Jésus le Messie et l’Église : Versus Israël?
Nous vous proposons aujurd'hui un article de Donald Cobb, paru dans la Revue Réformée N° 233 2005/3 - juin 2005 Tome LVI.
Jésus le Messie et l’Église : Versus Israël?
Donald COBB*
Depuis
la Seconde Guerre mondiale surtout, la question des rapports entre
Israël et l’Eglise se pose d’une manière renouvelée et suscite de
multiples réponses. On peut songer au dispensationalisme, que rejoint
une partie non négligeable des évangéliques, et pour lequel on aurait à
distinguer entre l’Eglise, une « parenthèse » dans l’histoire, et
Israël, le vrai peuple de Dieu. Pour d’autres, il s’agirait de
reconnaître l’existence de deux peuples de Dieu, bénéficiaires l’un et l’autre des promesses et de l’alliance1.
Dans une perspective qui se veut conciliante, on parle même, depuis
quelques années, de deux voies parallèles du salut, l’une pour les
nations, en Christ, l’autre pour les juifs, dans la fidélité à la Tôra.
Posons
une question qui peut orienter notre réflexion: est-ce donner dans
l’antisémitisme que d’affirmer, comme l’Eglise l’a toujours fait,
qu’elle est verus Israel, l’« Israël véritable »? C’est là, par exemple, ce qu’insinuent les réalisateurs de la série documentaire récente, L’origine du christianisme2.
Avouons,
tout de suite, que l’emploi du titre, au cours de l’histoire, a pu
fournir un alibi aux sentiments antijuifs, voire à l’antisémitisme.
Cependant, on ne peut pas répondre à cette question avant d’en avoir
réglé une autre: l’Eglise est-elle fondée, bibliquement, à se décrire
ainsi? Vu le spectre de l’antisémitisme et les conséquences que cela
peut entraîner dans le domaine du témoignage – à commencer par le
témoignage auprès des juifs -, il ne peut qu’être bénéfique de revisiter
ce sujet épineux et de nous demander: si l’Eglise peut prétendre,
aujourd’hui encore, au statut du véritable Israël, dans quelle mesure – et surtout dans quelle attitude – doit-elle le faire?
I. Jésus et Israël
Deux
épisodes dans la vie de Jésus offrent des pistes importantes pour notre
réflexion: le baptême dans les eaux du Jourdain et la tentation dans le
désert. Ces événements sont significatifs car, situés au début du
ministère de Jésus, ils tiennent une place déterminante pour la suite.
A) Le baptême de Jésus, une confirmation de l’identité du Fils
a) La déclaration du Père
D’après
les évangiles synoptiques, un des éléments les plus marquants du baptême
de Jésus est la voix du Père qui s’y fait entendre et qui donne au
baptême tout son sens: « Tu es mon Fils bien-aimé, objet de mon
affection. » (Mc 1.11) Comme l’ont remarqué plusieurs commentateurs,
cette déclaration situe Jésus très fermement sur le sol de l’histoire
d’Israël, puisque l’on n’y discerne pas moins de trois allusions claires
à l’Ancien Testament.
Il y a, tout d’abord, la référence au Psaume 2.7-8: « Je publierai le décret de l’Eternel; il m’a dit: Tu es mon fils!
C’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi et je te donnerai
les nations pour héritage, et pour possession les extrémités de la
terre. » Dans ce Psaume d’intronisation, YHWH lui-même appelle le roi
son « Fils » et lui ouvre des perspectives d’une domination universelle.
D’après le verset 2, ce descendant de David n’est autre que le Messie
(« son oint », meshîchô de mashîach), et si le
titre n’avait pas toujours, à l’époque de l’Ancien Testament, une
connotation proprement messianique, c’est en tout cas ainsi que ce
Psaume était compris au Ier siècle de notre ère3.
Pour Jésus, de tels mots ne pouvaient guère être entendus autrement que
comme une confirmation forte de son identité et de sa vocation royales4.
On peut relever une deuxième allusion, relative au sacrifice d’Isaac (appelé dans la tradition juive ‘Aqéda, « ligature »). En Genèse 22.1-2, Dieu s’adresse à Abraham: « Prends ton fils, ton unique,
celui que tu aimes, Isaac; va-t’en dans le pays de Moriya et là,
offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je t’indiquerai. »
(V. 2) Le judaïsme de l’époque considérait Isaac comme l’« archétype »
du fils obéissant qui se sacrifie par soumission à son père5.
On peut noter que la version grecque de l’Ancien Testament (la LXX) a
traduit l’expression « ton fils, ton unique » par « ton fils bien-aimé »6 – ce qui nous met dans une très grande proximité du baptême de Jésus7.
Si celui-ci s’est trouvé confirmé, lors de son baptême, comme le
véritable descendant de David, il a dû s’y voir aussi comme le vrai fils
d’Abraham… destiné, par conséquent, à se livrer en sacrifice par
obéissance au Père céleste.
Mais
le baptême de Jésus renferme une troisième allusion, pointant vers
Esaïe 42.1: « Voici mon serviteur, auquel je tiens fermement, mon élu, en qui mon âme prend plaisir.
J’ai mis mon Esprit sur lui; il révélera le droit aux nations. »
Relevons, dans ce passage, non seulement la présentation du Serviteur,
objet du bon plaisir de Dieu, mais encore le don de l’Esprit qui assure
la réussite de sa mission. Or, Jésus, en entendant ces paroles et en
voyant l’Esprit descendre sur lui (Mc 1.10), n’a pu manquer de faire le
lien avec le Serviteur promis: sa mission devait le conduire dans la
voie de la souffrance, pour porter le péché de beaucoup (Es 53.12)8.
Dans
cette phrase concise, Jésus a donc reçu la confirmation de son identité
de « Fils », c’est-à-dire de Messie, de vrai descendant d’Abraham et de
Serviteur de YHWH, celui qui devait instaurer le règne du Père. En
réalité, toute l’histoire du peuple de Dieu – les patriarches, la
royauté et l’exil – est contenue dans ces paroles! Jésus a dû se savoir
appelé, par conséquent, à reprendre dans son ministère l’histoire et la
vocation d’Israël. Mais la voix divine a également révélé ce qu’il
ressentait sans doute déjà, mais qu’il n’avait peut-être pas vu de façon
claire jusque-là: le chemin qu’il devait emprunter pour que ce règne
devienne réalité était celui du sacrifice, des souffrances et de la
mort.
b) Israël et le Serviteur de YHWH
En
désignant Jésus comme « Fils de Dieu », la déclaration du baptême le
révèle comme celui qui récapitule et porte à son accomplissement
l’histoire du peuple de Dieu. Mais il est possible d’aller plus loin, en
faisant un « gros plan » sur la dernière de ces trois allusions, au ‘èbèd YHWH,
le « Serviteur du Seigneur ». Ce n’est pas là un choix arbitraire, car
Jésus a compris sa messianité avant tout dans la perspective du
Serviteur souffrant. Ce dernier, plus que tout autre personnage de
l’Ancien Testament, a fourni le « prototype » de son ministère9.
Esaïe 40-55 met en avant
plusieurs personnages au service de YHWH. Ainsi, Cyrus, le conquérant
perse, est présenté comme le « Messie », l’oint du Seigneur (45:1),
choisi pour ramener Israël dans son pays10.
Dieu suscite ce « Messie », qui accomplit sa volonté sans même le
connaître; mais il le fait en faveur d’un autre « personnage », son
Serviteur (45.4), désigné à plusieurs reprises comme Israël:
« Mais toi, Israël, mon serviteur, Jacob, que j’ai choisi, descendance d’Abraham, mon ami! Toi, que j’ai saisi des extrémités de la terre et que j’ai appelé de ses confins, à qui j’ai dit: Tu es mon serviteur, je te choisis et ne te rejette pas!
Sois sans crainte, car je suis avec toi; n’ouvre pas des yeux inquiets,
car je suis ton Dieu; je te fortifie, je viens à ton secours, je te
soutiens de ma droite victorieuse. » (41.8-10)
Clairement, le Serviteur,
c’est Israël. Cependant, une ambiguïté croissante se devine au fil des
chapitres: si YHWH insiste sur l’aveuglement et l’infidélité d’Israël,
l’annonce d’un Serviteur obéissant et triomphant se fait aussi entendre,
d’un Serviteur qui ne sera pas moins que « l’alliance du peuple et la
lumière des nations » (41.6)11;
il imposera la justice (vv. 1, 2, 6) et opérera la libération des
exilés (v. 7). Cette ambiguïté se fait ressentir de façon quasi palpable
au chapitre 49, où le Serviteur, désigné explicitement comme Israël
(49.3), affirme que Dieu l’a formé « (…) dès le sein maternel pour
ramener à lui Jacob, pour qu’Israël soit assemblé auprès de lui » (v.
5). Si le Serviteur est Israël, Dieu l’a pourtant suscité pour ramener Israël à sa mission originelle!
Au verset suivant, ce « dédoublement » surprenant s’inscrit même dans
la perspective d’un salut universel: « Il dit: C’est peu de chose que tu
sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob et pour ramener les
restes d’Israël: je t’établis pour être la lumière des nations, pour
que mon salut soit manifesté jusqu’aux extrémités de la terre. » (V. 6)
De la sorte, cet « Israël » se voit chargé de rétablir les restes
dispersés du peuple et d’instaurer la délivrance de YHWH parmi les
païens.
La
manière dont ce salut se concrétisera s’éclaire aux chapitres 52-53: ce
sera par le rejet et les souffrances du Serviteur (53.3-4). C’est par
« ses meurtrissures » que s’opérera la guérison (v. 5). Comme dit le
verset 8, il sera « retranché de la terre des vivants (…) à cause des
crimes de mon peuple ». Cette mort, décrite comme « un sacrifice de culpabilité » (v. 10) pour « porter le péché des nombreux » (v. 12)12,
aura un prolongement glorieux: « Il verra une descendance et prolongera
ses jours (…) » C’est pourquoi « il partagera le butin avec les
puissants » (vv. 10, 12).
Qui est
ce Serviteur? Si la description fait penser, par moments, à certains
personnages clefs de l’Ancien Testament (une sorte de Moïse ou de David redivivus), rien dans le texte lui-même ne nous permet de répondre précisément. Une chose pourtant paraît claire: le ‘èbèd YHWH reprend la vocation d’Israël et la conduit à son achèvement. Il est Israël en ce sens où, en lui et par lui, ce que le peuple de Dieu aurait dû toujours être devient réalité. Par ses souffrances et sa mort, le Serviteur obéissant prend la place d’un Israël infidèle et en réalise la destinée.
B) La tentation de Jésus: Israël dans le désert
Si
Jésus, dans les eaux du Jourdain, s’est vu comme le Serviteur d’Esaïe,
il a dû se comprendre, subitement, comme celui que Dieu désignait pour
reprendre l’histoire et la vocation d’Israël… ainsi que le châtiment qui
pesait sur ce dernier, afin d’opérer un « retour », une conversion au
Dieu de l’alliance.
Il
est donc des plus significatifs qu’après la « traversée de l’eau »,
Jésus soit allé « dans le désert pour être tenté par le diable » (Mt
4.1). Les récits de tentation révèlent entre eux une certaine diversité
dans la présentation. Deux éléments sont pourtant constants:
premièrement, c’est en réponse à son baptême que Jésus est parti dans le désert et, deuxièmement, il y a séjourné quarante jours.
Ce chiffre fait penser d’emblée aux quarante années qu’Israël a passées
dans le désert après avoir traversé la mer, et le dialogue entre Jésus
et Satan confirme le rapprochement.
La
tentation du désert consiste pour Jésus en l’incitation à vivre son
statut de Fils sans les souffrances inhérentes à sa tâche messianique.
Ainsi, dans la troisième parole du tentateur, il lui est proposé « tous
les royaumes du monde et leur gloire » (Mt 4.8) – c’est-à-dire
l’héritage promis au « Fils » du Psaume 2 – contre une allégeance
« facile », qui contournerait l’épreuve13. A chaque reprise, Jésus répond en citant le livre du Deutéronome. Cela n’a rien d’un hasard, car le Deutéronome est le livre de l’alliance renouvelée entre Dieu et son peuple, au bout des quarante ans dans le désert.
La première réponse/citation – « l’homme ne vivra pas de pain
seulement » – est particulièrement instructive en raison de son contexte
originel:
« Tu te souviendras de tout le chemin que le Seigneur, ton Dieu, t’a fait parcourir pendant ces quarante années dans le désert14, afin de t’affliger et de te mettre à l’épreuve15, pour savoir ce qu’il y avait dans ton cœur, pour voir si tu observerais ou non ses commandements. Il t’a donc affligé, il t’a fait souffrir de la faim et il t’a nourri de la manne16que
tu ne connaissais pas et que tes pères n’avaient pas connue, afin de
t’apprendre que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais que l’homme
vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur (…). Sache donc bien
que le Seigneur, ton Dieu, t’instruit comme un homme instruit son fils. » (Dt 8.2-5, NBS)
Face à une messianité qui ne
passerait pas par l’humiliation, Jésus affiche sa résolution d’aller au
bout de l’obéissance de fils qui lui est proposée. Or, cette obéissance
est celle à laquelle Israël avait été appelé dès le début de son
existence, mais qu’il n’avait jamais réellement produite. La tentation
dans le désert met donc en relief deux sortes de messianité: la
première, une messianité « de gloire », impliquant sans doute des moyens
militaires17
et ne détonnant en rien avec les attentes de l’époque; la deuxième, une
messianité d’humilité, où le Fils reprend la vocation dévoyée d’Israël,
le « Fils premier-né de YHWH » (Ex 4.22) et, comme le Serviteur
souffrant, l’accomplit dans sa propre personne, endosse le jugement
suspendu au-dessus de la nation et ouvre ainsi un nouvel avenir au
peuple de Dieu.
C’est cette deuxième
conception que Jésus de Nazareth a choisie. La vie et, tout autant, la
mort de Jésus s’inscrivent dans la conscience d’être le nouvel Israël,
l’Israël véritable. Jésus est celui qui, par tout son être, récapitule
et accomplit l’histoire et la mission du peuple de Dieu. Pour le dire
autrement, Jésus – à la différence de l’Israël de l’époque – est le
partenaire fidèle de l’alliance avec Dieu, celui qui vit dans la
soumission parfaite au Père18.
C) Quelques confirmations bibliques
Les passages que nous venons
de regarder sont, à mon sens, explicites. Il en existe pourtant
d’autres, plus discrets, mais qui prennent une connotation particulière
lorsqu’on les replace dans la perspective de la vocation d’Israël, que
Jésus reprend et conduit à sa plénitude. Nous pouvons laisser de côté
les nombreuses allusions au Serviteur dans les évangiles, tant elles
sont claires et reconnues19. Deux affirmations, en revanche, retiendront notre attention.
a) La résurrection « au troisième jour »
La confession de Pierre –
« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16.16) – marque un
tournant dans les évangiles, car, à partir de ce moment-là, Jésus
définit la suite de son ministère messianique en termes de souffrance.
L’annonce de la passion, ainsi que d’une résurrection « trois jours
après », reviendra comme un refrain dans la suite: « Il commença alors à
leur apprendre qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup,
qu’il soit rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et
par les scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite trois jours après. » (Mc 8.31)20
On voit encore cette mention des « trois jours » dans l’évangile de
Jean, où Jésus lance comme un défi aux autorités juives: « Détruisez ce
temple, et en trois jours je le relèverai. » (Jn 2.19) Ce même défi,
déformé pour l’occasion, sera rappelé lors du procès de Jésus21.
D’où
vient-il? Nombreux sont les commentateurs pour qui cette annonce, trop
explicite pour être une prédiction authentique, ne peut qu’être le
produit de l’Eglise primitive, inventée après les événements de Pâques.
Il faut souligner toutefois qu’il s’agit là, non d’une précision
chronologique précise, mais d’une allusion à l’Ancien Testament. En
effet, dans le livre d’Osée, le prophète, après avoir proclamé le péché
du peuple et le jugement qui devait en résulter – la déportation (5.14) –
dit pourtant son espérance en l’intervention de Dieu, en un relèvement
se situant au-delà du châtiment:
« Venez, retournons à l’Eternel! Car il a déchiré, mais il nous guérira; il a frappé, mais il pansera nos plaies. Il nous rendra la vie dans deux jours; le troisième jour il nous relèvera, et nous vivrons devant lui.
Connaissons, cherchons à connaître l’Eternel; sa venue est aussi
certaine que celle de l’aurore. Il viendra pour nous comme une ondée,
comme la pluie du printemps qui arrose la terre. » (Os 6.1-3)
Les « trois jours », le
parallélisme le montre bien, sont une image poétique pour dire que si le
jugement vient, la promesse d’un rétablissement ne saurait tarder. Dieu
punira, certes, mais il interviendra pour relever Israël et le combler,
malgré tout, des bienfaits de son alliance (cf. Os 2.16-25)22. Notons que ce passage d’Osée occupait une place particulière aux abords du Ier siècle de notre ère, puisque sa lecture préparait le « grand jour des expiations » dans la synagogue23.
Or, en y faisant allusion, Jésus montre qu’il comprend l’ensemble de sa
vie et, en particulier, les événements autour de sa mort, à la lumière de l’expérience d’Israël; il refait l’expérience du peuple de Dieu – exil, mais aussi relèvement définitif – dans sa propre existence:
« En
Jésus, la destinée d’Israël trouve sa consommation et, dans sa
résurrection, l’espérance du rétablissement d’Israël s’accomplira. ‹La
résurrection du Christ est la résurrection d’Israël dont les prophètes avaient parlé.› Ce n’est pas tant qu’Israël préfigure Jésus que Jésus est Israël (…); dans sa résurrection s’accomplit le destin de celui-ci. »24
b) Jésus, la vraie vigne
L’évangile de Jean rejoint
cette perspective. Pour le quatrième évangéliste, le dernier repas n’est
pas seulement le moment des adieux de Jésus, mais encore la préparation
de la mission future des disciples. C’est dans ce cadre que l’on trouve
une des métaphores les mieux connues de l’évangile:
« Je suis le vrai cep (hê ampelos hê alêthinê), et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit (mê karpon pheron), il le retranche; et tout sarment qui porte du fruit (pan to karpon pheron),
il l’émonde, afin qu’il porte encore plus de fruit. Déjà vous êtes
émondés, à cause de la parole que je vous ai annoncée. Demeurez en moi,
comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du
fruit, s’il ne demeure sur le cep, de même vous non plus, si vous ne
demeurez en moi. » (Jn 15.1-4)
Remarquons que le terme « cep » est avantageusement remplacé ici par celui de « vigne »: « Je suis la vraie vigne. »25
La précision n’est pas anodine, car, en s’identifiant ainsi, Jésus fait
référence, une fois de plus, au peuple d’Israël, souvent représenté
dans l’Ancien Testament sous cette image26.
On peut penser en particulier à Jérémie 2.21, où Dieu se lamente de
l’infidélité du peuple, qui n’a pas produit les fruits escomptés: « Je
t’avais plantée comme une vigne excellente, d’un plant d’une qualité
tout à fait sûre; comment as-tu changé à mon égard? Vous n’êtes que les
boutures d’une vigne étrangère. »27La
correspondance, tant au niveau du vocabulaire que des idées, est
frappante: si Israël devait être la vigne véritable, portant du fruit
pour Dieu – mais qui s’est révélé être une « vigne étrangère » -, Jésus,
lui, l’est réellement; et tous ceux qui lui appartiennent porteront le
fruit voulu du Père (v. 8)28.
II. Israël et l’Eglise
Jésus
de Nazareth, venu pour annoncer le royaume de Dieu, se voyait donc au
carrefour de ce royaume et de l’histoire d’Israël, à qui l’annonce était
destinée en premier. Face à un peuple qui s’obstinait dans son
incrédulité, il a pris sur lui la tâche – mais aussi le jugement – de ce
dernier, afin que s’ouvre désormais un autre avenir29.
Le Nouveau Testament nous invite pourtant à faire un pas de plus, car
cette perspective de Jésus comme l’Israël fidèle se trouve, non pas
contredite, mais complétée par l’affirmation que ceux qui lui
appartiennent constituent, eux aussi, le vrai Israël. La notion remonte
aux évangiles et elle a des prolongements dans pratiquement tous les
écrits du Nouveau Testament.
A)Les premiers disciples et le peuple de Dieu
Jésus, au début de son
ministère, a choisi douze disciples. Les commentateurs s’accordent pour y
voir un acte symbolique dont le sens est évident: le Messie rassemble
autour de lui les représentants du peuple de Dieu renouvelé. Comme le
souligne J. Jeremias, le choix de douze hommes, correspondant aux douze
tribus, « a la valeur d’un programme; les douze envoyés symbolisent la
communauté de salut eschatologique »30.
Ce
rapport entre Israël et les apôtres est confirmé par Matthieu 19.28 où
Jésus, approuvant les sacrifices auxquels consentent ses disciples, dit
ceci: « En vérité je vous le dis, quand le Fils de l’homme, au
renouvellement de toutes choses, sera assis sur son trône de gloire,
vous de même qui m’avez suivi, vous serez assis sur douze trônes, et
vous jugerez les douze tribus d’Israël. » La référence est à Daniel 7,
où le prophète voit « comme un fils d’homme » s’approcher de l’Ancien
des jours et, au milieu des trônes dressés pour le jugement, recevoir la
domination (7.9-14). Au terme de cette vision, Dieu rend justice aux
« saints du Très-Haut » et leur accorde le royaume (vv. 22 et 27). Or,
par « un transfert remarquable des images »31, ce n’est plus Israël, mais les disciples qui jugeront les nations. Associés au Fils de l’homme, les douze accèdent au statut réservé au peuple de Dieu (cf. Mt 19.29-30).
Cette perspective s’élargit
ailleurs jusqu’à inclure tous ceux qui reconnaissent l’autorité
messianique de Jésus. En effet, si les membres du peuple d’Israël
constitue « les fils du royaume », les héritiers « de droit », ils s’en
trouveront exclus, tandis que « plusieurs (polloi) viendront de
l’Orient et de l’Occident, et se mettront à table avec Abraham, Isaac et
Jacob, dans le royaume des cieux » (Mt 8.11-12). A cause de
l’incrédulité, l’héritage d’Israël passera à d’autres.
La
parabole des vignerons ne laisse planer aucune ambiguïté à ce sujet:
ceux à qui « le maître de maison » a confié « sa vigne » (Mt 21.33) ont
rejeté le « fils du maître », l’« héritier » (vv. 37-39); le statut et
les privilèges des « vignerons » seront donc transférés à un autre
peuple: « C’est pourquoi, je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera
enlevé, et sera donné à une nation qui en produira les fruits. » (v. 43)
Tout
cela se confirme au regard des titres par lesquels Jésus désigne les
siens. Ceux-ci constituent le troupeau à qui est confié le royaume (Lc
12.32). L’image vient, une fois de plus, de l’Ancien Testament, où
Israël – et plus précisément l’Israël du temps de la fin – est
comparé à un troupeau dont Dieu lui-même, dans la personne du Messie,
sera le Berger: « J’établirai sur eux un seul berger, qui les fera
paître, mon serviteur David; il les fera paître, il sera leur berger
(…). Je conclurai avec eux une alliance de paix (…). » (Ez 34.23-25)32
Or, dit Jésus, ce statut de troupeau et, par conséquent, cette alliance
aussi échoiront désormais en partage à ceux qui se rassemblent autour
de lui. Ce sont eux « les pauvres » (Lc 4.18; Mt 5.3-6, 11.5), ceux qui
se distinguent par leur fidélité comme les vrais membres du peuple de
Dieu, bénéficiaires des promesses du salut33.
Cette profonde continuité
avec le peuple de l’Ancien Testament, mais qui passe désormais par Jésus
de Nazareth, trouve son expression la plus claire dans la chambre
haute. En effet, c’est en Christ – en son corps livré et son sang versé –
que l’alliance sera enfin renouvelée. L’évangile de Luc précise qu’il
s’agit bien de la « nouvelle alliance », annoncée par le prophète
Jérémie34,
et la description qu’en fait Jésus le confirme: cette alliance
procurera, de façon définitive, « le pardon des péchés » (Mt 26.28),
elle s’associe intimement avec l’établissement du royaume35. Or, cette alliance « en faveur des nombreux » (peri pollôn), alliance qui était destinée à « la maison d’Israël et la maison de Juda » (Jr 31.31), sera pour tous ceux qui s’approprient – comme l’on s’approprie le pain et le vin offerts dans le repas – les bienfaits de la croix. Elle est pour ceux à qui Jésus dit: « Prenez, mangez, ceci est mon corps, prenez, buvez, ceci est mon sang. »
Pour Jésus, ses disciples
héritent donc des privilèges réservés au peuple de Dieu. Ils constituent
l’Israël eschatologique, « l’Israël selon la promesse », pourrait-on
dire. Si lui-même est le véritable partenaire de l’alliance, ses
disciples, dans leur attachement à lui, jouissent désormais de ce statut
et de la tâche qui en découle.
B) L’Eglise et Israël chez l’apôtre Paul
Qu’en
est-il de cette perspective ailleurs dans le Nouveau Testament? En
fait, les textes et allusions abondent où la communauté du Christ
ressuscité est considérée comme le peuple de Dieu. Arrêtons-nous sur
quelques-uns parmi les plus explicites, dans les écrits de Paul.
a) Abraham et sa descendance
En
Galates 3, l’apôtre se trouve aux prises avec un enseignement prétendant
que seuls les croyants qui se font circoncire et suivent les règles les
plus typiques de la Tôra peuvent se considérer comme « descendants
d’Abraham » ou « Fils de Dieu »36.
Face à cet enseignement, Paul retrace l’histoire de la promesse. Les
versets 15-29 sont particulièrement pertinents: la promesse et
l’alliance37
étant antérieures à la Loi (3, 15), celle-ci ne peut être le moyen d’y
accéder (vv. 17-18). Or, si ce n’est pas par la Tôra que l’on parvient à
l’héritage promis au patriarche, comment le fait-on? Paul précise que
la promesse de l’alliance (ou le « testament ») vise l’héritier, le
descendant d’Abraham, que l’on doit comprendre comme le Messie: « Les
promesses ont été faites à Abraham et à sa descendance. Il n’est pas
dit: et aux descendances, comme s’il s’agissait de plusieurs; mais comme
à un seul: et à ta descendance, c’est-à-dire, à Christ. » (v. 16) Ce
verset a fait couler beaucoup d’encre, mais l’essentiel est clair: dans
la perspective de Paul, c’est le Messie qui est le vrai descendant
d’Abraham. Il est l’héritier à qui est destiné le testament… ou
l’alliance.
La Tôra, par conséquent, a
joué un rôle secondaire dans l’histoire de la promesse, « jusqu’à ce que
vienne la descendance à qui la promesse avait été faite » (v. 19). Une
fois ce descendant venu, la Loi, que Paul qualifie de « précepteur »38, n’a plus – dans sa forme première du moins – sa raison d’être (v. 25).
Les conséquences de cela deviennent manifestes à la fin du chapitre; puisque nous sommes « en Christ », ce qui est vrai pour lui le devient pour nous aussi:
« Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Christ-Jésus. » (v. 26)
En vertu de notre union avec le vrai descendant, nous devenons, à notre
tour, enfants d’Abraham: « Et si vous êtes à Christ, vous êtes la
descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse. » (v. 29) Comme dans
les évangiles, c’est le statut du Christ, le véritable descendant
d’Abraham, qui nous permet d’accéder au statut de fils et d’héritiers.
En lui, « le Fils premier-né de Dieu », nous recevons l’adoption promise
(4.5-6)39.
Le plein héritage réservé à Abraham et à sa descendance – à Israël –
revient, par conséquent, à nous qui appartenons au Messie: l’adoption,
la justification et le don de l’Esprit (cf. 3.6-9.14).
Ceux qui sont en Christ sont le peuple qui descend d’Abraham, le verus Israel.
C’est pourquoi Paul peut prononcer, à la fin de cette épître, « paix et
miséricorde » sur tous ceux qui savent périmée en Christ la stricte
observation de la Loi mosaïque, c’est-à-dire « sur l’Israël de Dieu »
(6.14-16)!
b) Quelques confirmations
Cette identification entre
Israël et Jésus-Christ et, en lui, l’Eglise, explique un certain nombre
d’allusions dans d’autres épîtres, faites plus ou moins en passant; en
Philippiens 3, l’apôtre affirme: « Car les vrais circoncis, c’est nous,
qui rendons à Dieu notre culte par l’Esprit de Dieu, qui nous glorifions
en Christ-Jésus. » (3.3) De même, si le peuple de Dieu dans l’Ancien
Testament était « saint », se distinguant ainsi des nations – ou des
« païens »40 -, la désignation des membres de l’Eglise comme « saints » est, sous la plume de Paul, absolument habituelle41. Ce statut de saints s’oppose à celui de païens qu’avaient auparavant les chrétiens non juifs, mais qui ne les caractérise plus en raison de leur appartenance au Christ42.
C’est l’épître aux Romains
qui contient l’enseignement le plus explicite sur le rapport entre
juifs, païens et peuple de Dieu. Bornons-nous à un passage de cette
épître, riche et dense; en 2.28-29, l’apôtre souligne que l’appartenance
au véritable peuple de Dieu ne tient pas à des questions d’ethnicité ou
de conformité extérieure à la Tôra. Au contraire, « c‘est ce qui est caché qui fait le Juif, et la circoncision est celle du cœur, celle qui relève de l‘Esprit
et non de la lettre » (v. 29, TOB). Plusieurs commentateurs ont
discerné dans cette mention de la circoncision et de l’Esprit une
référence à la promesse de l’alliance renouvelée. L’espérance de
l’Ancien Testament s’attachait, en effet, au jour où Dieu changerait le
cœur du peuple, afin que le signe extérieur de l’alliance devienne une
réalité vécue: « Le Seigneur ton Dieu te circoncira le cœur, à toi et à
ta descendance, pour que tu aimes le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,
de tout ton être, afin que tu vives. »43
Ce changement ne serait pas l’effet d’une vigilance redoublée vis-à-vis
de la Loi, mais de l’Esprit, répandu sur le peuple: « Je vous donnerai
un cœur nouveau (…). Je mettrai mon Esprit en vous et je ferai que vous
suiviez mes prescriptions, et que vous observiez et pratiquiez mes
ordonnances. » (Ez 36.26-27)
Or,
suggère Paul ici, le vrai Israël, c’est celui envers qui les promesses
de l’alliance sont devenues une réalité: celle de l’intériorisation de
la Loi dans ses aspects les plus fondamentaux, grâce à l’œuvre de
l’Esprit. Comme il le montrera dans la suite des Romains, ceux qui
peuvent prétendre à ce statut, ce sont celles et ceux en qui, grâce au
Christ, les justes exigences de la Loi sont accomplies par l’Esprit du
Christ44. Le verus Israel,
la vraie circoncision, c’est l’Eglise: « (…) l’Eglise est le
prolongement et l’accomplissement du peuple historique de Dieu, que
celui-ci, en Abraham, s’est choisi parmi tous les peuples et auquel il
s’est lié par son alliance et ses promesses. »45
Conclusion: comment parler d’un verus Israel aujourd’hui?
Que
dire en conclusion? Les données du Nouveau Testament paraissent
incontournables: Jésus de Nazareth voyait en lui-même – et non en
l’Israël ethnique de l’époque – l’accomplissement du peuple de Dieu.
C’est lui qui allait refaire l’expérience d’Israël et assumer le
jugement qui lui était destiné. Ses disciples, de même, devaient hériter
de son statut de peuple de Dieu authentique, les douze comme prémices,
mais aussi tous ceux qui se rassembleraient autour de lui.
Cela
entraîne, bien sûr, des conséquences importantes pour l’interprétation
des Ecritures. Dire que le Christ accomplit en sa propre personne la
vocation et le destin du peuple de Dieu, c’est dire que tout ce qui,
dans l’Ancien Testament, est dit au sujet d’Israël – et, plus
particulièrement, de l’Israël eschatologique – trouve son
accomplissement en lui; les promesses concernant le peuple de
Dieu s’adressent donc, en tout premier lieu, au Christ et, à partir de
là, à ceux qui lui appartiennent. Comme le dit Paul: « Toutes les
promesses de Dieu ont trouvé leur OUI dans sa personne. » (2Co 1.20,
TOB) Pour autant que nous soyons en Christ, les promesses faites à
l’égard d’Israël nous sont adressées, à nous qui formons l’Eglise, son
corps.
Ayant dit cela, ce titre de verus Israel
est-il encore de mise aujourd’hui, étant donné sa récupération à
maintes reprises au profit d’un antisémitisme des plus honteux?
Plusieurs choses sont à prendre en considération.
D’abord, Jésus et ses disciples étaient profondément conscients d’inscrire leur proclamation en profonde continuité avec l’Ancien Testament, dont un des leitmotive
est bien l’annonce du jugement d’un peuple incrédule et rebelle. Les
propos de Jésus ou de Paul, disons-le franchement, ne sont pas plus
virulent que ceux d’un Jérémie ou d’un Ezéchiel! De plus, Jésus et sa
communauté, pour ce qui est de l’annonce du jugement et de la prétention
de former l’Israël véritable, ne se distinguaient pas radicalement
d’autres communautés de l’époque, comme les esséniens ou les pharisiens,
convaincus les uns et les autres de la déchéance de la plus grande
partie d’Israël et soucieux d’assister à une purification nationale. Sur
ce plan-là, les recherches renouvelées depuis quelques années au sujet
du « Jésus de l’histoire » nous ont rendu d’inestimables services, car
elles nous ont permis de voir à quel point Jésus de Nazareth et ses
disciples étaient d’abord des Juifs46.
Mais cela pose une question
plus profonde: qu’est-ce qui fait d’un homme un juif? Est-ce simplement
l’origine ethnique ou la circoncision? L’Ancien Testament, pas moins que
le Nouveau, s’élève contre une telle idée. Pour les deux parties de
l’Ecriture, Israël est une réalité avant tout spirituelle… ou il n’est pas47.
Pour savoir ce qui, du point de vue de la Bible, fait l’essentiel du peuple de Dieu, revenons à l’élection d’Abraham.
Dans le contexte de la Genèse, l’annonce de cette élection retentit
pour que la communion entre Dieu et l’homme, rompue par le péché, soit
rétablie, et que les hommes puissent vivre à nouveau en partenaires fidèles de l’alliance, telle que Dieu l’avait établie au commencement.
Abraham et ses descendants font, en réalité, office de « nouvel Adam »,
d’une humanité renouvelée, appelés à vivre en conformité avec le Dieu
saint. Et sur ce plan, le Nouveau Testament se fonde entièrement sur
l’Ancien lorsqu’il dit que c’est seulement grâce à l’intervention de
Dieu, au temps messianique, que le peuple de Dieu pourra vivre sa
vocation d’humanité authentique. La fidélité et l’obéissance du Fils de
David, Serviteur de YHWH, seront nécessaires pour qu’Israël soit et
devienne réellement Israël, le partenaire véridique de l’alliance. Comme
le dit K. Barth:
« Jésus-Christ
est (…) la défense, le triomphe et l’accomplissement assuré par Dieu
lui-même de l’alliance avec l’homme, la réalisation, à la fin des temps,
de la volonté divine à l’égard d’Israël et donc de toute l’humanité.
Et, comme tel, il est aussi la révélation de cette volonté, et, par
conséquent, de l’alliance. »48
Si nous pouvons dire aujourd’hui que l’Eglise est verus Israel, c’est donc uniquement parce que le Christ l’a été avant elle et parce qu’elle l’est en lui.
Parler ainsi, c’est d’abord parler du Christ, et après seulement, comme
par effet de ricochet, de nous-mêmes! Il n’y a là, par conséquent,
aucun sujet de fierté, mais seulement d’humilité et de reconnaissance,
car – quelle que soit notre origine ethnique – nous ne pouvons tirer de
notre propre fonds ce qu’il faut pour vivre de manière fidèle à
l’alliance49.
L’échec d’Israël, que l’on voit à toutes les pages de l’Ecriture, ne
nous permet aucune attitude de supériorité, car il n’est, en réalité,
que le miroir de notre échec à tous, en tant qu’hommes et femmes
pécheurs. Aussi le titre de verus Israel ne saurait se dire ou
s’approprier autrement que comme une action de grâce, envers Dieu qui
nous l’a accordé, dans son Fils… et comme une invitation à être, en lui,
ce partenaire fidèle, cette « lumière des nations », pour que son salut
« parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Es 49.6).
1*
D. Cobb est professeur de Nouveau testament et de théologie pratique à
la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
G.E. Ladd (se référant à la reprise d’Os 1.10 et 2.25 en Rm 9.24) écrit: « Israël n’est pas dépouillé du titre laos
[peuple], mais cela signifie qu’un autre peuple voit le jour,
parallèlement à Israël, sur une base différente. Israël reste en un
certain sens le peuple de Dieu (…) » Théologie du Nouveau Testament (coll. Théologie, Cléon d’Andran/Genève, Excelsis/PBU: 1999), 588.
2 Les réalisateurs, G. Mordillat et J. Prieur, prolongent leurs vues dans un livre récemment sorti de presse, Jésus après Jésus (Paris: Seuil, 2004).
3 Cf., par exemple, Psaumes de Salomon, 17.21-26 et 4Q174 (« Florilèges »), 1.18ss.
4
Une variante textuelle (D) propose, pour le texte de Luc, la leçon
suivante: « Une voix advint du ciel: Tu es mon fils, c’est moi,
aujourd’hui, qui t’ai engendré. » Si cette variante a peu de chances
d’être la bonne, elle montre néanmoins que d’autres ont vu dans cette
déclaration du Père une référence au Ps 2.
5 Cf. W.L. Lane, The Gospel of Mark (coll. NICNT, Grand Rapids: Eerdmans), 57.
6 Ho huios sou ho agapêtos.
7 Ho huios mou ho agapêtos (Mc 1.11). C. Grappe remarque que Gn 22 est le seul passage dans la LXX où nous rencontrons l’expression: Le Royaume de Dieu, avant, avec et après Jésus (Genève: Labor & Fides, 2001), 228.
8 Cf. J. Jeremias, Théologie du Nouveau Testament, t. I (Paris: Cerf, 1996), 72ss (cf. 80s).
9 Cf. R.T. France, Jesus and the Old Testament (Grand Rapids: Baker, 1982), 131. J. Schlosser reconnaît que cette partie d’Esaïe a constitué « (…) une des principales sources d’inspiration de Jésus »; Jésus de Nazareth (Paris: Agnès Viénot Editions, 2002), 151.
10
Il est intéressant de noter que Cyrus est décrit à l’aide de termes
employés ailleurs pour décrire le Serviteur – dont il semble d’ailleurs
prendre le titre en 44.26 (comparer 45.3-4 et 43.1; 45.13 et 42.6-7;
45.2 et 41.15-16).
11
L’expression de l’« alliance du peuple » est controversée. A mon sens,
le parallélisme aide à saisir l’idée générale: comme ce Serviteur
éclairera les nations en apportant la lumière de YHWH, il sera lui-même
le moyen par lequel Dieu renouvellera l’alliance avec Israël.
Incarnation de la lumière de Dieu, le Serviteur incarnera aussi la
réalité de l’alliance.
12 Wehou’ chét’ rabbîm nasah. Cf. aussi v. 11 (litt.): « Mon Serviteur juste justifiera les nombreux » (larabbîm). L’expression « les nombreux » (rabbîm)
dans ces versets désigne la communauté qui bénéficie de la mort du
Serviteur. Elle est reflétée dans de nombreux passages du Nouveau
Testament, en rapport avec le sacrifice du Christ et l’Eglise (polloi ou hoi polloi). Cf. Mt 26.28; Mc 10.45 et par.; Rm 5.15, 19; 12.5; 1Co 10.17.
13
On peut noter que les deuxième et troisième tentations sont inversées
en Matthieu et Luc. Matthieu a peut-être placé en troisième lieu celle
de l’adoration de Satan contre les royaumes de la terre afin d’en faire
le point culminant du récit, et de mieux mettre en évidence le lien avec
la déclaration du Père lors du baptême.
14 Le verbe halakh (ici: « faire parcourir ») est rendu par agô dans la LXX (« conduire »), le même qu’en Lc 4.1.
15 La LXX traduit ekpeirasê, littéralement « afin qu’il te tente ».
16 Cf. Mt 4.11 et Mc 1.13.
17 Cf. J. Jeremias, op. cit., 91 ss.
18 Cf. R.T. France, op. cit., 53, et J. Dupont, NTS 3 (1956-1957), 295-298.
19 L’ensemble de ces textes est abordé en profondeur in R.T. France, op. cit., 110-135, et J. Jeremias, op. cit., 357-373. Pour un premier aperçu, on peut se reporter aux passages indiqués dans la NBS, 908.
20 Cf.
aussi Mc 9.31, 10.33-34 et parallèles. On peut signaler tout
particulièrement Mc 8.31 et Lc 24.46, qui mettent en avant les trois
jours comme une nécessité divine (dei) ou un accomplissement des Ecritures par rapport au Christ.
21 Mc 14.57-59, 15.29 et parallèles.
22
On ne peut exclure, de même, une référence au livre de Jonas, où le
prophète infidèle « demeura dans les entrailles du poisson trois jours
et trois nuits » (Jon 2.2; cf. Mt 12.39-40). Nous sommes même
invités à faire le rapprochement, dans la mesure où Jonas semble
représenter le peuple d’Israël, envoyé en exil pour n’avoir pas été
fidèle à sa vocation, mais préservé et rétabli afin d’annoncer la
justice et la compassion de YHWH. Dire cela n’implique pas que l’on nie
ou relativise l’expérience historique du prophète (cf. 1R 14.25),
mais plutôt que le livre de Jonas cherche à faire passer, par le biais
du ministère de celui-ci, un message qui concerne et clarifie la raison
d’être du peuple de Dieu.
23 W.L. Lane, op. cit., 302.
24 R.T. France, op. cit., 55 (souligné dans le texte).
25 Cf. TOB, NBS, etc.
26 Cf., par exemple, Ps 80.8-11; Es 5.1-7; Ez 5.1-5; Os 10.1-2; comparer Mc 12.1-9.
27 La LXX traduit: « Et moi, je t’ai planté [comme] une vigne portant du fruit, entièrement véritable (ampelon karpophoron pasan alêthinên) ». Les termes sont pratiquement identiques à ceux de Jn 15.
28
Un troisième passage complète le tableau; le premier évangile voit dans
la fuite de la famille de Jésus en Egypte un accomplissement de
l’Ancien Testament: « (…) afin que s’accomplisse ce que le Seigneur
avait déclaré par le prophète: J’ai appelé mon fils hors d’Egypte. » (Mt
2.15) Dans le contexte originel, Osée rappelle la fidélité passée
de YHWH envers son peuple (Os 11.1); si Matthieu reprend ce passage,
c’est qu’il considère la trajectoire d’Israël comme le « modèle » de vie
de Jésus, et ce dès son enfance. Jésus-Christ refait l’expérience du peuple de YHWH.
Comme le dit France, « l’emploi d’Os 11.1 en [Mt] 2.15 n’a de sens que
si Jésus, Fils de Dieu, est identifié à l’autre fils, Israël »; Matthew (Grand Rapids: Eerdmans, 1985), 53.
29 Cette thèse est longuement développée dans le livre récent de N.T. Wright, Jesus and the Victory of God (Minneapolis: Fortress Press, 1996).
30 Op. cit., 291 s. Voir, plus récemment (et dans une perspective nettement plus critique), J. Schlosser, op. cit., 113.
31 R.T. France, L’évangile de Matthieu, t. II (Vaux-sur-Seine: Editions Edifac, 2000), 96.
32 Cf. Es 40.11; Jr 23.1-8; Jn 10.1-16. Mi 4.6-8 mêle explicitement les thèmes de troupeau et de règne de YHWH.
33 Cf.
Ps 22.27, 25.9, 34.3, 37.1, etc. J. Jeremias dresse une liste détaillée
des expressions que Jésus applique à ses disciples et en conclut: « L’unique raison d’être de toute l’activité de Jésus est le rassemblement du peuple de Dieu de la fin des temps. » Op. cit., 215 (souligné dans le texte).
34 Lc 22.20; cf. Jr 31.31-34.
35 Cf. Lc 22.16, 18.28-30.
36 Dans le sens d’Os 2.1: « les fils de Dieu » c’est, dans ce passage, le peuple de Dieu. Cf. Rm 9.24-26; 8.14-16.
37 Le terme que Paul emploie ici est diathêkê,
habituellement traduit par « alliance ». La traduction unilatérale de
« testament », adoptée par la plupart des versions, obscurcit
malheureusement l’argument de Paul, qui joue sur les deux idées (cf. cependant la version du Semeur, qui alterne entre « alliance » et « testament »).
38
Ga 3.24. Le précepteur, dans la culture grecque de l’époque, était un
esclave chargé de conduire l’enfant de son propriétaire à l’école et de
le surveiller, afin qu’il ne se perde pas en route.
39 Cf. Mt 3.9, mais aussi Rm 9.4, où l’adoption fait partie des privilèges d’Israël.
40 Cf. Ex 19.5-6; Lv 11.44-45; Nb 16.3; Dt 33.3; Ps 16.3; 34.10; 89.6, etc.
41 Cf. Rm 1.7; 12.13; 15.25-26; 1Co 1.2; 6.1-2; 14.33, etc.
42 Cf. 1Co 5.1; 12.2; Ep 2.11; 4.17. A noter que « païens » et « nations » traduisent l’un et l’autre ethnê, le terme employé dans la LXX pour gôyim, « nations », tous ceux qui ne font pas partie du peuple de Dieu.
43 Dt 30.6 (TOB). Cf. Jr 31.33: « Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai sur leur cœur. »
44 Cf. Rm 8.4, 9-17.
45 H.N. Ridderbos, Paul
(Grand Rapids: Eerdmans, 1975), 327. On pourrait également mentionner
Ep 2.11-22, où Paul établit un contraste des plus saisissants entre la
situation passée de ceux qui étaient « autrefois païens », incirconcis
et donc « étrangers aux alliances de la promesse » (vv. 11-12) et leur
situation présente de « concitoyens des saints, membres de la famille de
Dieu » (v. 19). Cette intégration à l’alliance et au peuple de Dieu a
eu lieu en Christ, qui a pris juifs et païens et qui « des deux n’en a
fait qu’un » (v. 14). Par son sacrifice, Jésus-Christ a créé « en sa
personne, avec les deux, un seul homme nouveau » (v. 15). Le Christ est
donc le « lieu » où les promesses et l’alliance de l’Ancien Testament
deviennent disponibles aux païens comme aux juifs (cf. 3.6).
46
Le mouvement essénien, que les manuscrits de la Mer Morte font
connaître, est un exemple particulièrement frappant, en raison des
nombreux points communs avec l’Eglise primitive. Les esséniens, groupés
autour d’un chef spirituel, le « Maître de Justice » aux allures du
Serviteur d’Esaïe (1QH 5.11-12.15; 6.4; 7.10-16; 8.35-36; 9.30; 14.25;
18.9-15 et passim), se voyaient effectivement comme la communauté
de la nouvelle alliance (CD 6.11, 19; 8, 21; CD [B], 1.33), le vrai
Israël (1QS 2.22; CD 15.5-6; CD [B] 1.30-31; 1QM 3.13; 10.9-11), « les
nombreux » (CD 13.7; 14.12; 15.8; 1QH 15.11 et passim) dotés de
l’Esprit de Dieu (1QS 3.6-8; 4.2-6; 1QH 16.7-9); ils s’appropriaient
tout naturellement les titres les plus typiques du peuple de Dieu dans
l’Ancien Testament – « les élus » (1QS 11.7; 1QM 12.1; 1QpHab 5.4), « la
communauté des saints » (1QSa 2.9), « les humbles » ou « les pauvres du
troupeau » (CD [B] 1.9-10; 1QM 11.9-10; 1QpHab 7.3-5). Les Israélites
qui refusaient de s’y joindre se détournaient donc de l’alliance et
allaient au-devant du jugement final (1QH 4.19; 1QpHab 2.1-8). Pour dire
les choses très schématiquement, la plus grande différence entre les
esséniens et l’Eglise primitive n’était pas tant cette question de
statut (= le peuple de Dieu véritable), que la manière d’y accéder.
Pour l’essénisme, une pratique plus vigoureuse de la Tôra,
réinterprétée et intensifiée par le Maître de Justice et ses
successeurs, était la condition sine qua non de l’adhésion à la communauté. Pour l’Eglise primitive, ce qui est premier est le rapport avec le Christ, mort et ressuscité.
De la sorte, l’appartenance au peuple de Dieu s’ouvre même, dans le
Nouveau Testament, à ceux qui ne sont pas d’origine juive, et ce au même
titre qu’aux juifs attachés au Messie.
47 Cf., par exemple, Jr 9.24-25; 4.4; 6.10; Am 9.7-10.
48 Dogmatique, IV, 1* (Genève: Labor & Fides, 1966), 35.
49 Cf. Rm 11.19-21, 25a.
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