Annotations sur la Concorde de Wittenberg (2/9)






Remarques générales sur la Parole et les sacrements



A) Christianisme orthodoxe, le protestantisme est connu pour être "religion de la Parole". On souligne ainsi habituellement l'importance de la Bible et de la prédication dans le culte. Mais on ne doit pas oublier que le christianisme est religion de la Parole incarnée (1Jean 1. 1-3). Que si l'âme, à laquelle s'adresse la Parole, est bien la partie principale de l'homme (de sorte que la prédication du message biblique est bien le moyen de grâce essentiel), cet homme que Christ est venu sauver est aussi un être corporel. De là le sacrement, Parole unie à un élément corporel ou sensible, pour être "Parole visible" (1) qui manifeste et célèbre la plénitude du Salut en Christ (cf. Hébreux 10, 22).
Conformément à cette antique pensée (2), Luther écrivait dans son Grand catéchisme :
Dans le baptême, ces deux choses ont lieu, à savoir que le corps est aspergé, lequel est incapable de saisir plus que l'eau, et, de plus, que la Parole est prononcée, que l'âme, de son côté, peut saisir. Or puisque l'eau et la Parole constituent, ensemble, un seul baptême, il en résulte que, ensemble aussi, le corps et l'âme seront sauvés et vivront éternellement. L'âme, par la Parole à laquelle elle croit, et le corps parce qu'il est uni à l'âme et qu'il saisit aussi le baptême, comme il le peut.
En toute logique, le protestantisme a donc condamné les courants "spiritualistes" de quelques-uns qui, à l'instar de Gaspard Schwenkenfeld au XVIe siècle, ou des Quakers aujourd'hui, prétendent pouvoir se passer délibérément des sacrements. Baptême et sainte Cène sont au contraire, avec la prédication du pur Évangile, les marques de l’Église véritable (cf. Confession d'Augsbourg, article 7).


B) Souligner que ceux qui ont besoin du salut sont des êtres de chair et d'os, c'est aussi  rappeler leurs faiblesses. Sans doute l'homme est-il sauvé par la foi seule; mais combien cette foi a besoin de béquilles accommodées à notre humaine condition !... Tout en magnifiant l'étendue du salut, les sacrements servent donc aussi à soutenir la foi. Cela, ils le font en tant qu'ils sont des signes et des sceaux de la justification que nous obtenons par la foi (cf. Romains 4. 11). La Confession d'Augsbourg (article 13) affirme ainsi que: 
"...les sacrements ont été institués non seulement pour être les marques d'une profession de foi commune entre les hommes, mais surtout pour être des signes et des témoignages de la volonté de Dieu envers nous, pour réveiller et pour fortifier la foi de ceux qui en font usage."

Le protestantisme se démarque donc aussi du "symbolisme" (3) qui est aujourd'hui dominant dans les courants "évangéliques" pour lesquels le baptême et la Cène ne sont que des symboles utilisés par notre foi pour se dire au monde. Or, les sacrements ne seraient que des symboles s'ils n'étaient que de l'eau, ou que du pain et du vin. Mais, aussi sûrement que l'homme est un corps uni à une âme, le sacrement qui s'adresse à lui est un élément sensible uni à la Parole, salutaire et vivifiante, de Dieu. De là, contrairement à l'erreur symboliste, le sacrement ne tient pas sa valeur de notre foi, mais, plutôt, alimente notre foi par la valeur qu'il tient de Dieu. Un Dieu qui agit ainsi avec nous, tant il est vrai qu'il est riche en miséricorde (cf. Éphésiens 2. 4)
C'est donc à bon droit qu'on parle des sacrements comme d'un salutaire antidote spirituel : les éléments extérieurs (eau, pain, vin) étant les excipients de ce principe actif et réellement salvateur qu'est (et reste) la Parole ou l’Évangile de Dieu.
C'est en ce sens que l'apôtre Pierre écrit que le baptême nous sauve (1Pierre 3. 21) et que l’Église chrétienne, fondée sur l'Écriture sainte, confesse dans son Credo (4) le lien entre le baptême et le pardon des péchés (cf. Actes 2. 38).


C) Mais le protestantisme a tout autant raison de réprouver ces mêmes sentences (le baptême sauve, etc.) lorsqu'elles sont dites en un autre sens, c'est-à-dire lorsque Rome entend enclore le salut à la participation aux sacrements (5), ou qu'elle leur imagine une autre vertu salutaire que celle de l’Évangile - comme si, à l'inverse des opinions spiritualistes et symbolistes, la Parole de Dieu n'avait de vertu pour sauver le pécheur qu'à la condition d'être accompagnée d'eau ou de pain, et/ou comme si l'homme était finalement sauvé par des rites plutôt que par la foi.
A de telles opinions, les réformateurs ont unanimement répondu par ces mots de saint Augustin (6) :
Retranche la Parole, et l'eau, que sera-t-elle? De l'eau. La Parole se joint à l'élément, et aussitôt se fait le sacrement qui est comme une Parole visible. (...) D'où vient à l'eau cette vertu si grande, qu'en touchant le corps elle purifie le cœur? Elle lui vient uniquement de la Parole; non parce que l'on prononce cette Parole, mais parce que l'on y croit.
 Ni faussement "spiritualiste", ni "ritualiste" (qu'il s'agisse du ritualisme "symboliste" d'un Zwingli ou, au contraire, du ritualisme "sacramentaliste", pour ne pas dire "magique", de Rome) l’Église chrétienne célèbre donc les sacrements compris comme des institutions où retentit - afin d'être  récapitulée solennellement pour chacun - la Parole de Dieu, Parole vivifiante et salutaire parce qu'elle suscite et rencontre la foi en Jésus-Christ dans le cœur des élus.

 A suivre...


Bucerian

   ___________________

1 : Saint Augustin, Traités sur Saint Jean, 80. 3.
2 : Jean Chrysostome, Commentaire sur st Matthieu, Homélie 82.
3 : Généralement associé à la figure d'Ulrich Zwingli (1484-1531)
4 : Le Symbole de Nicée-Constantinople.
5 : A titre d'exemple, durant la pandémie de Covid-19, une lectrice d'un "blog d'actualité catholique" appelait à sortir du confinement, en affirmant que : "
(...) nous le savons, fréquenter les sacrements est vital, sans eux, nous sommes perdus".
6 : Saint Augustin, Traités sur Saint Jean, 80. 3. Cité par Luther, dans son Grand catéchisme, et par Calvin, dans son Institution (IV. xiv, 4).

Commentaires

Anonyme a dit…
De même qu'on ne peut se baptiser seul, de même on ne peut communier seul. D'ailleurs, l'expression "communier seul" est une antiphrase, une "contradictio in adjecto". De sorte que, la communion fraternelle est implicitement inscrite à l'intérieur de la sacramentaire. A telle enseigne, que les fidèles de l'Église sont authentiquement "co-pains". C'est, d'ailleurs, à ce titre, que la notion de Symbole remonte, comme saint Irénée en fait mention, jusqu'aux Apôtres. Car, le terme "symbole" provient de la contraction des termes grecs "sun/avec" et "ballô/jeter", référant à une signe de reconnaissance, comme un casse-tête ou la clef et la serrure. Or, l'ancienneté de cette pratique de reconnaissance confessionnelle date des Apôtres, selon saint Irénée, disciple de Polycarpe, lui-même familier de saint Jean l'évangéliste. En outre, la crédibilité de saint Irénée est renforcée par le fait de sa mention, dans son "Adversus Haereses", d'un évangile gnostique, selon Judas, lequel n'a été retrouvé qu'en 1978 et définitivement expertisé en 1983. On se demandera, alors, s'il n'y a pas quelqu'hypocrisie à se réclamer du Credo, tout en rejetant la communion fraternelle pour des prétextes frivoles, qui lui sont extérieurs, comme un saint Jean le dénonce, en sa troisième épître, aux versets 9 et 10?...
Co-pains, voilà qui est bien dit :)
Pour le reste, vous avez tout à fait raison : notamment sur le fait qu'il n'est pas question pour des chrétiens de se séparer pour un point de détail !
Les ruptures ne se justifient que dans des cas graves ; la violation publique et opiniâtre de la Loi en est un cas typique (imaginez quelqu'un qui se complaise à colporter des faux témoignages, par exemple). On voit alors souvent que l'erreur doctrinale emboîte le pas (recours à l'antinomisme, généralement).
Mais même dans de tels cas, on doit bien sûr toujours prier pour que la personne revienne à une foi saine.

En Christ.

Bucerian

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