Epître au Roy
LES FRANÇOIS QUI DESIRENT VIVRE SELON LA PURETE DE L’EVANGILE DE
NOSTRE SEIGNEUR IESUS CHRIST.
Au
Roy
Sire, nous rendons grâces à Dieu, de ce que n’ayans eu iusques icy aucun accés à vostre Maiesté, pour luy faire entendre la rigueur des persécutions que nous avons endurées, et endurons iournellement pour vouloir suyure la pureté de l’Evangile, et le repos de nostre conscience: maintenant il nous fait cet heur de veoir qu’avez la volonté de connoitre le mérite de nostre cause, suyvant l’Edit dernier donné à Amboise au moys de Mars, l’An présent 1559, qu’il a pleu à vostre Maiesté faire publier. Qui est la cause qu’à présent nous osons ouvrir la bouche: laquelle nous a esté parddevant fermée par l’iniustice et violence de plusieurs voz officiers, estans plustost incitez de haine contre nous, que de bonne affection à vostre service. Et à fin, Sire, que nous puissions pleinement informer vostre Maiesté de ce qui concerne cette cause, nous vous supplions très-humblement de voir et entendre nostre Confession de Foy, laquelle nous vous présentons:
espérans qu’elle nous sera défence suffisante contre tous les
blasmes et opprobres, dont iusques icy avons esté chargez à grand
tort par ceux qui ont tousiours fait mestier de nous condamner,
premier que nostre cause leur fust connevë. En laquelle, Sire, nous
pouvons protester qu’il n’y a aucune chose qui répugne à la
parole de Dieu, ne qui contrevienne à l’hommage que nous vous
devons.
Car les articles de nostre Foy qui sont descrits assez au long en
nostre Confession, reviennent tous à ce poinct, que puisque Dieu
nous a suffisamment déclaré sa volonté par ses prophètes et
Apostres, et mesmes par la bouche de son fils nostre Seigneur Iésus
Christ nous devons cet honneur et révérence à la parole de Dieu de
n’y rien aioutter du nostre: mais de nous conformer entièrement à
la reigle qui nous y est prescritte. Et pour ce que l’Eglise
romaine, laissant l’usage et coustume de la primitive Eglise, a
introduit nouveaux commandemens et nouvelle forme du service de Dieu:
nous estimons estre très-raisonnable de préférer les commandemens
de Dieu, qui est la vérité mesme, aux commandemens des hommes: qui
de leur nature sont enclins à mensonge et vanité. Et quoy que noz
adversaires prétendent à l’encontre de nous, si pouvons nous dire
devant Dieu et les hommes, que nous ne souffrons pour autre raison
que pour maintenir nostre Seigneur Iésus Christ estre nostre Seul
Sauveur et Rédempteur, et sa doctrine seule doctrine de vie et de
salut.
Et cette est la seule cause, Sire, pour laquelle les bourreaux ont en
tant de fois les mains souillées du sang de voz poures suiets,
lesquels n’espargnent point leurs vies pour maintenir cette mesme
confession de Foy, ont bien peu faire entendre à tous qu’ils
estoyent poussez d’autre esprit que de celuy des hommes, qui
naturellement ont plus de soucy de leurs repos et commoditez, que de
l’honneur et gloire de Dieu.
Et partant, Sire, suyvant, la bonté et douceur de laquelle promettez
user envers voz poures suiets, nous supplions très-humblement vostre
Maiesté nous faire cette miséricorde, que de prendre en main la
connaissance de la cause, pour laquelle estans poursvyvis à toute
heure ou de mort, ou de bannissement, nous perdons par ce moyen la
puissance de vous faire le très-humble service que nous vous devons.
Qu’il plaise donq à vostre Maiesté, Sire, à lieu des feus et
glaives dont on a usé parcidevant, faire décider nostre confession
de Foy par la parole de Dieu: donnant permission et sevreté pour ce
faire. Et nous espérons que vous-mesmes serez iuge de nostre
innocence, connoissant qu’il n’y a en nous ny hérésie, ny
rébellion aucune: mais que nous tendons seulement à ce but, de
pouvoir vivre en saine conscience, servans à Dieu selon ses
commandemens, et honorans vostre Maiesté en toute obéissance et
servitude.
Et par ce que nous avons nécessairement besoin d’estre, par la
prédication de la parole de Dieu, retenus en nostre devoir et office
tant envers luy: qu’envers vous: nous vous supplions
très-humblement, Sire, qu’il nous soit permis d’estre
quelquefois assemblez tant pour estre exhortez par la parole de Dieu
à sa crainte, que pour estre conformez par l’administration des
Sacremens que nostre Seigneur Iésus Christ a instituez en son
Eglise. Et s’il plaist à vostre Maiesté nous donner lieu, auquel
un chacun puisse voir ce qui se fait en noz assemblées, la seule
veue nous absoudra de l’accusation de tant de crimes énormes, dont
nosdittes assemblées ont esté diffamées parcidevant. Car on n’y
pourra veoir que toute modestie et chasteté, et on n’y pourra ovyr
que louanges de Dieu, exhortations à son service, et prières pour
la conservation de vostre Maiesté et de vostre Royaume. Que s’il
ne vous plaist nous faire tant de grâce, au moins qu’il nous soit
permis de poursvyvre particulièrement entre nous avec repos l’ordre
qui y est estably.
Vous supplions très-humblement, Sire, de croyre, que oyant lire
cette supplication qui votis est maintenant présentée, vous oyez
les cris et gémissemens d’une infinité de voz poures suiets qui
implorent vostre miséricorde: à ce qu’elle esteigne les feus que
la cruanté de voz iuges a allumez en vostre Royaume. Et ainsi qu’il
nous soit loisible, servans à vostre Maiesté de servir à celui qui
vous a élevé en vostre dignité et grandeur.
Et s’il ne vous plaist, Sire, d’ouyr nostre voix, qu’il vous
plaise d’ouyr celle du Fils de Dieu, lequel vous ayant donné
puissance sur noz biens, sur noz corps et sur nostre propre vie: vous
demande que la puissance et domination sur noz ames et consciences
(lesquelles il s’est acquises au pris de son sang) luy soyent
réservées.
Nous le supplions, Sire, qu’il vous conduise tousiours par son
Esprit, accroissant avec vostre aage, vostre grandeur et puissance,
vous donnant victoire contre tous voz ennemis, establissant pour
iamais en toute équité et iustice le throsne de vostre Maiesté:
devant laquelle aussi il luy plaise nous faire trouver grâce, pour
resentir quelque fruit de nostre présente supplication, à fin
qu’ayons changé noz peines et afflictions à quelque repos et
liberté, nous changeons aussi noz pleurs et larmes à une
perpétuelle action de grâces à Dieu, et à vostre Maiesté, pour
avoir fait chose à luy très-agréable, très-digne de vostre bonté
et iustice, et très-nécessaire pour la conservation de voz plus
humbles et plus obéissons suiets et serviteurs.