Esquisse sur la politique baptismale des apôtres

 


 On nous demande parfois si Jean le baptiste a baptisé des nourrissons. Puisque la réponse semble négative, on nous demande alors comment et pour quelle raison les apôtres auraient changé d'habitude. De là, on conclut souvent que le baptême des nourrissons doit être une habitude survenue après les apôtres et qu'il s'agit donc d'une déviation.

Certains ont daté cette déviation de l'année 165 après Jésus Christ: le péril de mort entraîné par la peste antonine aurait amené les parents chrétiens (et devenus quelque peu superstitieux) à faire baptiser leurs nourrissons (Francesco Arduini, “Il battesimo dei bambini”, 2010).
Avant de développer ma réponse, je dois dire que j'écarte totalement les théories comme celles de la peste antonine pour la raison très forte que la mortalité infantile est un phénomène aussi ancien que l'amour parental. C'est pourquoi, il est artificiel d'imaginer que les gens auraient attendu la mort des apôtres pour demander que leurs enfants reçoivent le baptême. Même si c'était une déviation, l'idée du baptême des enfants aurait dû naître déjà au temps des apôtres, et ceux-ci, surtout si l'idée était hérétique, auraient dû s'employer à l'écarter.
Ceci étant dit, voici la réponse que j'ai à donner aux questions susmentionnées.

*   *   *


La réponse la plus directe serait de dire que les apôtres ont compris dès la Pentecôte d'Actes 2 la nécessité de baptiser jusqu'aux nourrissons en raison, d'une part, de l'universalité de l'ordonnance du Christ et, d'autre part, de l'universalité du péché. Cependant, leur attitude à l'égard des païens indique qu'on peut envisager une réponse moins directe et une évolution de la politique baptismale. C'est dans cette perspective que je conçois le schéma suivant:

1) Si on met de côté la pratique légale du mikvé, le baptême apparaît initialement comme un rite charismatique et eschatologique, en ce qu'il est rattaché à la personne de Jean le baptiste et doit conduire à celle du Messie. 
NB: A ce titre, les baptêmes de Jean célébrés après son décès (Actes 18 et 19) semblent nuls, en vertu de Jean 3: 30.
Le baptême de Jean était donc une institution éphémère, à une époque où le rite d'appartenance national restait la circoncision. Dans ces circonstances, on peut facilement envisager que les adultes étaient les seuls à venir au baptême et à le recevoir (même si on ne peut pas en être absolument certain) et ce dans une démarche de renouveau au sein de la communauté nationale.

 2) Le Seigneur ressuscité, en envoyant ses apôtres vers les nations (Matthieu 28: 19), a institué un baptême d'une toute autre ampleur. 
C'est à tel point que jusqu'en Actes 10, avec Corneille, les disciples ne semblent pas avoir intégré cette dimension d'universalité, pourtant clairement comprise dans les paroles de Jésus et dont l'Esprit leur donnait manifestement une certaine intuition (cf. Actes 2: 25, 39, etc.)
Il est alors possible d'envisager que, dans ce premier temps, les disciples aient effectivement eu le réflexe de poursuivre l'usage de Jean, c'est-à-dire de baptiser les adultes croyants sans trop se poser la question de leurs enfants, d'autant que ces derniers étaient circoncis
Actes 8: 12 pourrait témoigner de cette habitude héritée de Jean le baptiste, quoiqu'il soit impossible d'en être certain (dans le livre de Josué, l'expression "hommes et femmes" inclut aussi les enfants d'Aï : Josué 8: 25; 8: 2; 6: 21). 

 3) Car curieusement, c'est une fois que l'ampleur de l'institution du Christ a été bien comprise, en Actes 10, que le baptême des maisonnées a commencé à être mentionné, et même systématiquement (Corneille, Lydie, le Geolier, Crispus). 
C'est que, d'une part, la refonte des Juifs et des non-Juifs en un seul peuple posait nécessairement la question du statut des enfants non-Juifs et de leur accès à la vie sacramentelle - par rapport aux Juifs et aux samaritains qui étaient circoncis (cf. Actes 21: 21). Les païens auraient-ils accepté sans broncher que leurs enfants soient laissés seuls à la porte du peuple de Dieu ?
D'autre part, l'argument de st Pierre (peut-on refuser le baptême à ceux qui ont reçu l'Esprit tout comme nous ?) avait une force irrésistible même pour les enfants : à moins de leur dénier l'Esprit et le Salut (dont eux aussi ont besoin, après tout!), impossible de leur refuser le baptême. 

On voit dans un tel schéma que l'universalité du mandat missionnaire (Matthieu 28: 19), qui répond à celle du péché, est la clé de voûte de la réponse à notre question.
Que Pierre et les apôtres en aient pris conscience immédiatement (= dès Actes 2) ou non (= à partir d'Actes 10) , cette universalité, une fois intégrée dans la conscience de l'Eglise, ne pouvait pas mener à autre chose qu'à la pratique tant décriée par d'aventureux "baptistes"...

 

Bucerian 

Commentaires

Anonyme a dit…
Une fois admis le cadre confessionnel du Blog chrétien protestant, on trouve que c'est se donner beaucoup de mal pour éviter la magie sacramentelle que d'écarter la notion de régénération baptismale présomptive, comme l'autorise le Petit Catéchisme (1529) à la différence du Livre de Concorde (1580), au profit d'un déni historique patent...

Posts les plus consultés de ce blog

Attestant n'est pas confessant

De Nicée II à la Confession d'Augsbourg

Confession d'Augsbourg: 489 ans