Annotation Credo # 46







L'attente : dans la présence du Ressuscité
(l'Eucharistie)


Notre foi regarde à Jésus-Christ, Dieu fait homme, qui est mort et ressuscité pour notre Salut, une fois pour toutes, sous Ponce-Pilate; dans l'espérance, elle attend aussi des cieux ce même Seigneur, qui doit revenir, au dernier jour, pour juger les vivants et les morts. Pourtant, dans l’intervalle, les disciples jouissent toujours de la présence vivifiante du Ressuscité, avec tous ses biens: Voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde (Matthieu 28 : 20).

Le sacrement eucharistique embrasse et récapitule tout cela :
témoin de l'Incarnation - au mystère de laquelle il nous initie (1) ;
mémorial de la Passion - et donc proclamation du Pardon des péchés ;
préfiguration (pour ne pas dire : anticipation) du banquet céleste à venir ;
la manducation des éléments eucharistiques témoigne du fait que TOUT cela est à nous et pour nous, pour autant que, par la foi qui le reçoit, nous sommes incorporés au Christ.
Jean Calvin souligne ce point avec beaucoup de pertinence: " (...) tant que nous sommes hors de Christ (Eph. 4 : 15) et séparés de lui, tout ce qu'il a fait ou souffert pour le salut du genre humain nous est inutile et de nulle importance. Il faut donc, pour nous communiquer les biens dont le Père l'a enrichi  et rempli, qu'il soit fait nôtre et habite en nous " (Institution Chrétienne, III, I, 1).

Bien que l'eucharistie ne soit pas nommée dans le Credo, il convient donc d'en traiter en ce lieu. 
Ceci se justifie d'autant plus que le baptême est, quant à lui, mentionné dans cette confession de l’Église ; or, l'Eucharistie, ou Sainte-Cène du Seigneur, est de même nature que le baptême (cf. 1 Corinthiens 10 : 1-4) et sert, non moins que lui (cf. Éphésiens 4 : 5), à nourrir l'unité de l’Église (1Corinthiens 10 : 16-17). C'est d'ailleurs pour cela que les conciles universellement reçus, dans leurs annexes au Credo, ont évoqué et/ou développé cet article, comme on le voit dans la troisième lettre de Cyrille à Nestorius et dans les Douze anathématismes (concile d’Éphèse), dans le Tome de Léon à Flavien (concile de Chalcédoine) ou encore dans la Confession d'Augsbourg que commente la Concorde de Wittenberg.




Prenez, mangez, ceci est mon corps
(Matthieu 26. 26)
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Malheureusement, le protestantisme a connu, depuis le milieu des années 1520, un ravivement des anciennes querelles eucharistiques (qui avaient opposé Paschase Radbert à Ratramne de Corbie, au IXe siècle).

Apparemment soucieux de neutraliser les affreux abus de la papauté (2) -- principalement: l'adoration eucharistique -- certains théologiens ont cru devoir interpréter les paroles d'institution du sacrement de façon purement allégorique (le réformateur Ulrich Zwingli comprenant : ceci représente mon corps). 

A cela, les autres ont fait remarquer, à juste titre, que la manducation d'un symbole du corps ne mettrait jamais personne en communication avec le corps même - comme le veulent pourtant les Écritures (cf. 1 Corinthiens 10 : 16-17). Que, donc, s'il convenait d'écarter la doctrine romaine de la transsubstantiation (3) et de comprendre les paroles d'institution comme une synecdoque (le tout : pain/corps étant désigné du nom de la partie : le corps), la réduction au pur et simple symbolisme était, quant à elle, inenvisageable.

S'il est certain que les théologiens "zwingliens" sont allés trop loin (ils ont "jeté le bébé avec l'eau du bain", en appuyant parfois leurs thèses avec un rationalisme irrecevable), il n'en reste pas moins que la présence du Seigneur dans la Cène doit être soutenue de manière telle qu'elle ne soit pas le prétexte à une chosification superstitieuse, que l'on a condamné (et que l'on continue de condamner) comme contraire au sens des Écritures.

Ainsi : la présence manifestée et célébrée dans la Cène n'est pas uniquement celle de la nature divine du Christ, mais du Christ tout entier, vrai Dieu et vrai homme, ainsi que le souligne le partage du corps et du sang.
Néanmoins, depuis l'Ascension, il n'y a aucune présence terrestre du Christ telle qu'elle permettrait (par exemple) de verser sur lui du parfum (cf. Marc 14. 3-7) ou (ce qui en revient exactement au même) de revêtir son corps d'une parure dorée (un ostensoir); bref, le Seigneur n'est point corporellement présent vis-à-vis ou à côté des fidèles tel un n-ième paroissien ou un objet localisé dans un endroit de l'église. En dehors du plus haut des cieux, la présence corporelle et rémanente du Ressuscité est donc en ses fidèles (plus intime à eux-mêmes que le plus intime d'eux-mêmes !) quoique les effets de la présence du Seigneur en la Cène se fassent également sentir, pour leur jugement, sur les incrédules qui osent s'approcher de la Table sacrée (cf. 1 Corinthiens 11 : 29).

La présence dans la Cène est donc objective : elle dépend de la seule véracité et efficacité des Paroles du Christ ; néanmoins, ce n'est pas une présence chosifiée, constituant un totem : elle n'a lieu qu'en la personne de ceux qui participent à la Cène (et ne profite qu'à ceux qui y participent dignement, c'est-à-dire : par la foi qui saisit le Christ présent), suivant le principe énoncé dans la Concorde de Wittenberg : " Hors de l'usage du sacrement, il n'y a pas de sacrement ". Or, l'usage du repas eucharistique consiste dans la manducation.
Dans ses Lieux communs de théologie (édition de 1535), Philippe Melanchthon essayait déjà pareillement de souligner ce rapport étroit et nécessaire entre la présence eucharistique et la personne des communiants, en employant cette jolie formule : " Dans le pain et le vin... Christ est en nous et nous sommes en Christ " (4).

Cette approche du sacrement, consistant à en parler non pas pour lui-même mais pour nous, constitue sans doute la perspective la plus idoine à écarter les scandales et à éteindre les querelles entre hommes de bonne volonté. Elle permet aussi de garder TOUTE la force de la présence dite "réelle" sans RIEN concéder aux pratiques païennes de Rome.




Conséquences


Outre que les croyants reçoivent la présence du Christ pour leur salut, étant unis à lui et trouvant dans la Cène le témoignage que les bénéfices du Christ leur sont appliqués, la Cène exprime, par la manducation du pain alors uni au corps du Seigneur, que le Seigneur est en nous, sans être nous (5). Or ce qui est vrai pour soi vaut pour le frère que la charité nous oblige à considérer comme un authentique chrétien : le Christ sera donc aimé et servi ici-bas dans les frères (et non dans l'ostensoir!), sachant qu'en raison de cette union sacrée et ineffable entre Christ et son Église, ce qui est fait aux membres de cette dernière (le corps mystique du Christ) est fait au premier - pour le meilleur comme pour le pire (Matthieu 10: 42 / 18: 5/ 25: 40/ Actes 9: 4-5, etc.)


Bucerian





_______________

(1) Tout comme le baptême nous initie à la foi Trinitaire.

(2) C'est en tout cas ce qu'avance Calvin pour présenter les intentions de Zwingli et ses collègues, dans son Traité de la Sainte-Cène

(3) Le dogme catholique romain de la transsubstantiation, défini en 1215 au 4e concile de Latran, puis réaffirmé au concile de Trente, affirme que: (...) par la consécration du pain et du vin se fait un changement de toute la substance du pain en la substance du corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son sang (Denzinger § 1642). Restent donc seulement des accidents, ou apparences, de pain et de vin. Cette idée selon laquelle la substance du pain serait convertie en celle du corps n'est pas autre chose que la transposition eucharistique de l'hérésie monophysite (Eutychès enseignait que, dans l'Incarnation, la nature humaine du Christ avait été changée en la nature divine, de sorte que le Christ n'avait d'humain que l'apparence). Contre cette erreur, Gélase Ier, pape de Rome (entre 492 et 496) écrivait ceci: Certe sacramenta, quae sumimus, corporis et sanguinis Christi divina res est, propter quod et per eadem divinae efficimur consortes naturae; et tamen esse non desinit substantia vel natura panis et vini. Et certe imago et similitudo corporis et sanguinis Christi in actione mysteriorum celebrantur.
Ce qui veut dire: Certainement, les sacrements du corps et du sang du Seigneur que nous prenons sont une chose divine, par lesquels aussi nous sommes faits participants de la nature divine. Et toutefois la substance ou nature du pain et du vin ne laissent point de demeurer. Et certes l'image et ressemblance du corps et du sang de Christ est célébrée en ce mystère.
(Gelase, De Duabus naturis in Christo; tract. III, c. 14; dans: A. Thiel, Epistolae Romanorum Pontificum, 1868, tome 1). Le dogme de la transsubstantiation, qui confond le pain et le corps, ne saurait donc être retenu.


(4) Philippi Melanchthonis, Opera Quae supersunt omnia; Corpus Reformatorum, 21 : 479.

(5) On sait qu'au contraire, dans le mysticisme populaire, l'âme exaltée finit généralement par s'identifier avec Dieu...

Commentaires

Anonyme a dit…
En un mot comme en cent, la présence réelle eucharistique est un miracle éphémère, n'ayant lieu que lors de la manducation sacramentelle. Or, compte tenu de son caractère éphémère, il est impossible d'en élaborer une théorie: consubstantation, transsubstantiation, symbolisme, subjectivisme etc...

Laissons, donc, le miracle être ce qu'il est: un prodige divin INEXPLICABLE!
Certes, ceux qui ont tenté de l'expliquer s'y sont généralement cassé les dents, c'est le cas de le dire ^^
D'où la nécessité simplement de baliser (plutôt que de tenter d'épuiser) le mystère par nos paroles: d'une part, rappeler la présence objective et, d'autre part, son lien exclusif avec la manducation.

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