Annotations sur la Concorde de Wittenberg (3/9)






La sainte Cène



Le principe que l'on trouve au cœur de la Concorde peut être résumé ainsi: En dehors de l'usage pour lequel il a été institué, il n'y a pas de sacrement
Sans ce principe, toute la sacramentologie risquerait de tourner à la chosification superstitieuse du sacré, allant de l'eau bénite à l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement.
Mais une fois établi qu'en dehors du passage d'un être humain à travers les eaux baptismales et qu'en dehors de la réception (1) des éléments eucharistiques par les communiants, il n'y a ni baptême ni sainte Cène (mais seulement de l'eau, du pain et du vin ordinaires), tout risque de fétichisme s'évanouit. C'est alors aussi qu'on découvre combien ont vainement combattu certains théologiens, qui eurent le tort de passer la vérité (de la présence du Seigneur dans la Cène) sous un relatif silence pour mieux ''s'acharner à crier contre l'opinion superstitieuse et fantastique des papistes" (2).

Mentionnant st Irénée de Lyon, le premier paragraphe de la Concorde déclare : "(...) avec le pain et le vin, le corps et le sang du Christ sont réellement et substantiellement présents, offerts et reçus". Il y a donc, dans la Cène, ce que Luther appelait une union sacramentelle entre les signes et ce qu'ils représentent. Si Luther a toujours affirmé cette union en disant que le corps est présent avec, dans et sous le pain et le vin, la Concorde ne retient que le premier de ces trois termes, jugé suffisant pour caractériser l'orthodoxie.
Cette présence est celle du corps et du sang : dans la Cène, le Christ n'est donc pas seulement présent quant à son Esprit, quant à sa divinité ni quant à sa seule vertu (loin s'en faut qu'il ne soit présent que par et dans l'imagination des fidèles). C'est sa chair, dans laquelle il a accompli notre Salut, qu'il donne à présent à ses disciples comme nourriture de l'âme (Jean 6), ainsi que le soulignait Cyrille d'Alexandrie, dans sa troisième lettre à Nestorius : (...) étant la Vie par nature en tant que Dieu, étant devenu Un avec sa propre chair,  il a rendu celle-ci vivifiante.

Toutefois, si le corps est ainsi présent avec le pain, ou uni à lui, ce n'est ni pour l'amour, ni pour la gloire de ce pain, mais pour l'amour et le salut de celui qui mange. Cela nous renvoie au principe de l'usage du sacrement (3) sans lequel, comme il a été dit, il n'y a pas de sacrement - donc pas non plus de présence du Seigneur.
Le second paragraphe de la Concorde souligne ainsi qu'on ne doit pas imaginer le corps du Christ localement présent sur un autel, dans un ostensoir, etc., et qu'on ne doit certainement pas l'y adorer. Car le Christ, notre soleil de Justice, n'est sacramentellement présent avec le pain que pour briller en ceux qui consomment celui-ci (cf. 1Corinthiens 10. 16).
La transsubstantiation romaine est ici ouvertement écartée. Selon cette doctrine, dogmatisée lors du quatrième concile du Latran (en 1215), la substance du pain serait changée (par la parole du prêtre) en celle du corps du Christ, tout en conservant miraculeusement les accidents (ou apparences) du pain. Cette opinion tend à confondre plutôt qu'à unir le corps et le pain, là où l'orthodoxie prend soin de distinguer - sans pour autant les séparer - ces deux choses.
La Concorde réaffirme par conséquent la doctrine antique, que Gélase Ier, pape de Rome (entre 492 et 496) énonçait en ces termes :  Certainement, les sacrements du corps et du sang du Seigneur que nous prenons sont une chose divine, par lesquels aussi nous sommes faits participants de la nature divine. Et toutefois la substance ou nature du pain et du vin ne laissent point de demeurer. Et certes l'image et ressemblance du corps et du sang de Christ est célébrée en ce mystère (4).

Cette union sacramentelle (pain+corps) ne dépend certes que des Paroles pleines de vérité et d'efficace du Seigneur (cf. Psaume 33. 9). La cause de la présence du Seigneur, autant que cette présence, est donc objective.
Le troisième et dernier paragraphe affirme ainsi que, lorsque la Cène est célébrée dans l'Église, tous ceux qui s'y trouvent ont le vrai sacrement (c'est-à-dire: le signe et la chose signifiée).
Toutefois, ce n'est pas à dire que tous ceux qui "reçoivent" extérieurement le corps du Christ le "reçoivent" aussi intérieurement, ou que tous ceux qui mangent le pain sont également nourris du corps du Seigneur. La présence offerte à tous reste paradoxalement inaccessible à ceux qui n'ont pas la foi ; la foi qui reçoit au dedans le Christ, d'une façon ineffable, pour que l'homme, mis au bénéfice de Sa Justice, soit aussi changé en la même image que lui.
La présence objective du Christ dans la Cène ne doit donc pas amener à considérer le sacrement comme un aliment magique, opérant le salut indépendamment de la foi.

Pour résumer, loin de servir de fétiche, le sacrement manifeste et exprime combien le Christ est en nous (in nos), étant et venant pourtant du dehors de nous (extra nos), tant il est vrai qu'il n'est pas réductible à nous-mêmes, ou à une projection déifiée de nous-mêmes.  C'est que - comme le dit une célèbre formule de saint Augustin - le Seigneur est élevé plus haut que les cieux, et qu'il est pourtant aussi en nous, plus intime à nous-mêmes que le plus intime de nous-mêmes (5). Qu'il est bon, pour les saints, de savoir qu'ils sont membres du Christ, chair de sa chair et os de ses os ! (cf. Éphésiens 5. 30).
De là, nous croyons aussi que le Seigneur nous rend présents tous ses biens les plus précieux, en attendant le jour bienheureux de la Résurrection des morts.


A suivre...


Bucerian

____________________________


1. Réception, dans le cadre de la Cène (repas) a le sens de manducation.
2. Selon Jean Calvin, dans le Traité de la sainte Cène, chapitre 5.
3. La promesse "Ceci est mon corps" est liée à l'ordre "Mangez" et ne peut pas en être séparée, sans que soit violée l'autorité de la Parole de Dieu.
4. Gélase, De Duabus naturis in Christo; tract. III, c. 14; dans: A. Thiel, Epistolae Romanorum Pontificum, 1868, tome 1 :
Certe sacramenta, quae sumimus, corporis et sanguinis Christi divina res est, propter quod et per eadem divinae efficimur consortes naturae; et tamen esse non desinit substantia vel natura panis et vini. Et certe imago et similitudo corporis et sanguinis Christi in actione mysteriorum celebrantur.
5. St Augustin, Confessions, III. 6, 11.

Commentaires

Les 5 Solas a dit…
Bonjour, que pensez-vous donc de l'interdiction actuelle du gouvernement qui nous empêche de prendre la Sainte Cène ?
Je connais des chrétiens qui l'ont pris en petit groupe, mais il me semble que ce sacrement a été donné à l'église locale assemblée le Jour du Seigneur.
Qu'en pensez-vous ?
Merci
Bonjour Les 5 Solas, et merci pour votre question. Je pense que la réponse à votre question dépend d'un "juste milieu" à trouver entre deux nécessités : d'une part, mener une vie spirituelle la plus épanouie possible ; d'autre part, respecter le bon ordre et les autorités chargées de maintenir celui-ci.

Pour le rapport aux autorités civiles :

Certaines personnes sont d'avis que l'autorité de l’État se limite à lever les impôts, à faire la police, à rendre la justice et, éventuellement, à faire la guerre. Que l’État n'a donc pas à s'occuper des questions sanitaires - parce que, par exemple, Romains 13 ne mentionne pas une telle compétence.
Bien sûr, chacun a ses opinions et orientations politiques et la compréhension du rôle exact de l’État peut varier d'une personne à l'autre ; mais je pense qu'il n'est pas totalement déraisonnable d'inclure les questions sanitaires dans le rôle de l’État, dans la mesure où cela impacte l'ordre public, concerne la sécurité des corps et des biens, etc. choses dont l’État a bel et bien la garde.
Je pense donc que L’État est en droit, dans un cas de pandémie par exemple, d'exiger de se faire obéir en décrétant un confinement ; et que les chrétiens doivent obéir à cela, pour ne pas blesser leur conscience(que se passera-t-il si je sors malgré les ordres, que je contamine un ami, et qu'il meure ?) et aussi pour ne pas scandaliser les personnes autour d'eux (que se passera-t-il si l’Église, à cause de moi, est accusée d'être un groupe d'irresponsables qui répand des maladies mortelles dans la population?)
Dans un pays qui interdit en principe les réunions chrétiennes (Corée du Nord, Arabie Saoudite, etc.) la désobéissance est inévitable et juste, parce que l'interdit est fondé sur la prétention tyrannique de l’État d'être maître des âmes. Ce n'est heureusement pas le cas dan un pays tel que la France, si bien que la désobéissance ne me semble ni inévitable, ni, donc, juste.

Pour le rapport aux autorités ecclésiastiques :

Il est certain que la Cène est par excellence le sacrement de l'unité et qu'il convient qu'elle soit célébrée lorsque l’Église locale est solennellement réunie, le Jour du Seigneur. De ce point de vue, il n'est pas envisageable de célébrer chacun chez soi la Cène.
D'un autre côté, il peut arriver qu'il y ait, dans une seule et même ville, plusieurs Églises (je veux dire, à des adresses différentes) qui sont pourtant en pleine communion. Personne n'accusera de schisme ou de sectarisme ces fragmentations "logistiques". J'imagine que l'on pourrait argumenter en disant que dans la circonstance exceptionnelle du confinement, il est envisageable de déléguer (ou simplement reconnaître) à chaque groupe isolé un statut provisoire semblable à celui des Églises habituellement dispersées dans la ville, pour que la Parole y soit prêchée, la Cène célébrée, etc.
Cela ne me choquerait pas, mais j'imagine aussi que certaines Églises, l'idée serait peut-être mal vue. Dans ce dernier cas, pour ne pas scandaliser, je recommanderais aussi d'attendre la fin du confinement et de se consoler avec ces mots de saint Augustin: Pourquoi prépares-t-u tes dents et ton estomac ? Croix, et déjà, tu as mangé.

J'espère que ces quelques éléments vous ont été utiles - et dans le cas contraire, n'hésitez pas à me le faire savoir :)

En Christ.

Bucerian
Les 5 Solas a dit…
Merci pour votre réponse.
Je dois dire, pour être totalement transparent, que je publie des vidéos sur YT sous le pseudo "Sola Gratia" et que j'ai fait une vidéo sur le sujet du confinement.
Ma question était surtout pour avoir votre avis sur les gens qui pratiquent la Sainte Cène chez eux, car on m'a demandé de le faire et j'ai refusé.

Sur l'autre sujet, je suis d'accord avec vous que l'état a le droit de quarantaine (ou confinement) sur ses citoyens en cas de maladie contagieuse, car Dieu a donné ce rôle aux autorités en Israël en cas de lèpre, Lévitique 13. Par contre, selon ce passage, on ne confinait pas tous les habitants, mais uniquement les malades, ce qui semble logique, n'est-ce pas.
Ceci étant dit, de là à dire (comme certains chrétiens) que l'état a le droit de fermer les églises (tout en laissant ouverts les centres d'avortement) et d'arrêter tout chrétien qui essayerait de louer Dieu le dimanche à l'église, c'est franchir une étape que la bible ne franchit pas.
Il me semble qu'on aurait du mal à trouver dans la bible un passage qui donne aux autorités civiles le droit d'interdire aux chrétiens de se réunir.
Que l'état donne des conseils aux chrétiens, pourquoi pas. Mais la décision de se réunir ou pas doit rester dans les mains des autorités ecclésiastiques seules (pasteurs, anciens etc). Bibliquement, l'état n'a aucune autorité dans ce domaine.
Merci pour le travail indispensable que vous faites ici
Que le Seigneur vous bénisse.
Salut Sola !
Ça fait plaisir de vous lire, et j'espère que personne dans votre entourage n'a été touché par la maladie :)
D'une façon générale, je dois dire qu'il n'y a as qu'en période de covid que l'ouverture des centres d'avortement pose questions. Mais vous avez tout à fait raison de relever les étranges priorités qui ont été suivies durant cette période (et on pourrait aussi parler du traitement médiatique injuste à l'égard de l'assemblée de Mulhouse).
Que le Seigneur vous bénisse et merci à vous aussi pour vos travaux.

Bucerian

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