Explication de l'oraison dominicale (8)
Et ne nous induis point en tentation.
Encore une prière qui nous
révèle la tristesse de notre condition actuelle. Nous sommes environnés
de pièges. Point de paix, point de sûreté. Qui voudrait s'y livrer
agirait follement. Qui voudrait l'obtenir n'y réussirait point. Quand
tous nous mettrions les mains à l'œuvre, nous n'y changerions rien:
cette vie est et restera une vie de tentations. Aussi nous ne
disons pas : Ôte de nous la tentation, mais : ne nous y induis pas. En
d'autres termes : Nous savons, ô notre Dieu, que nous sommes
enveloppés de tentations, et que nous ne pouvons nous y soustraire; mais
nous te supplions, Père de miséricorde, de nous
aider à ne pas nous y plonger nous-mêmes, à ne pas y donner notre
assentiment, de peur qu'en succombant nous ne tombions sous le pouvoir
du mal. Car quiconque par sa volonté se rend complice
de la tentation, pèche et devient l'esclave du péché, selon l'expression
de saint Paul (Rom. VI, 16). C'est donc à juste titre que Job appelle
cette vie un temps de guerre et de perpétuels combats (Job VII, 1). Le
diable ne cesse de nous tendre des pièges et de décocher contre nous ses
redoutables traits, selon qu'il est écrit : Chers frères, soyez sobres et veillez; car le diable, votre adversaire, tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer (1
Pierre V, 8). C'est saint Pierre, notre fidèle évêque et bien-aimé
père, qui nous adresse cet avertissement. Il nous apprend que notre
ennemi, se multipliant lui-même, nous attaque non sur un seul point,
mais de tous les côtés, épiant l'endroit vulnérable, ici s'adressant à
nos sens, là s'en prenant aux affections de notre âme, suggérant à notre
cœur de mauvaises pensées, nous mettant sous les yeux des images
impures et des exemples pernicieux, faisant retentir à nos oreilles des
sons licencieux et des paroles impies, se servant de toutes les
créatures pour nous exciter tantôt à la colère, tantôt à la fornication,
à l'orgueil ou à l'avarice ; bref, mettant en usage toutes les
ressources de son esprit rusé et malicieux dans le but de nous amener à
faire sa volonté. Lorsqu'on se voit en proie à ces assauts, c'est vers
le ciel qu'il faut incontinent lever les yeux. Mon Dieu et mon Père,
faut-il dire, vois les dangers dont je suis assailli. Je me sens
entraîné vers le mal que j'abhorre, détourné du bien que je voudrais
faire. Aie pitié, ô bon Père, ne souffre pas que ma volonté fléchisse,
ne me laisse pas succomber ! Heureux celui qui manie cette arme à
propos ! Mais beaucoup
de chrétiens sont tentés sans qu'ils soupçonnent le péril, beaucoup le connaissent sans savoir comment se défendre.
Qu'est-ce que la tentation ?
Il y a deux espèces de tentations. D'abord la tentation de gauche.
J'appelle ainsi tout ce qui nous excite à la colère, à la haine, à
l'amertume, au chagrin et à l'impatience, comme la maladie, la pauvreté,
le déshonneur, tous les événements qui contrarient notre volonté,
dérangent nos plans, nous blessent dans nos affections, attirent le
mépris des autres sur nos vues, sur nos paroles et sur nos œuvres. Nous
sommes journellement exposés à de telles tentations, et Dieu nous les
envoie tantôt par l'organe du diable, et tantôt par les hommes.
Le sage n'en est point
étonné, il sait qu'il est ici-bas pour combattre, et sans perdre son
temps dans des plaintes stériles, il recourt sur-le-champ à la prière,
disant : O mon Père, tu as jugé à propos de me dispenser cette
épreuve, fais par ta grâce qu'elle ne soit pas un filet à mes pas, ni
une fosse devant moi ! Mais la plupart des hommes agissent follement dans ces circonstances ; il y en a qui disent : Sans toutes mes épreuves et avec une vie paisible, je serais
très pieux et plein de douceur; car je désire de tout mon cœur mener une
vie sainte et ils ne laissent de repos ni à Dieu, ni à ses saints,
qu'ils ne soient délivrés de leurs maux. A l'un, Dieu doit guérir la
jambe ; à l'autre, il doit donner des richesses ; à celui-ci, il doit faire
droit de ses griefs ; à tous, accomplir leur volonté et les mettre au
large. Pauvres chevaliers, qui craignent le cliquetis des armes et ne
savent ce que c'est que la guerre, qui veulent être couronnés sans
combattre, et qui à force de fuir les tentations de gauche, finissent
par tomber dans celles qui se trouvent à leur droite, et dont nous
parlerons tout à l'heure ! Cette lâcheté est indigne d'un soldat de
Christ. C'est la face, non le dos qu'on tourne à l'ennemi ; sortir
vainqueur de la bataille doit être notre but, non d'esquiver le combat,
nous souvenant, selon les termes de Job, que c'est un temps de guerre que
le temps limité à l'homme sur la terre. D'autres, sans essayer de
vaincre, ni même de fuir le combat, se rendent sans coup férir au
diable, le servent par leurs discours et par leurs œuvres, se livrent à
la colère, à la haine et à l'impatience, deviennent médisants,
calomniateurs, jureurs, ravisseurs, meurtriers, et se laissent entraîner
à tous les péchés. Ils succombent à la tentation sans que leur volonté y
oppose la moindre résistance. Le diable les tient dans ses chaînes, et
ils n'invoquent point Dieu. Pour nous, rappelons-nous que
Dieu lui-même nomme cette vie une vie d'épreuves, et qu'il c'est dans sa
volonté, parfaitement sage et toujours bonne, que nous ayons à souffrir
de l'injustice des hommes, que nous soyons affligés dans nos corps, et dans notre honneur.
Attendons-nous à cette lutte avec une joyeuse résignation, acceptons-la
avec courage. Quand le mal nous atteint, disons : Telle est la vie !
Qu'y veux-je faire? A moins de sortir du monde, je ne puis échapper aux
épreuves. Que le Seigneur m'accorde seulement la grâce de tenir ferme et
de ne point me laisser ébranler. En effet, l'homme, tant qu'il est
dans cette vie, ne peut se soustraire aux tentations ; mais il peut y
résister, mais il peut, au moyen de la prière et du secours de Dieu, en
sortir victorieusement. On lit dans un livre du vieux temps, qu'un jeune
cénobite demandait à être délivré de ses mauvaises pensées. Mon fils,
lui répondit un père à cheveux blancs, tu ne peux empêcher que les
oiseaux de l'air ne volent sur ta tête ; mais tu peux leur défendre d'y
construire leur nid. Nous ne pouvons faire disparaître les écueils de
la vie, mais avec l'aide de Dieu, nous pouvons nous en garantir.
La
seconde tentation est celle de droite, c'est-à-dire
tout ce qui nous excite à l'impureté, à la volupté, à l'orgueil, à
l'avarice, à la vanité, comme l'abondance des biens de ce monde, la
prospérité, le succès de nos entreprises, les éloges qu'on accorde à
nos paroles, à nos conseils, à nos actions, la bonne réputation dont
nous jouissons. Cette tentation, de beaucoup la plus dangereuse, est
celle dont on se défie le moins. Ce qui se passe aujourd'hui en est la
preuve. Tout le monde ne court plus qu'après la fortune, la gloire, les
plaisirs. Les jeunes gens en particulier ne savent plus ce que
c'est que de combattre les convoitises de la chair ; ils succombent sans
rougir, ils se laissent vaincre sans honte. Partout on n'entend que
fables et chansons qui parlent
du libertinage et de l'adultère comme de choses bonnes et belles.
Voilà les effets de la colère de Dieu, qui nous induit ainsi en
tentation parce que personne ne l'invoque. Je sais qu'il est difficile
à un jeune homme de résister à la tentation, lorsque le diable,
soufflant dans ses veines une passion impure, faisant pénétrer le feu de
la convoitise dans sa moelle, dans ses chairs et dans chacun de ses
membres, présente en même temps à ses yeux des objets propres à le
séduire, et, par le luxe des habits, par d’enivrants propos, par des
danses voluptueuses, par des gestes lascifs, fascine ses sens et
étourdit sa conscience. Toutefois ce qui est impossible à l'homme n'est
pas impossible à Dieu, et l'on triomphe des plus redoutables épreuves,
lorsque l'on s'habitue à chercher immédiatement sa face, pour le prier
en toute humilité : O notre Père, ne nous induis point en tentation. C'est
ainsi qu'on échappe aux pièges de la volupté, c'est ainsi qu'on résiste
aux suggestions de l'orgueil, c'est ainsi qu'on surmonte tous les
périls. Qu'on nous comble d'honneurs, qu'on nous adresse les plus
flatteurs éloges, que tous les biens du monde nous échoient, si nous prions, nous serons invulnérables.
On pourrait demander pourquoi Dieu permet que les hommes soient tentés? Je dirai qu'il le permet dans un double but. Il veut que nous sachions qui nous sommes, et qui Il est. Il veut que nous nous convainquions qu'abandonnés à nous-mêmes nous ne pouvons que pécher et mal faire. Il veut que
nous connaissions que sa grâce, et elle seule, est plus puissante que
toutes les créatures. Nous devons apprendre à la fois à nous humilier
de notre misère et à le louer de sa miséricorde. Il s'est trouvé des
hommes qui, pour résister à l'impureté, ont appelé à leur aide le jeûne,
les mortifications, le travail. Ils ont brisé leur corps, mais non leur
convoitise. La rosée de la grâce divine a seule le pouvoir d'éteindre
nos passions. C'est cette grâce qu'il nous faut implorer, sans toutefois
négliger le jeûne, ni le travail, ni la vigilance. Quand Dieu nous a remis nos dettes, il faut qu'avec un soin extrême nous nous gardions de
retomber dans le péché. Comme dans l'océan de ce monde, il y a des animaux sans nombre (Ps. CIV, 25), c'est-à-dire des écueils et des
occasions de chutes qui sans cesse nous mettent en danger, il est
nécessaire que sans cesse aussi nous criions dans notre cœur : « O notre
Père, ne nous induis point en tentation. Je ne demande pas d'être
soustrait à toute épreuve; je reconnais au contraire que les épreuves me
sont nécessaires et que dix tentations, même de celles de droite, me seraient moins funestes qu'une trêve absolue. Mais je te supplie en grâce, ne me laisse point tomber, ne permets pas que je pèche contre toi ou contre mon prochain. Saint Jacques nous dit : Mes frères, regardez comme un sujet d'une parfaite joie quand vous serez exposés à diverses épreuves (Jacq. I, 12). Pourquoi? Parce qu'elles procurent un utile exercice à notre foi, nous perfectionnent dans la patience et dans l'humilité et nous rendent agréables à notre Père céleste. Plut à Dieu que tout le monde se pénétrât de cette vérité !
Mais la plupart des hommes ne cherchent plus aujourd'hui que repos, paix, mollesse, vie tranquille et pleine de délices. Aussi le règne de l'Antichrist approche, si toutefois il n'est déjà arrivé.
Mais la plupart des hommes ne cherchent plus aujourd'hui que repos, paix, mollesse, vie tranquille et pleine de délices. Aussi le règne de l'Antichrist approche, si toutefois il n'est déjà arrivé.
A suivre...
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