est pas vécue par tous ceux qui portent
simplement le nom de chrétien, ou qui ont été
seulement baptisés. C’est parce que le baptême exprime et célèbre
l’Évangile, la Bonne Nouvelle et la promesse du
Salut en Jésus-Christ (Marc 16,16). Or, puisqu’il est une Bonne
Nouvelle et une promesse, l’Évangile
baptismal ne peut être reçu que par un moyen : celui de la
foi, ou la confiance dans le Christ des Écritures que
l’Esprit fait naître dans les cœurs, – par le moyen de cet
Évangile – où et quand Il veut.
La
dénomination romaine nie l’imputation salutaire de la
Justice du Christ autant que le moyen de cette
imputation – la foi seulement (sola fide). Elle mérite donc d’être
condamnée.
Observation
: Les romanistes ont
accusé les protestants d’enseigner un salut par la foi seule, au
sens d’une foi qui consisterait en un simple acquiescement de
l’intelligence à la doctrine de l’Évangile, mais qui pourrait
ne jamais produire de bonnes œuvres. Contre de telles calomnies,
nous rappelons que la foi est une confiance du cœur autant qu’une
connaissance, et que cette réception surnaturelle de la Personne et
de l’œuvre du Sauveur est nécessairement accompagnée, ou suivie,
de bonnes œuvres. La différence réside dans le fait que pour nous
qui protestons fidèlement l’Évangile, les œuvres que nous
produisons sont la conséquence
nécessaire, et non
pas la
cause ou la
condition nécessaire,
du Salut (cf. Éphésiens 2,10).
On
pourrait comparer ainsi l’œuvre du Salut : par la prédication
de l’Évangile, la colombe de l’Esprit saint descend dans les
branches de notre cœur et y tisse un nid, la foi, pour être
l’habitation du Fils de Dieu (Éphésiens 3,17). Le fait
que seul ce
nid soit le réceptacle et le lien avec le Sauveur ne signifie pas
que le nid soit ou reste vide, ou que son occupant, le Christ, n’y
produira rien. Voir en ce sens : Jean Calvin, Institution
de la religion chrétienne,
III, iii ; 1.
22
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE
Nous
avons dit que le propos du baptême, plus tacite au sujet de
l’économie du Salut qu’au sujet de la foi Trinitaire, pouvait
être appuyé par l’eucharistie, sœur du baptême (cf. §
6).
C’est donc ici le lieu de résumer ce que nous avons dit,
sous le jour du sacrement eucharistique (Matthieu 26,26-29 ;
Marc 14,22-25 ; Luc 22, 14-20 ; 1Corinthiens 11, 23-26).
A)
Dans ce repas sacré, le Fils de Dieu y donne « son corps »
et « son sang » comme aliment et breuvage des âmes –
témoignant qu’il s’est approprié la nature humaine en son
entier. Le corps, aussi bien que l’âme, avec leurs facultés et
leurs peines, étaient ceux de cette personne divine, à tel point
qu’il est écrit qu’il « croissait en sagesse, en stature, et en
grâce » (Luc 2,52), que sa raison humaine ne pouvait pas
découvrir le jour de la Parousie (Marc 13,32) et qu’il
revendiquait comme « sienne » la volonté humaine qu’il
avait assumée (Luc 22,42).
B)
Il témoigne également que ce corps est livré pour nous, et que ce
sang est celui « de l’Alliance », répandu pour « la
rémission des péchés ». Le Christ a donc bien agi comme
notre grand-prêtre, présentant pour nous un Sacrifice unique,
parfait et définitif.
Le
fait que nous soyons continuellement renvoyés à cet Évangile
(faites ceci en mémoire de moi) témoigne assurément du fait que
toute notre vie durant, nous n’avons pas d’autre assurance et de
fondement que celui-ci.
Le
fait que boire et manger n’ont en soi aucun effet salutaire (il
peut même en résulter la condamnation) suffit également à montrer que la foi
est ce qui reçoit, de façon profitable, ce qui nous est présenté
dans l’Évangile.
Enfin,
la résurrection corporelle du Christ, qui est un fait tout aussi
historique et accompli que sa Passion, est attestée par ces
éléments : que son corps et son sang nous vivifient (ce qu’ils
ne feraient pas s’ils étaient eux-mêmes morts) et que Christ nous
promet de manger et boire à nouveau avec nous dans son Royaume.
Commentaires