Qui sont les sacramentaires?




Les disputes relatives aux sacrements ont troublé le XVIe siècle et profondément marqué le visage du protestantisme.
Si ces questions peuvent sembler dépassées, il serait erroné de les ignorer, ou négliger. Pourtant, il est également certain qu'on ne saurait traiter un tel sujet sans charité et en exagérant les positions des uns et des autres, ou en complexifiant les questions au point où seuls quelques experts comprennent (ou croient comprendre) leurs positions.
Dans cet article, mon propos sera donc d'identifier la doctrine légitimement condamnée dans l'article 10 de la Confession d'Augsbourg (I) et de repousser l'interprétation extrême que certains ont voulu en donner (II). 

I. La doctrine contraire

La Confession d'Augsbourg (CA), donc, après avoir présenté la doctrine eucharistique selon laquelle le vrai corps et le vrai sang du Christ sont véritablement présents dans la Cène, "rejette (...) la doctrine contraire" ("ceux qui enseignement autrement", selon la version latine).
Quelle est donc cette "doctrine contraire"?
Pour le savoir, il suffit de lire l'Apologie de la confession (article XXIV), rédigée par Melanchthon, en 1531:
Certains hommes ingénieux imaginent que la Cène du Seigneur a été instituée pour deux raisons. Premièrement, pour qu'il y ait une marque distinctive et un témoignage de la profession de foi; tout comme une forme déterminée de cuculle est le signe d'un ordre défini. En second lieu, ils pensent surtout qu'une marque distinctive, à savoir un repas, a plu au Christ pour exprimer une union et une amitié mutuelles entre chrétiens, puisque les repas pris en commun sont des signe d'alliance et d'amitié. C'est là, cependant, une pensée séculière (...)
Ceci est confirmé même dans le Livre de Concorde (Solida Declaratio, VII):
Au début de cette controverse, ils prétendaient que la sainte Cène est seulement un signe externe auquel on reconnaît les chrétiens et que dans ce sacrement ne sont offerts que du pain et du vin, purs symboles du corps et du sang absents du Christ.
Il s'agit donc, dans la CA, de condamner la doctrine qui postule (selon une mauvaise exégèse de Jean 6: 63) que la communication à chair du Christ est inutile; que, donc, seul son Esprit est présent lors de la Cène qui est simplement un repas commémoratif et symbolique.
Cette doctrine (zwinglienne) est condamnée à juste titre, car elle méconnaît la richesse du sacrement (en le réduisant à une dimension tout à fait profane) et ignore la nature de l'union sacrée entre Christ et les croyants.

II. Qui professe cette doctrine?

Il est clair que la doctrine "zwinglienne" est généralement partagée, de nos jours, par (presque) toutes les Églises "évangéliques", où un certain spiritualisme bannit toute cérémonie jugée "magique". Baptême et Cène ne peuvent dès lors être que des symboles, l'expression de la foi du professant et un signe de reconnaissance.
Mais qu'en est-il de la tradition Réformée?
L’ambiguïté de certains théologiens pourrait compliquer la question. Aussi faut-il en rester à la doctrine classique, telle que présentée, par exemple, dans la Confession de La Rochelle (article 36).

Contrairement à la doctrine "zwinglienne", qui vide les sacrements de leur substance, cette doctrine affirme l'union du signe et de la chose signifiée, tout en soulignant leur nécessaire distinction: (...) combien qu'en tant qu'ils sont signes, il les faille distinguer d'avec les choses qu'ils représentent, toutefois, qu'on ne les en doit séparer (...), écrit Calvin [Calvin, Œuvres, Gallimard / La Pléiade, 2009]. 
Ce faisant, il est évident que la doctrine Réformée n'est fautive d'aucune erreur visée à l'article 10 de la CA et il est exagéré d'appliquer la condamnation de cet article à une telle tradition théologique.
Calvin ne s'y trompait pas, lorsqu'il rappelait que Luther avait eu pour but d'empêcher que les sacrements  fussent seulement tenus pour signes extérieurs qui servissent à faire confession de notre foi devant les hommes et qu'il combattait pour que les sacrements ne fussent point réputés semblables à des figures vaines et vides (ibid. p. 957).


Conclusion 

Face aux dérives "zwingliennes", la doctrine Réformée s'accorde à la CA pour affirmer que:
1) La présence du Christ dans la célébration eucharistique est un fait objectif. Elle ne dépend ni de la foi de l'officiant, ni de celle du récipiendaire.
2) La communication à la chair du Christ n'est ni imaginaire, ni idéelle, mais aussi véritable que mystérieuse.
3) Ce mystère, bien que réel, reste céleste: il s'accomplit de façon spirituelle. Ce faisant, il n'a rien de commun ni avec le cannibalisme pratiqué dans certaines peuplades, ni avec l'épisode pareillement nauséabond de la vie du faux prophète où, lors de la bataille de Uhud un certain Abû 'Ubayda se mit à sucer et avaler le sang de Mahomet (qui avait été blessé à la joue) en recevant cette bénédiction du prévaricateur, qui déclara: "celui dont le sang a été mêlé au mien ne peut plus être atteint par les flammes" (sic) [Mahmoud Hussein, Al Sîra, tome 2, part. 4, chap. 2].

Ces points fondamentaux ayant été établis et acceptés, les nuances ne sauraient être une cause de troubles, mais plutôt, une source de discussions paisibles, ainsi que l'a admit Luther lorsqu'il a classé la question eucharistique dans la troisième partie de ses Articles de Smalkalde, consacrée aux articles dont on peut débattre entre hommes savants et raisonnables.

Bucer



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